Fiscalité locale - Le Conseil des prélèvements obligatoires sonne une nouvelle charge contre les petites taxes
Les collectivités territoriales perçoivent près de 70 impositions différentes sur les entreprises, qui ont représenté en 2012 un produit de l'ordre de 60 milliards d'euros (soit 13% de l'ensemble des prélèvements obligatoires dont les entreprises sont redevables), évalue le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans un rapport que son président Didier Migaud a présenté le 13 mai. Le processus de décentralisation n'est pas étranger à la constitution de cet ensemble "foisonnant" qui souffre parfois "d'opacité", indique ce rapport sur la fiscalité locale des entreprises commandé en juillet 2013 par la commission des finances de l'Assemblée nationale. En compensation de transferts de compétences, le législateur a attribué aux collectivités toutes sortes d'impositions économiques (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, taxe spéciale sur les conventions d'assurances…). Celles-ci complètent les taxes traditionnelles, qui reposent sur la valeur du foncier. De plus, les collectivités bénéficient de nombreuses petites taxes au rendement très faible : surtaxe sur les eaux minérales, taxe complémentaire à la taxe locale d'équipement, impôts sur les spectacles, jeux et divertissements…
Or, "l'émiettement de la fiscalité locale" requiert de la part des entreprises de nombreuses formalités administratives et, au final, mobilise un temps non négligeable, souligne le CPO. Lequel conclut à la nécessité de mettre fin à une quinzaine de ces taxes, dont le produit unitaire est inférieur à 35 millions d'euros, pour un produit global de 150 millions d'euros (en mettant de côté les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau).
Quelles compensations pour les collectivités ?
Ces taxes sont décidément dans le collimateur des institutions nationales aujourd'hui, malgré l'opposition de la plupart des associations d'élus locaux. Au mois de janvier dernier, un rapport de l'Inspection générale des finances concluait le premier à la nécessité de faire disparaître ces impositions. Elle recommandait une solution radicale : la suppression des petites taxes dont le montant unitaire est inférieur à 150 millions d'euros (pour un produit total de 1,179 milliard d'euros). L'idée était reprise au mois de mars par le groupe de travail des Assises de la fiscalité des entreprises consacrées à la fiscalité locale (notre article du 26 mars 2014).
Pour accompagner la mesure, le CPO recommande que soient menées des études "sur les impacts sectoriels et pour certaines collectivités" (les spécialistes citent des villes comme Vichy et Dax) où les "petites taxes" peuvent représenter une part importante du budget. Les collectivités concernées devraient bénéficier de compensations, mais selon des formes qui laissent parfois perplexe. En effet, parmi les pistes de compensations, le CPO évoque pêle-mêle "l'augmentation des taux des impositions" sur lesquelles les collectivités "disposent d'un pouvoir de modulation" et... "la diminution des dépenses" de ces collectivités.
Des simplifications pour la taxe sur les enseignes publicitaires
Dans la même logique, le CPO s'en prend aux "taxes optionnelles, mises en oeuvre au gré des délibérations des exécutifs". Deux pistes sont ouvertes : soit "les abandonner", soit "les limiter en tenant cependant compte de certaines situations locales spécifiques". Le CPO critique en particulier l'une de ces taxes, la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE). 2.717 communes et 11 groupements à fiscalité propre l'avaient instituée en 2012 et obtenaient à ce titre un produit global de 153 millions d'euros… contre 47 millions d'euros deux ans plus tôt. "La TLPE n'a pas vraiment joué le rôle dissuasif attendu pour limiter les panneaux publicitaires, mais a plutôt été utilisée par les collectivités territoriales comme une ressource fiscale supplémentaire", commente le CPO. A la différence du groupe de travail "fiscalité locale" des Assises de la fiscalité des entreprises, l'instance n'émet pas de proposition concrète sur la limitation de la progression de la TLPE. Et de recommander seulement de simplifier les modalités de déclaration par les entreprises.
Pour limiter la "prolifération" des taxes locales, notamment les taxes optionnelles, le CPO recommande encore de confier à une seule direction rattachée au ministère de l'Economie la responsabilité de la conception et du suivi des diverses impositions locales, alors qu'aujourd'hui cette mission est partagée par plusieurs directions de l'Etat.
Quatre ans après la suppression de la taxe professionnelle, le rapport met aussi en évidence le bilan positif de la réforme pour les entreprises. La charge fiscale de l'industrie manufacturière est allégée de 2 milliards d'euros, celle des PME est également largement réduite. De plus, les industries soumises à la concurrence internationale sortent gagnantes. Mais, le CPO ne se penche pas sur l'évaluation des effets de la réforme "sur le PIB, l'emploi et l'investissement privé" en expliquant que ce serait prématuré.
Des aménagements à la marge de la CVAE
Le choix fait en 2009 de remplacer la taxe professionnelle par deux impositions, l'une reposant sur la valeur ajoutée (soit la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises représentant plus de 16 milliards d'euros de recettes pour les collectivités) et l'autre assise sur le foncier (c'est-à-dire la cotisation foncière des entreprises représentant 8 milliards d'euros pour le bloc communal) "paraît constituer un bon compromis", estime le CPO. Le rapport critique ainsi implicitement la demande de suppression de la CVAE émise en janvier dernier par le Medef.
Le CPO juge néanmoins que certains aménagements pourraient être réalisés pour "consolider" la réforme entreprise en 2010. Notamment, il appelle les services fiscaux à communiquer aux collectivités plus rapidement qu'aujourd'hui les montants prévisionnels de CVAE, afin de leur permettre de bâtir plus facilement leurs budgets. Le gouvernement a en fait devancé cette recommandation, puisque l'amélioration des délais d'information des collectivités sur leurs recettes de CVAE fait partie des chantiers en cours à Bercy (voir notre article du 4 mai 2014).
Le CPO exclut de modifier le calcul de la valeur ajoutée pour les entreprises du secteur des assurances, qui a pour caractéristique d'avoir une valeur ajoutée très fluctuante d'une année sur l'autre. Un changement de méthode présenterait à court terme "des inconvénients non négligeables". Par ailleurs, l'instance se dit "réservée" sur la piste d'une fusion de la déclaration par les entreprises de leurs effectifs pour la CVAE avec la déclaration annuelle des données sociales (DADS).
Nul doute que les recommandations du rapport alimenteront le travail de la commission des finances de l'Assemblée nationale dans la perspective de l'examen des prochains textes de lois financiers.