Décentralisation - L'Assemblée peaufine la réforme de l'action publique territoriale et des métropoles
Les décisions de la commission des lois
Au cours de cette seconde lecture dans l'hémicycle du Palais Bourbon, les députés se sont appliqués principalement à peaufiner techniquement le projet de loi. Le 27 novembre dernier, la commission des lois a accompli, en effet, l'essentiel du travail (ci-contre, notre article du 28 novembre).
Trouvant un texte taillé en pièces par le Sénat, elle a réintroduit un par un les dispositifs qui sont chers à la majorité socialiste. Dans le volet de la réforme traitant de la clarification des compétences, le Haut Conseil des territoires, instance nationale de dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, a ainsi fait sa réapparition - avec toutefois, par rapport au texte adopté en première lecture par l'Assemblée, une modification des modalités de désignation de ses membres. En outre, mesure phare de la réforme, les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) ont également fait leur retour. Rappelons qu'au sein de ces instances, les collectivités de chaque région discuteront, d'une part de la mise en œuvre des compétences qu'elles ont en commun, d'autre part des délégations de compétences entre elles et entre l'Etat et les collectivités. Au passage, la commission a accordé une incitation à la signature par les collectivités des conventions d'exercice partagé des compétences, qui résulteront des discussions dans les CTAP.
La commission a aussi retouché la répartition des compétences entre les différentes collectivités chefs de file, en renforçant le rôle de la région. Concernant les dix métropoles de "droit commun", elle a de nouveau montré sa préférence pour le caractère automatique de leur création, alors que le Sénat avait souhaité laisser la décision au bon vouloir des élus locaux concernés. Elle a réintroduit le principe de l'élection, en 2020, d'une partie des conseillers métropolitains et simplifié les possibilités de transfert des ressources financières des communes vers la métropole. Enfin, elle a remanié les dispositions relatives aux "pôles territoriaux d'équilibre", espaces de coopération entre plusieurs intercommunalités, notamment en milieu rural.
Clarification des compétences
Au cours des trois jours de discussion en séance, l'Assemblée a permis aux CTAP de constituer des "commissions thématiques spécialisées" qui pourront associer à leurs travaux "les parties prenantes concernées". Elle a aussi rejeté des amendements qui avaient pour objectif d'autoriser deux départements à fusionner sans avoir l'obligation, comme c'est le cas aujourd'hui, d'organiser un référendum. En commission, le gouvernement et le rapporteur s'étaient clairement opposés à cette perspective. Toutefois, ils avaient donné leur feu vert à un amendement donnant la possibilité de fusionner deux régions contiguës sans consultation des populations concernées. L'amendement avait donc été adopté. En séance, les députés ont encore ouvert la voie à la possibilité pour 10% des membres d'un conseil régional ou d'un conseil départemental de saisir leur assemblée pour débattre de la modification des limites régionales, ou de la fusion des départements avec la région (aujourd'hui, une telle faculté existe pour les regroupements de régions ou de départements).
Les métropoles de Paris, Lyon, Marseille
it que les règles de la création le 1er janvier 2016 de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ont été arrêtées dès la première lecture, puisque l'Assemblée a adopté à l'identique le texte élaboré par le Sénat. A l'inverse, la métropole du Grand Paris a continué à susciter d'âpres débats. A leur terme, la création le 1er janvier 2016 d'un établissement public de coopération intercommunale coiffant Paris et la petite couronne a été confirmée, comme le voulait le gouvernement (lire notre article du 12 décembre 2013).
Sur la métropole de Lyon, collectivité territoriale qui naîtra le 1er janvier 2015 de la fusion entre la communauté urbaine et la partie du département du Rhône située à l'intérieur de ses limites, une polémique est née sur la question du cumul des mandats. Suivant l'avis du gouvernement, les députés sont revenus sur un amendement de la commission des lois interdisant à un conseiller de la métropole de Lyon d'être aussi conseiller départemental ou régional. Les conseillers du Grand Lyon seront "les seuls élus de France à (pouvoir) siéger dans trois collectivités de plein exercice" : commune, conseil général ou régional, conseil de la métropole, a souligné la députée PS de Villeurbanne Pascale Crozon. Les députés sont revenus, par ailleurs, sur un amendement gouvernemental adopté en commission, qui érigeait la métropole lyonnaise en section départementale pour l'élection des conseillers régionaux de Rhône-Alpes et fixait le nombre des candidats pour ce territoire. Les autres amendements adoptés sur la métropole lyonnaise (notamment sur le vote des taux de fiscalité et les instances consultatives paritaires) ont été de nature plus technique.
