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Culture - L'Assemblée nationale introduit les langues régionales dans la Constitution

Quelques jours après la déclaration du gouvernement et le débat sur les langues régionales organisé à l'Assemblée nationale le 7 mai, le dossier a connu une brusque accélération à l'occasion de l'examen, le 22 mai, du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Les députés ont en effet adopté, à la quasi-unanimité, un amendement présenté par Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois et rapporteur du projet de loi. Celui-ci complète l'article 1er de la Constitution ("La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée") par la phrase "Les langues régionales appartiennent à son patrimoine". Au-delà de son aspect quelque peu tautologique, cette phrase constitue une avancée significative pour les tenants des langues régionales, qui n'ont pas manqué de la saluer comme telle lors de la discussion.
La surprise vient plutôt de la position du gouvernement. Lors du débat du 7 mai, la ministre de la Culture avait en effet affirmé que "le gouvernement ne souhaite pas s'engager dans un processus de révision constitutionnelle". Il est vrai qu'il s'agissait alors d'écarter la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, dans la mesure où celle-ci impliquerait, selon Christine Albanel, "la reconnaissance, qui n'est pas seulement symbolique, d'un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique". Mais le 22 mai, le gouvernement, par la voix de la garde des Sceaux, s'est déclaré "tout à fait favorable" à l'amendement du président de la commission des lois. Il est vrai que ce ralliement du gouvernement repose sur un subtil distinguo négocié avec la commission des lois : le texte proposé porte en effet sur l'article 1er de la Constitution, qui pose notamment le principe de l'organisation décentralisée de la République, et non pas sur l'article 2, proclamant que "la langue de la République est le français". Evoquant l'ajout du texte de l'amendement sur les langues régionales, Rachida Dati a pu ainsi expliquer qu'il lui "semble logique de le faire dans l'article 1er, qui spécifie que la République est décentralisée, plutôt que de sembler les opposer au français à l'article 2".
Si la loi constitutionnelle de modernisation des institutions est finalement adoptée, la situation des langues régionales sera quelque peu paradoxale. Leur introduction dans la Constitution constitue certes une avancée très conséquente pour leurs défenseurs. Mais elle a surtout une valeur symbolique et très peu de portée pratique. Le fait que les langues régionales ne sont pas mentionnées à l'article 2, mais sont seulement présentées comme l'une des composantes du patrimoine national, permettra à la France de maintenir son refus de ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Il n'y aura donc pas de droit imprescriptible à utiliser les langues régionales au sein de la sphère publique. Et le projet de loi annoncé le 7 mai par Christine Albanel, pour donner "un cadre de référence" aux langues régionales, devrait s'en tenir à des mesures a minima, notamment en matière d'enseignement. Lors de la discussion de ce projet de loi, dont la date n'est pas encore fixée, les partisans des langues régionales ne devraient toutefois pas manquer de tirer parti de cette reconnaissance constitutionnelle pour réclamer des mesures plus ambitieuses.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Référence  : projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (examiné en première lecture par l'Assemblée nationale du 20 au 27 mai 2008).