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Réforme des institutions - L'Assemblée engage la longue bataille de la réforme des institutions

L'Assemblée nationale a démarré ce 10 juillet le débat parlementaire sur la réforme des institutions, qui doit durer plusieurs mois. Les députés examinent ces jours-ci le volet constitutionnel, qui entend notamment améliorer la "fabrique de la loi" et renforcer la différenciation territoriale. L'ombre des sénateurs, avec lesquels ils devront trouver un accord, planera sur la discussion.

Au lendemain du Congrès de Versailles, l'Assemblée nationale a entamé mardi 10 juillet le marathon sur la réforme des institutions voulue par l'exécutif, avec d'abord au menu le projet de loi constitutionnelle. Un texte qui donnera lieu à la discussion de quelque 2.400 amendements, principalement déposés par l'opposition, jusqu'au 24 juillet prochain, date du vote.
Suppression de la Cour de justice de la République, réforme du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Conseil supérieur de la magistrature, fin de la présence à vie des anciens présidents de la République parmi les membres du Conseil constitutionnel, interdiction du cumul des fonctions ministérielles et des responsabilités exécutives locales figurent parmi les 18 articles de ce projet de loi "pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace". La différenciation territoriale, la possibilité pour les régions et les départements d'outre-mer de fixer leurs propres règles, la mention de la Corse et "la rationalisation" du travail parlementaire sont également au menu de ce projet de modification de la Constitution, le vingt-cinquième en soixante ans.
Un texte qui s'est étoffé au cours des 42 heures de réunion des commissions. Si la plupart des 1.500 amendements déposés à ce stade, dont beaucoup relevaient du "concours Lépine", ont été rejetés, 70 ont obtenu un feu vert. A l'instar de l'interdiction des discriminations en fonction du sexe et de la suppression du mot "race" à l'article 1er de la Constitution. Il est aussi prévu que cet article affirme l’action de la France "pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, et contre les changements climatiques". Par ailleurs, le principe de "protection des données personnelles" pourrait être gravé, en vertu d'un amendement.

Edouard Philippe : les trois textes "forment un tout"

Le projet défendu par la majorité est une "réforme de confiance" pour "notre démocratie, qui a besoin d’un nouveau souffle", a soutenu Yaël Braun-Pivet, l'un des rapporteurs et présidente de la commission des lois. "Réviser la Constitution (…) engage vis-à-vis du passé et (…) nous engage aussi vis-à-vis de l’avenir", a prévenu de son côté le Premier ministre. Edouard Philippe a considéré que les trois projets de loi (constitutionnelle, organique et ordinaire) présentés respectivement les 9 et 23 mai en conseil des ministres "forment un tout, c’est-à-dire que l’un ne va pas sans les autres et que les uns renforcent les autres". Les deux autres textes, que l'Assemblée nationale examinera à la rentrée – au moment où le Sénat débattra du projet de loi constitutionnelle – prévoient la limitation à trois du nombre des mandats dans le temps (sauf pour les maires des communes de moins de 9.000 habitants et les présidents des intercommunalités à fiscalité propre de moins de 25.000 habitants). Mais la réforme n'entrerait en vigueur que dans 15 à 18 ans. Au programme aussi : la réduction de 30% du nombre des parlementaires et l'introduction d'une dose de proportionnelle (15%) aux législatives. Edouard Philippe a justifié ces changements par la nécessité d'une plus grande diversité sur les bancs des assemblées et dans les collectivités locales.
C'est sur ces différentes mesures que l'opposition LR a dirigé ses attaques, en défendant des motions de rejet préalable et de renvoi en commission, qui toutes deux ont été repoussées. Avec plus que 404 députés (contre 577 aujourd'hui) et 244 sénateurs (contre 348), les parlementaires "seront très éloignés des électeurs, (…) coupés des réalités voire, pour certains, en lévitation complète", a critiqué Philippe Gosselin (LR). Son collègue François Cornut-Gentille a calculé qu'en prenant en compte la proportionnelle, des circonscriptions compteront "bien plus de 200.000 habitants", quand la moyenne est aujourd'hui d'un député pour 113.000 habitants. Ce volet de la réforme inquiète tout particulièrement les élus ruraux. "Tous les départements, toutes les collectivités d’outre-mer auront au minimum un député et un sénateur pour les représenter", avait précisé juste avant le chef du gouvernement.

Différenciation territoriale : le débat s'annonce vif

Les groupes d'opposition ont aussi bataillé pour contrer un "abaissement des droits du Parlement". Ce dernier "est de plus en plus réduit au rang d’inspecteur des travaux finis", a ainsi dénoncé Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine). Pour la France insoumise, Bastien Lachaud a de son côté estimé que "ce doit être au peuple d’écrire la Constitution, et à lui seul".
"Après trente années de décentralisation, (...) il nous fallait franchir une nouvelle étape", a déclaré Marc Fesneau. Le chef de file des députés MoDem a présenté le volet territorial du projet constitutionnel, qui comprend en particulier le droit à la différenciation pour les collectivités. Un principe qu'a également défendu Jean-René Cazeneuve (LaREM). "Nous pouvons admettre que les routes nationales ne soient pas gérées par le même niveau de collectivité dans la région Grand Est ou en Bretagne, ou que des modes de fonctionnement différents soient retenus pour la gestion des collèges en Hauts-de-France ou en Occitanie", a affirmé le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Qui souhaite "aller un peu plus loin" dans la prise en compte des spécificités des territoires et défendra donc, en séance, deux amendements dans ce but.

Autonomie fiscale locale : la majorité fait barrage

En commission, les députés de la France insoumise avaient estimé que la différenciation territoriale est "un danger considérable", car elle "rompt avec l’égalité des citoyens devant la loi". Cette fois, en séance, les critiques sont venues de LR. "On est loin (…) du pacte girondin annoncé par le président de la République", a regretté Philippe Gosselin. "Allons jusqu’à l’autonomie financière mais aussi fiscale !", a également lancé l'ex-maire de Remilly (Manche). Sur ce sujet, les amendements déposés par Charles de Courson (UDI) et Christophe Jerretie (LaREM) "font écho à des préoccupations légitimes des collectivités", a soutenu Jean-René Cazeneuve. Les deux rapporteurs d'une "mission flash" de la délégation créée à l'automne dernier entendent garantir aux collectivités territoriales le bénéfice de ressources fiscales dont elles peuvent fixer "l'assiette, le taux ou le tarif." Mais la commission des finances a rejeté leurs amendements, tout comme ceux - identiques - déposés par le groupe Nouvelle Gauche et des députés marcheurs.
"Ayons à l’esprit la nécessité de rapprocher nos points de vue [avec les sénateurs]", a souligné Richard Ferrand, patron du groupe majoritaire et rapporteur général. "Il n’y a aucun accord caché" avec eux, a-t-il précisé. Les deux chambres doivent en effet in fine adopter un texte identique, avant une adoption définitive aux trois cinquièmes des suffrages exprimés par les députés et sénateurs réunis en Congrès, ou bien par référendum. Sans doute l'éphémère ministre de la Cohésion des territoires devra-t-il faire plus d'une fois ce rappel au cours de la discussion parlementaire.