Congrès des sapeurs-pompiers : une "nouvelle ère" entre rouges et blancs ?

Présent pour la première fois au congrès des sapeurs-pompiers, le ministre de la Santé a répondu positivement à plusieurs revendications de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF). Côté gouvernance et financements du modèle de sécurité civile ou renforcement du volontariat, les réponses apportées auront en revanche été moins tangibles, le ministre de l’Intérieur en appelant pour l’essentiel à davantage de solidarité entre les départements. Face à la montée des risques, le président de la FNSPF appelle de son côté à mieux former les élus.

 

"Nous attendons de vous, ce matin, des réponses fortes et claires." S’adressant aux ministres de la Santé et de l’Intérieur en clôture du 129e congrès des sapeurs-pompiers de France, qui se tenait du 4 au 8 octobre à Toulouse, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), Jean-Paul Bosland, s’est sans surprise (voir notre article du 5 octobre 2023) fait "fort et clair". Avec plus ou moins de succès. 

Un ministre de la Santé avec des cadeaux plein la trousse

À l’actif, plusieurs annonces du ministre de la Santé – premier locataire de la rue de Ségur à honorer le congrès des sapeurs-pompiers de sa présence – répondant aux attentes, souvent anciennes, des sapeurs-pompiers. En premier lieu, la confirmation que les travaux de l’expérimentation tant espérée de la création de plateformes interservices et d’un numéro unique d’appel d’urgence ont démarré en région Auvergne-Rhône-Alpes. "Un engagement fort", a salué son collègue Gérald Darmanin. Mais aussi :
- la revalorisation "significative" de la carence ambulancière, "avec effet au 1er janvier 2023", la publication "imminente" du décret relatif à la mise en place de la commission de conciliation paritaire sur les carences prévue par la loi Matras (
on ne peut plus, puisque le décret a été publié le jour même du discours au Journal officiel) ;

- le fait que le ministre se dise "favorable à l’inclusion d’une représentation des sapeurs-pompiers" au sein du Conseil national de l’urgence hospitalière, comme le préconise la mission Falco (voir notre article du 21 juin) ;
- le lancement de travaux pour faciliter l’accès à la profession des pharmaciens chargés de la gestion des pharmacies à usage intérieur des services d’incendie et de secours ;

- la volonté affichée de "faciliter les relais entre pompiers et ambulances" pour éviter de mobiliser les premiers sur toute la durée d’un trajet d’une part et de réduire les temps d’attente lorsqu’ils accompagnent des patients aux urgences d’autre part.
Autant d’éléments qui actent pour la FNSPF l’entrée dans "une nouvelle ère dans les relations entre Samu et pompiers, placée sous l’angle de la complémentarité et de la coopération".

À l’actif également, la confirmation par le ministre de l’Intérieur que "les sapeurs-pompiers volontaires auront les trimestres promis par le président de la République" dans le cadre de la réforme des retraites, dans un décret toujours fortement espéré.

Renforcement du matériel, si les usines suivent

Pour le reste, il faudra patienter. En réponse à l’appel lancé par le président Bosland sur la nécessaire poursuite et intensification du renforcement capacitaire, le ministre s’est borné à rappeler l’engagement de l’État inscrit dans la Lopmi. Côté matériel, Gérald Darmanin a ainsi mis en exergue le fait qu’il "n’est pas de la compétence du ministre de l’Intérieur de financer directement les véhicules des Sdis" : "Et, pourtant, nous le faisons. Sur les 4 milliards de dépenses de la sécurité civile, l’État verse déjà 1 milliard alors que ce n’est plus sa compétence", a-t-il argué (dans son rapport sur le PLF 2023, le député Jean-François Husson estimait que "les dépenses du budget consolidé des Sdis, financé quasi intégralement par les collectivités territoriales, se sont élevées à 5,4 milliards d’euros en 2021"). Il n’y aura donc pas à attendre davantage. Et si Gérald Darmanin a confirmé le renouvellement en intégralité de la flotte aérienne, il concède : "Encore faut-il que les usines suivent."

Sapeurs-pompiers volontaires : une pierre dans le jardin des employeurs publics

Côté renforcement humain, Jean-Pierre Bosland a eu beau faire de l’accroissement de l’effectif des sapeurs-pompiers volontaires une "priorité absolue", il n’a visiblement pas non plus convaincu. Invitant à "ne pas se tromper de diagnostic", Gérald Darmanin estime que "ce n’est pas un sujet de nombre […] mais de jours possibles comme engagé". "Seuls 6% des sapeurs-pompiers volontaires ont été mobilisés en Gironde l’an passé", prend-il exemple. En la matière, le ministre s’est dit "prêt à délier les cordons de la bourse" pour aider les artisans, les commerçants, les PME à libérer leurs volontaires, reconnaissant que "cela peut (sic) être une perte" pour eux. Mais pas les grandes entreprises, qui auraient, elles, "les moyens", et avec lesquelles le ministre indique par ailleurs "avancer beaucoup". C’est en revanche moins le cas avec l’État. "Les propres agents du ministère de l’Intérieur – les agents des préfectures, de la police et de la gendarmerie – n’ont pas été libérés en Gironde", déplore-t-il. "C’est la même chose avec les armées, l’Éducation nationale… Même des Sdis refusent eux-mêmes des personnels pour le département d’à côté", ajoute-t-il, incluant aussi "les entreprises publiques" parmi les mauvais élèves – visant explicitement Enedis. 

