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Plateformes numériques - Le Conseil d'Etat voit dans l'ubérisation une occasion de transformer l'action publique

Reconfiguration du rôle de l'Etat, promotion d'une plus grande coordination des politiques économiques et régaliennes au niveau européen, assouplissement des normes : dans son étude annuelle 2017, le Conseil d'Etat profite d'une réflexion nourrie sur les "plateformes numériques" pour livrer ses convictions sur la transformation de l'action publique. Les sages du Palais Royal partagent un regard largement bienveillant et optimiste sur "l'ubérisation" qui, si elle était accompagnée, leur semblerait contribuer à la modernisation de la société.

Le Conseil d'Etat n'est pas étranger aux problématiques du numérique. En 2014 déjà, son étude annuelle avait porté sur "le numérique et les droits fondamentaux". Cette année, l'institution se penche sur les "plateformes" et "l'ubérisation", avec le lot de mutations juridiques et économiques que ces phénomènes engendrent. Le Conseil tente d'abord un effort de clarification salutaire, alors que le terme de plateforme s'utilise de plus en plus souvent, pour désigner des réalités très diverses. L'étude distingue les services numériques de désintermédiation selon cinq catégories, de la plateforme de création de biens communs (à la manière d'Openstreetmap) aux plateformes-activité de type Uber, en passant par les plateformes de partage de frais, d'économie contributive (à la manière de Waze) ou encore de courtage (places de e-commerce).

Une vision bienveillante de la révolution numérique

Le regard porté sur ces services numériques est globalement bienveillant. Si le Conseil d'Etat reconnaît que l'effet réseau attaché à ces plateformes peut créer de nouveaux monopoles, qualifiés de "nouvelles féodalités", il identifie aussi les plateformes à "l'aspiration à un renouveau des modèles et des cadres économiques" et les voit comme source "d'alternative à l'essoufflement des formes traditionnelles de lien social". Quitte à céder à des raccourcis de moins en moins pratiqués par les observateurs du monde numérique - en croyant par exemple en un contraste net entre "nouvelle économie" et "économie traditionnelle".

Accompagner les mutations de la société en adaptant le droit ?

Si le Conseil d'Etat promeut un renforcement des autorités de la concurrence et leur meilleure coordination à l'échelle européenne, la plupart de ses préconisations vont dans le sens d'un assouplissement face aux plateformes, si ce n'est d'un mimétisme. Constatant que les acteurs du numérique transforment des marchés sans forcément en respecter les normes - par exemple dans l'hôtellerie, la location de voitures, etc. - le Conseil rappelle que l'harmonisation peut passer par un assouplissement des cadres réglementaires qui pèsent sur les acteurs traditionnels. Face à l'enjeu de la protection sociale des travailleurs de plateformes - à la manière des chauffeurs VTC -, l'institution propose de renforcer le compte personnel d'activité et de continuer d'œuvrer au dépassement de la dichotomie salariat-entrepreneuriat.

Les plateformes numériques, un outil de développement territorial ?

L'action publique n'est pas non plus épargnée par les propositions du Conseil d'Etat. Prenant exemple sur la disparition du Centre national d'information routière et de son célèbre Bison Futé face à l'émergence du calcul d'itinéraires en ligne, l'étude appelle à effectuer une revue des missions des collectivités publiques pour identifier les éventuels doublons avec des services désormais effectués par des plateformes numériques. Dans la même perspective, le Conseil d'Etat perçoit dans les plateformes un potentiel de réduction des inégalités territoriales encore inexploité. Il cible le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) en proposant que l'organisme, via sa mission de "développement des capacités des territoires", établisse une "méthodologie pour que les opportunités ouvertes par le développement des plateformes numériques soient intégrées dans la conception et la mise en œuvre des politiques de lutte contre les inégalités territoriales". Le Conseil pense par exemple au potentiel des applications de covoiturage, ou encore de la télémédecine. Des serpents de mer du développement local, pour lequel un pilotage national ne saurait sans doute suffire pour mieux en exploiter les potentialités. Le CGET entreprend déjà une démarche analogue, en travaillant sur une autre arlésienne du développement des territoires : l'évaluation des effets économiques potentiels du télétravail sur les territoires.