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Aménagement numérique - L'Autorité de la concurrence rend son avis sur "les projets intégrés" à très haut débit des collectivités

L'Autorité de la concurrence qui a été saisie par la commission de l'économie du Sénat à propos de l'intervention des collectivités territoriales dans le déploiement de la fibre optique vient de rendre son avis. Son président Bruno Lasserre était au Sénat le 18 janvier pour en présenter la synthèse.
L'Autorité de la concurrence a d'abord rappelé qu'elle avait répondu à la saisine "sans revenir sur le choix politique […] de la complémentarité entre l'action publique et l'action privée". Elle n'a par ailleurs pas proposé de construire ou modifier le paysage concurrentiel à travers une régulation ex-ante, qui relève de la compétence de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), en matière de déploiement des réseaux, de leur architecture technique et de conditions d'accès à ces réseaux par des tiers. Elle se situe sur le plan du droit et de la doctrine européenne qu'elle a analysés en détail. Trois éléments majeurs sont à retenir dans l'avis de 30 pages qui a été publié.

PNTHD : un choix d'opportunité du gouvernement, pas une obligation

Tout d'abord sur la possibilité pour les collectivités de subventionner des projets "intégrés", portant à la fois sur des zones rentables et non rentables au vu des contraintes juridiques découlant du régime communautaire des aides d'Etat, l'autorité relève que le cadre juridique laisse de larges possibilités d'interventions aux collectivités locales "notamment au travers de la notion de services d'intérêt économique général" (Sieg). La Cour de justice européenne considère que dans le domaine des Sieg "une compensation ne constitue pas une aide d'Etat si elle ne fait que compenser les coûts nets liés à l'exécution de telles obligations de service public" (arrêt dans l'affaire Altmark, 2003). Elle note toutefois qu'il convient de respecter "de strictes conditions portant sur la sélection de l'entreprise chargée de fournir ce service ainsi que sur les modalités de compensation financière de cette entreprise". L'autorité souligne au passage que la logique du plan numérique très haut débit (PNTHD) relève plus "d'un choix d'opportunité du gouvernement" que d'une obligation de ce dernier. Dans sa présentation au Sénat, Bruno Lasserre a d'ailleurs indiqué qu'en cas de résultats divergents par rapport à ceux attendus, "il conviendrait d'envisager une redéfinition du modèle de déploiement" (Cf. paragraphe 112 de l'avis).

Rendre les engagements des opérateurs plus contraignants

La deuxième remarque importante concerne les engagements pris par les opérateurs lors de leurs déclarations d'intention. L'Autorité de la concurrence rappelle qu'il est indispensable de maintenir des incitations dans le déploiement de la fibre optique, tant vis à vis des acteurs privés que publics. "Si le PNTHD a permis d'inciter France télécom à prendre des engagements de déploiements substantiels sous la menace d'une large intervention des collectivités territoriales, il n'en demeure pas moins que cet opérateur a structurellement peu intérêt à voir se déployer une nouvelle boucle locale en fibre optique", souligne l'autorité (cf. paragraphe 111). Aussi elle invite les pouvoirs publics à dépasser la simple logique des déclarations d'intention en rendant "les engagements plus contraignants et assortis de sanctions s'ils ne sont pas respectés" (cf. paragraphe 112).

Risques de distorsion de concurrence identifiés par l'autorité

L'autorité a par ailleurs identifié un risque de distorsion de concurrence lorsque, sur des projets de réseaux d'initiative publique (RIP), les opérateurs intégrés (principalement Orange et SFR) se mettent en concurrence avec les "pure players" du secteur (Axione et Covage), c'est-à-dire les opérateurs d'opérateurs qui ne sont pas eux-mêmes fournisseurs d'accès à internet sur le marché de détail du haut débit. En effet, ces derniers ont plus de difficultés à prendre des engagements de présence de fournisseurs d'accès à internet, fréquemment demandés par les collectivités territoriales, que ceux qui le sont déjà eux-mêmes. Pour y remédier, elle propose que les opérateurs verticalement intégrés souhaitant répondre à un appel d’offres de collectivité informent systématiquement en amont la collectivité des conditions dans lesquelles leur branche de détail serait susceptible d’utiliser le réseau public. Ce qu'en pratique les collectivités territoriales pourraient demander de manière systématique dans le cadre des procédures publiques.
Le sénateur Hervé Maurey, corédacteur avec Philippe Leroy de la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, s'est dit "satisfait" de l'avis de l'Autorité de la concurrence. Il a indiqué son intention d'intégrer certains éléments dans la proposition de loi qui sera débattue le 1er février prochain par la commission avant d'être examinée en séance publique le 14 février. En attendant, tous les acteurs sont invités à se reporter à ce nouvel avis "qui présente dans un langage compréhensible une synthèse exhaustive de ce qu'il est possible de faire en matière de réseaux dans le contexte français et européen".