En amont du "Beauvau de la sécurité civile", le député Didier Lemaire avance 62 propositions
Alors que le lancement du "Beauvau de la sécurité civile" a été retardé, un rapport parlementaire avance de nombreuses pistes sur l'avenir du modèle français. Un document qui devrait nourrir la réflexion à venir.
Le "Beauvau de la sécurité civile" a pris un peu de retard au démarrage. Initialement prévue le 8 avril, la journée de lancement a été reportée fin avril. Le temps pour le ministère de l'Intérieur de recevoir toutes les parties prenantes : les organisations syndicales et les financeurs. Parmi ces derniers, l'Association des maires de France (AMF) s'était offusquée de ne pas avoir été officiellement conviée en amont de cette rencontre (voir notre article du 2 avril). C'est désormais chose faite puisque le maire de Cannes, David Lisnard, président de l'AMF, était reçu mercredi par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure. L'enjeu de ce Beauvau : réformer le modèle de la sécurité civile pour répondre aux nouvelles missions dans un contexte d'aléas climatiques de plus en plus fréquents.
Hasard du calendrier, la mission d'information de l'Assemblée sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles, présidée par Lisa Belluco (EELV, Vienne), vient de remettre son rapport, après six mois de travaux. De quoi alimenter les discussions à venir.
"Les sapeurs-pompiers font aujourd’hui face à des défis sans précédent : outre la difficulté liée aux carences ambulancières, ils doivent assurer le développement des missions de prévention et d’éducation citoyenne aux risques et faire face à des risques accrus, voire nouveaux – à l’instar de ceux connus durant la crise sanitaire, de la protection du patrimoine culturel (illustrée par les incendies des cathédrales de Paris et Nantes), ou encore du développement des feux de parking et de véhicules électriques", pose le rapporteur Didier Lemaire (Horizons, Haut-Rhin). Auditionnée, la FNSPF (Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France) a alerté sur "un risque de rupture capacitaire, en particulier en cas de simultanéité des urgences".
Maintenir le couple maire-préfet en cas de crise
À la suite de la mission Falco (voir notre article du 21 juin 2023), le député formule 62 nouvelles propositions pour répondre à ces enjeux. Nombre d'entre elles concernent directement les maires.
La mission d'information relève "un enchevêtrement d’acteurs qui peut parfois nuire à la clarté des missions", avec des différences toutefois selon les parties du territoire. La coordination semble par exemple "plutôt très efficace" dans le sud-est et le sud-ouest, départements rompus à la lutte contre les incendies. La mission préconise d'expérimenter la mise en place d’une "direction départementale de la sécurité civile". Celle-ci serait confiée au directeur du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) sous l’autorité du préfet et en collaboration étroite avec les maires. Le rapporteur souligne par ailleurs l’importance de "maintenir le fonctionnement actuel du couple maire-préfet, qui a fait ses preuves en matière de gestion de crise". Il suggère d'"explorer la possibilité de donner aux autorités locales le droit de procéder à l’évacuation obligatoire des habitants, en cas de risque pour leur sécurité".
Didier Lemaire reprend l'idée de créer "une entité interministérielle" placée auprès du Premier ministre, permettant de "suivre l’anticipation des risques et leur gestion au niveau territorial ainsi que de mobiliser et coordonner tous les acteurs de la protection et de la sécurité civiles, en particulier lors d’événements d’ampleur sur le territoire national". Un modèle de gouvernance qui a déjà fait ses preuves au Portugal et en Italie ; où la mission s'est rendue.
Érosion du maillage territorial
Inquiet de l'érosion du maillage territorial des casernes (passées de 11.930 à 6.093 en vingt ans), le député préconise – à la suite du rapport annexé de la Lopmi du 24 janvier 2023 – de "subordonner toute fermeture de centre d’incendie et de secours à la consultation préalable du maire de la commune siège et à l’étude de la mise en place d’une unité concourant aux missions de sécurité civile (association agréée de sécurité civile ou réserve communale de sécurité civile)". Il suggère dans le même temps de "systématiser la création d’une réserve communale de sécurité civile dans les communes soumises à l’élaboration d’un plan communal ou intercommunal de sauvegarde" et de doter ces réserves des mêmes prérogatives que les associations agréées. Quant aux réserves départementales, instaurées par la loi Matras du 25 novembre 2021, il n'en existerait qu'une dizaine à ce jour, comprenant une centaine de réservistes.
Le rapporteur relève également que les "évolutions sociétales" mettent au défi le système du volontariat. "Le nombre de sapeurs-pompiers volontaires [SPV] ne baisse pas, leur disponibilité s’amoindrit, la législation européenne fait peser une forte menace sur le statut, l’intensité opérationnelle et la complexité de certaines missions rendent la formation de plus en plus exigeante", souligne Départements de France, dans sa contribution. "La précarité juridique dans laquelle se trouve plongé le régime des SPV appelle à prendre des mesures correctrices dans les plus brefs délais", souligne la mission, à la suite de la publication du rapport de l’IGA et l’inspection générale de la sécurité civile qui avait fait grand bruit (voir notre article du 20 février).
Prendre en compte la "valeur du sauvé"
Les pompiers évoluent par ailleurs dans un contexte de plus en plus difficile, relève la mission : le nombre de sapeurs-pompiers victimes de violences a doublé entre 2014 et 2021, passant de 1.569 à 3.742, sachant que dans 80% des cas, les agressions sont le fait des victimes elles-mêmes. Le rapport préconise d'engager une réflexion "sur les conditions permettant de renforcer la sécurité, les moyens et les doctrines des personnels de la sécurité civile intervenant en situation d’émeute".
Le rapport aborde aussi la question des carrières et du financement de la sécurité civile. Il reprend l'idée défendue par Départements de France de prendre en compte la "valeur du sauvé", c'est-à-dire l'ensemble des coûts évités par l'intervention des pompiers. Les assurances pourraient ainsi être mise à contribution pour alimenter un fonds de modernisation des Sdis. Le Beauvau "devrait être l’occasion d’aboutir à des solutions concrètes", plaide le rapporteur.