Un modèle du volontariat "plus remis en cause" ?

S’agissant du volontariat (pour lequel la fédération vient d’acter 75 propositions dans un livre blanc remis au ministre lors du congrès), Jean-Paul Bosland a acté son évolution "vers un mode d’exercice en gardes postées en milieu urbain et périurbain, qui s’ajoute au modèle traditionnel du citoyen engagé en astreinte", tout en reconnaissant que le recours à ces gardes "ne doit évidemment conduire ni à substituer des volontaires à des sapeurs-pompiers professionnels, ni à mettre en danger leur propre santé et sécurité. Mais librement consentie par ceux qui l’exercent, cette activité ne peut être assimilée à un travail, et nous faisons confiance à la justice pour continuer à statuer dans ce sens", avoue-t-il. Parfois à tort (voir notre article du 7 juin), même si Gérald Darmanin assure pour sa part que "le modèle de volontariat n’est plus du tout remis en cause".

Les départements toujours dans le collimateur du ministre

Le ministre de l’Intérieur s’est également fait peu disert sur la modernisation de la gouvernance de la sécurité civile et sur la réforme de son financement, autres priorités affichées par la FNSPF. Muet sur la première, il a reconnu qu’une "modernisation des financements un peu surannés, déséquilibrés et parfois pas très clairs" pouvait être étudiée. Mais en prévenant d’emblée que "ça ne peut pas être juste 'L’État paiera'". Une nouvelle fois (voir notre article du 6 septembre 2022), Gérald Darmanin a dénoncé les départements "qui prennent une petite commission au passage" en reversant la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) aux Sdis, ignorant ainsi la position de l’Inspection générale de l’administration selon laquelle "il s’agit d’une dotation libre d’emploi pour les départements" (voir notre article 1er février). Plus encore, Gérald Darmanin a clairement indiqué "qu’avant de demander la solidarité de l’État", il pourrait y avoir "un peu de solidarité entre les départements". Des départements que l’ancien conseiller départemental du Nord n’a pas non plus épargnés en trouvant "étonnant qu’on demande à des sapeurs-pompiers d’intervenir dans des Ehpad où il n’y a plus de gens qui gardent ces Ehpad", invitant les conseils départementaux à tisser un "lien entre l’action sociale et l’action des sapeurs-pompiers".

Les Sdis pas épargnés par la FNSPF

Auparavant, ce sont les Sdis qui ont été égratignés, par le président de la FNSPF cette fois. "L’essentiel des freins au volontariat vient de nos Sdis", estime Jean-Paul Bosland. Dans le viseur, "le parcours du combattant" entre "la première prise de contact et l’engagement actif, lorsqu’il s’écoule un an entre le moment où on l’on pousse la porte de la caserne et la montée dans un engin, ou quand il faut un an pour être formé au secours et soins d’urgence aux personnes et deux ans à l’incendie, car le stock de volontaires en attente de formation n’est pas épuisé. Alors qu’un réserviste est opérationnel après 15 jours en gendarmerie, ces différentes situations génèrent de l’'abandonnisme' dans nos rangs", a-t-il dénoncé.

Former les élus aux risques

Faisant par ailleurs du développement de la culture du risque en France une priorité, Jean-Paul Bosland a singulièrement insisté sur le déploiement d’une offre de formation à destination des élus, "en particulier via le renforcement des liens entre les sapeurs-pompiers et les maires". "Les maires ne sont pas uniquement des contributeurs, mais des acteurs majeurs des secours, de la prévention et de la gestion des crises. Face à la multiplication des crises, les élus doivent être davantage informés de leurs obligations en matière de prévention, de précaution et de protection", exhorte-t-il, en précisant que la FNSPF y travaille avec l’Association des maires de France. "L’objectif doit être la coconstruction d’une boîte à outils dont l’École nationale supérieure des officiers sapeurs (Ensosp) pourrait être le pilote", indique-t-il. Et d’ajouter que "la journée nationale de la résilience du 13 octobre doit également être mieux promue auprès des communes, qui doivent être incitées à organiser des évènements adaptés aux risques de chaque territoire, à diffuser des outils d’information et à associer la population aux exercices".