Les autres métropoles
Sur les métropoles de "droit commun" aussi, les députés n'ont fait, pour l'essentiel, qu'amender le texte à la marge. Notamment, ils ont ouvert la possibilité aux communautés d'agglomération et urbaines qui se transformeront en métropole au 1er janvier 2015 de fixer, par anticipation, un nombre maximal de 20 vice-présidents, ce qui leur évitera de désigner de nouveaux vice-présidents en cours de mandat.
Les députés ont, toutefois, de nouveau débattu de l'élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains, du fait de la pression exercée par les écologistes sur ce sujet. Ceux-ci ont demandé qu'une majorité des conseillers soient élus au suffrage universel direct, dans le cadre de circonscriptions plus larges que les communes, comme le prévoyait le projet de loi issu de la discussion de l'Assemblée en première lecture. Le gouvernement et le rapporteur ont refusé de décider immédiatement quelle devait être la proportion de ces élus par rapport aux conseillers élus dans le cadre des communes. Mais au nom du gouvernement, Marylise Lebranchu s'est engagée à ce qu'une loi permette "prochainement" d'"avancer vers le suffrage universel direct". Après cette déclaration, les députés ont approuvé un amendement écologiste prévoyant que les règles définissant les modalités d'élection directe d'une partie des conseillers métropolitains seront "fixées avant le 1er janvier 2017".
Les autres dispositions
Les députés ont encore apporté des modifications techniques aux volets du texte concernant la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la dépénalisation du stationnement et le transfert aux régions de la gestion des fonds européens. A signaler aussi, ils ont approuvé un nouveau type de dérogation aux seuils de création d'une communauté d'agglomération (ville centre de 15.000 habitants dans une agglomération de 50.000 habitants). Il s'agit à présent de faciliter l'accès à ce statut à certaines communautés de communes du littoral, par exemple celle de Fécamp, dont l'auteur de l'amendement, Estelle Grelier, est la présidente.
Petite surprise, quasiment au terme de la discussion, les députés ont adopté un amendement du gouvernement qui prolonge en 2013 et 2014 l'expérimentation dans les collectivités de l'entretien annuel ayant pour rôle d'évaluer la valeur professionnelle des agents. Début 2015, l'entretien se substituera à la notation. L'Assemblée a donc validé le scénario que le gouvernement a annoncé, en mars dernier, devant le conseil supérieur de la fonction publique territoriale (notre article du 26 mars 2013 : "Supplantée par l'entretien professionnel, la notation des agents vit ses derniers moments").
Prises de position et réactions
"Votre réforme vient parachever tout un plan de laminage de nos collectivités. Elle prépare un chambardement inédit pour les millions d'agents de la fonction publique" a dénoncé le communiste André Chassaigne. Pour sa part, l'UMP Hervé Gaymard a décrié une "loi monstrueuse", tandis que son collègue Alain Chrétien, en évoquant les CTAP, a estimé qu'elles seraient "un lieu de conflits, où les plus puissants imposeront l'exercice des charges aux plus faibles, sans assumer le coût correspondant". "Votre projet de loi n'est pas l'acte III de la décentralisation que l'on nous avait annoncé. (...) Or, nous ne pourrons pas éternellement maintenir notre organisation territoriale dans un tel état de décentralisation inachevée (...)", a déclaré, pour sa part, Michel Piron, au nom de l'UDI.
La ministre en charge de la Décentralisation a fait part de sa satisfaction, notamment concernant l'adoption du Grand Paris et des CTAP.
Michel Destot, député-maire de Grenoble et président de l'Association des maires de grande villes de France a salué, au cours de la discussion, un texte qui "reconnaît pleinement et pour la première fois la réalité urbaine de notre pays." Du côté des autres associations d'élus, l'Association des petites villes de France a jugé, dans un communiqué, que le premier volet de la réforme territoriale "constitue une étape vers la clarification des compétences des collectivités locales", notamment au travers des CTAP. Jusque-là très critique sur la réforme, l'Association des régions de France a estimé, de son côté, que les députés "sont parvenus à un texte équilibré sur les points qui restaient en discussion". Mais elle a souhaité que le second projet de loi de décentralisation consacré aux régions, accorde à celles-ci le pouvoir d'adapter les lois.
Le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles passera le 17 décembre en commission mixte paritaire (sept députés et sept sénateurs). Il sera définitivement adopté en janvier au plus tard.