Fibre optique - L'Avicca dénonce le manque de transparence des opérateurs
"Avec l’écrémage des quelques pour-cent du territoire qui abritent la majorité de la population, la fracture du haut débit du début du siècle apparaîtra comme une aimable plaisanterie à côté de celle du très haut débit (THD), sans une intervention publique massive", alerte, dans un communiqué du 8 février, Yves Rome, président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), également élu à la tête du département de l'Oise. Même les annonces sur les 148 communes des zones rentables sont démenties par les réalités sur le terrain. "A la communauté urbaine de Lyon, par exemple, les élus constatent que ni les entreprises et les locaux professionnels ni les administrations ne sont totalement fibrés", précise Patrick Vuitton, délégué général de l'Avicca.
Comment les collectivités locales vont-elles bien pouvoir jouer leur rôle d'aménageur numérique si elles ne connaissent pas précisément les déploiements réels sur leurs territoires et les intentions des opérateurs ? Le 3 février, les représentants des collectivités siégeant à la commission consultative d’évaluation des normes ont d'ailleurs refusé un projet de décret organisant cet écrémage. Ce 10 février, le Sénat examine à nouveau les textes permettant une transparence sur les réseaux des opérateurs. L’Avicca demande donc "la plus grande transparence, suite aux annonces d’intention d’investissements" remises par les opérateurs fin janvier dans le cadre de l'appel à manifestations d'intention d'investissement du programme national THD. L'association, bras technique des collectivités sur les sujets télécoms, pose notamment une série de questions : Les immeubles professionnels seront-ils fibrés en même temps que les immeubles d’habitation voisins ? Les chiffres avancés correspondent-ils à des communes où le fibrage sera terminé aux échéances indiquées, ou bien sera commencé ? Les coûts de raccordement que devront acquitter les usagers pour s'abonner à la fibre seront-ils abordables ?
Jeu de poker menteur
"Il y a clairement un effet de communication. Les opérateurs envoient actuellement aux collectivités concernées la copie de leurs intentions adressées au commissariat général à l'Investissement. Nous avons eu accès à des chiffres précis sur une région donnée : dans 90 % des communes, les déploiements sont annoncés pour 2015. Sur un département, ce sont même 96 % des communes qui devront attendre cette échéance. Et on ne sait même pas s'il s'agit de la date de démarrage ou de fin de chantier, sans parler de l'intégralité ou non de la couverture. C'est ce qui permet à France télécom d'afficher l'arrivée de la fibre dans 3.600 communes d'ici 2015 sans augmenter son enveloppe d'investissement de deux milliards d'euros", s'enflamme Patrick Vuitton.
Par ailleurs, la confusion sur les termes semble sciemment entretenue : entre un immeuble "raccordé", un immeuble "raccordable" ou un foyer réellement abonné à la fibre, il y a encore des marges d'investissements. Et que dire des zones pavillonnaires ou des immeubles de moins de douze logements ? "En un an, les opérateurs n'ont pas expérimenté dans ces bâtiments comme le leur avait demandé l'Autorité de régulation des communications électroniques [Arcep] en vue d'établir des règles. Ils prétextent ne pas pouvoir y aller car il n'y a pas de cadre réglementaire. En fait, il n'y a pas de règle parce qu'ils ne veulent pas y aller. C'est un concours de menteurs", dénonce le délégué général. En outre, que faut-il comprendre (entre les lignes) du communiqué de l'opérateur historique quand il prétend que "les déploiements sont également adaptés aux besoins des professionnels et des entreprises" ? Les TPE, PME seront-elles fibrées ou pas ? Et que penser de cette menace, à peine voilée : "La mise en oeuvre du cadre réglementaire au-delà des zones très denses sera déterminante pour favoriser ces investissements ; le groupe y sera particulièrement attentif" ? L'opérateur va-t-il geler ses investissements comme il l'a déjà fait ?
"L'Etat essaie de mettre France télécom sous pression, notamment via le programme national du THD. Il veut pousser les opérateurs à se dévoiler. Dans cette bataille, il n'a pas beaucoup d'armes. L'une d'entre elles est l'action des collectivités territoriales", analyse Patrick Vuitton. Les régions et les départements, en liaison avec les intercommunalités et les syndicats d’énergie, établissent en effet actuellement leurs stratégies de cohérence et leurs schémas directeurs pour les vingt prochaines années. Mais les collectivités ne savent pas précisément ce que feront ou non les opérateurs. Elles ne savent pas plus comment sera alimenté le fonds d’aménagement numérique du territoire, voté il y a plus de un an. Ni quelles règles seront retenues pour l'attribution du fonds national pour la société numérique. "Les élus ne veulent pas de la fracture numérique du très haut débit", avertit à nouveau le président Yves Rome.