Le Beauvau de la sécurité civile lancé dans la concorde – jusqu’ici
Gérald Darmanin et Dominique Faure ont officiellement lancé le "Beauvau de la sécurité civile", dont les travaux devraient prendre fin en décembre prochain. L’objectif est de revivifier un modèle français de la sécurité civile jugé solide mais confronté à de multiples défis, et singulièrement le défi financier.
Deux Beauvau, deux ambiances. Si le Beauvau des polices municipales s’est ouvert sur d’importantes différences de vue entre les participants (v. notre article du 5 avril), le coup d’envoi, finalement donné ce 23 avril, de son homologue pour la sécurité civile – réclamé de longue date (v. notre article du 14 octobre 2022) – a montré combien les différentes parties prenantes partageaient un même diagnostic. Celui d’un modèle français de la sécurité civile certes encore "solide", mais "en tension", et même "à bout de souffle" – constat il est vrai déjà tiré (v. notre article du 1er février 2023). Plus qu’une bouffée d’oxygène, c’est donc une véritable "remise à plat" qu’espèrent les différentes parties prenantes, dont le président de Départements de France, François Sauvadet. Une remise à plat à laquelle ils doivent désormais contribuer jusqu’en décembre prochain, date à laquelle l’équipe projet spécialement missionnée devrait remettre rapport et préconisations.
Un postulat et des lignes rouges
D’ici là, Gérald Darmanin l’assure, toutes les questions pourront être posées, "sans tabou", "y compris celles qui fâchent". Toutes les réponses, en revanche, ne pourront être apportées. Le ministre de l’Intérieur fixe en effet "trois lignes rouges" à ne pas franchir : son ministère doit rester celui de la gestion des crises ; le volontariat doit demeurer au cœur du modèle et le duo maire-préfet est intouchable. Il rappelle en outre les "trois piliers" sur lesquels le modèle est assis, et qu’il faudrait préserver : la proximité ; la complémentarité (entre expertises, instances, statuts…) et la solidarité. Pas question, donc, de faire table rase. "Le postulat, c’est que notre modèle est pertinent", surenchérit Dominique Faure.
Consensus… pour ne pas payer plus
Parmi les questions qui fâchent, nul doute que celle du financement sera en première ligne. Là aussi, tous s’accordent sur le fait qu’on est arrivé "à la croisée des chemins". Problème : personne n’entend débourser davantage. Pas l’État, alors que Gérald Darmanin met en avant le fait que ce dernier, "s’il a décentralisé les compétences, verse encore le quart des financements aux Sdis". Pas les départements, François Sauvadet estimant que ces derniers ne peuvent sans doute "pas aller au-delà" de ce qu’ils font aujourd’hui, non sans avoir relevé au préalable que "tout nouvel effort supplémentaire est aujourd’hui financé par les départements, la part des communes étant plafonnée". Et pas les communes, Bastien Coriton, représentant David Lisnard pour l’Association des maires de France (AMF), soulignant d’emblée "l’attachement de l’AMF à ce plafonnement". Pour le ministre, l’enjeu sera donc de "voir ce que l’on peut mutualiser", "de changer les pratiques" – réitérant ici son appel à l’Administration "à libérer les sapeurs-pompiers volontaires (v. notre article du 9 octobre 2023) – et… de trouver "de nouvelles ressources". Et Gérald Darmanin de livrer ici quelques pistes : "faire payer le privé" – les assureurs, les industriels –, "réfléchir aux financements européens" ou encore revoir les contours de la fiscalité.
Redéfinir missions et financements, mais dans quel ordre ?
L’ambition affichée est de définir dans un premier temps "les missions de la sécurité civile de demain", pour arrêter dans un second temps la gouvernance et les missions (v. encadré). Mais François Sauvadet prévient d’emblée : "On ne va pas faire plus plus plus, [au risque de] créer désillusions et colère". Redoutant en outre "une forme de recentralisation", il avertit : "La zone ne décide pas d’un côté, et le territoire finance de l’autre." Invoquant "le principe de réalité", il insiste sur la nécessité de "faire preuve de responsabilité".
Il y a donc fort à craindre que le contour des financements ne dicte finalement le périmètre des missions. "On ne va pas multiplier les missions, sinon on va devoir multiplier les dépenses", prévient d’ailleurs Gérald Darmanin, invitant notamment à réfléchir aux missions "qu’il faut arrêter". "Il faut redéfinir les priorités. Les sapeurs-pompiers ne sont pas faits pour se substituer à d’autres", explique de même François Sauvadet. Il rejoint ici le ministre, pour qui "il faut éviter que les sapeurs-pompiers fassent tout ce que les autres ne veulent pas faire" et se concentrent "au contraire sur ce à quoi ils ont été formés". "Il faut se concentrer sur le cœur du métier", renchérit à son tour Bastien Coriton.
Réduire les missions de secours et de soins à la personne
Dans le viseur, l’on retrouve évidemment les missions de secours et de soins aux personnes. "Ce sont celles-là qui ont explosé en 20 ans", rappelle Stéphane Morin, président de l’Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des services d’incendie et de secours (Andsis). Outre le fait qu’elles mobilisent les effectifs, Gérald Darmanin sait que ces missions, qui "ne sont pas tout à fait ce pourquoi les sapeurs-pompiers se sont engagés", "découragent parfois un peu" ces derniers, au risque même de les détourner du métier. Pour autant, compte tenu "des difficultés du système de santé en général", le ministre est bien conscient que trouver une solution ne sera pas chose aisée. Et d’insister sur la "nécessité de réfléchir ensemble, entre blancs et rouges, et de ne pas se rejeter les difficultés". Président de la fédération autonome SPP-PATS, Xavier Boy semble ne se faire guère d’illusion : s’il faut selon lui trouver une solution au problème pour "redonner de l’attractivité" à la filière, il est bien conscient qu’"imaginer que d’autres acteurs assurent le secours aux personnes paraît compliqué".
Conforter le volontariat
Quelque peu à contre-courant, le syndicaliste se déclare en revanche "pas inquiet" par les éventuelles conséquences de la directive Temps de travail sur le volontariat, "car il compte sur l’intelligence des directeurs de Sdis pour ne pas mettre le système en danger" en suivant les préconisations du rapport Sauzey (v. notre article du 20 février). Une direction déjà empruntée par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises – non sans susciter l’ire de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (v. notre article du 23 février) – et que Bastien Coriton invite également à suivre. Pour François Sauvadet, pour qui "la priorité doit être de conforter le volontariat", on ne pourra toutefois s’empêcher en sus de "reposer la question au niveau européen".
Renforcer la culture du risque
In fine, s’il est un sujet qui semble définitivement faire consensus, c’est la nécessité de "renforcer la culture du risque", qui ferait toujours défaut chez les Français (v. notre article du 21 février). Si la loi de 1996 de départementalisation des services d’incendie et de secours a été unanimement saluée, Stéphane Morin déplore que la loi de 2004 de modernisation de la sécurité civile n’ait, elle, "pas atteint tous ses objectifs" et juge indispensable "d’investir sur la prévention". Bastien Coriton plaide en particulier pour "renforcer la formation des élus à la gestion de crise", qu’il trouve pour l’heure "insuffisante", et plus largement pour "créer un esprit de résilience territoriale". Pour François Sauvadet, c’est aussi aux citoyens de se mobiliser, les appelant à avoir en tête "que leur propre sécurité ne relève pas que des autres, mais aussi de leur propre engagement".
Calendrier et méthodeUne équipe projet de 5 personnes sera chargée d’animer le Beauvau et de rendre ses propositions en décembre. D’ici là, "cinq chantiers transversaux" seront conduits, ayant pour thèmes : - Quelles missions pour la sécurité civile de demain ? (lancement le 21 mai) - Gouvernance, financement et moyens des acteurs de la sécurité civile (lancement première quinzaine de juin) - Une population active de sa résilience, un citoyen acteur de la sécurité civile (lancement deuxième quinzaine de juin) - Bénévole, volontaire, professionnel : un modèle de sécurité civile attractif, valorisé et protecteur (lancement après les JOP) - Pilotage et animation du continuum de sécurité civile – La gestion de crise : une approche globale (lancement après les JOP) S’y ajouteront deux chantiers transversaux ultra-marins (Antilles/Guyane d’une part, océan Indien de l’autre), mais aussi des "rencontres métiers" (septembre à décembre), une "grande enquête en ligne", ouverte à tous (mai à octobre), et diverses auditions conduites par l’équipe projet. Durant les échanges, Gérald Darmanin a également précisé qu’une réunion spécifique serait consacrée, "sans doute en septembre", aux maladies professionnelles, conduite avec les représentants du ministère de la Santé. Et répondant à "l’appel au secours" lancé par Joël Prieur, secrétaire général du Conseil national de la protection civile, Dominique Faure a assuré de son côté qu’une place plus grande et visible sera assurée aux associations de sécurité civile dans le Beauvau.
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