Agriculture - L'agro-écologie, c'est possible grâce aux territoires
Jack Lang a eu la Fête de la musique. Stéphane Le Foll a voulu sa "Nuit de l'agro-écologie". C'était le 23 juin. Il n'est pas sûr que cette dernière connaisse le même avenir. En revanche, l'opération n'aura rien fait pour atténuer l'image "bobo" accolée à l'agro-écologie. "On observe que la communication est restée à un niveau trop politique et parisien", regrette même le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dans un audit sur "la mobilisation des partenaires du projet agro-écologique", publié le 29 novembre (voir ci-contre).
Le ministre de l'Agriculture s'est fait le chantre de l'agro-écologie à son arrivée en 2012 en se fixant un objectif très ambitieux : amener la moitié des exploitations à changer leurs pratiques d'ici à 2025. Un objectif difficile à atteindre dans le contexte actuel de la crise agricole où nombre d'exploitations pensent avant tout à leur survie, et surtout "très difficile à comptabiliser", reconnaît Cécile Claveirole, rapporteur d'un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), adopté le 23 novembre. D'abord parce que cette notion, à mi-chemin entre l'agriculture conventionnelle et le bio, reste assez floue et parce que les indicateurs pour l'évaluer manquent à l'appel. L'Inra ne nous éclaire pas beaucoup en la définissant comme "la fertilisation croisée de l'agronomie, de l'écologie et de la zootechnie". Stéphane Le Foll, lui, la met au rang de la "triple performance économique, environnementale et sociale", désormais inscrite dans le code rural. L'agro-écologie consiste en somme, pour l'agriculteur, à limiter son impact sur l'environnement (réduire les intrants chimiques et l'érosion des sols, préserver la ressource en eau…) tout en se rendant plus autonome vis-à-vis des fournisseurs, de manière à se dégager des marges. Une sorte de cercle vertueux derrière lequel de plus en plus d'agriculteurs se reconnaissent. Ils sont 79% à connaître le concept contre 50% en 2014, selon un sondage BVA de 2015. Et 34% des agriculteurs déjà engagés dans de telles démarches souhaitent aller plus loin. Encore faut-il le pouvoir. Dans son avis, le Cese propose d'expliciter dans la définition de l'agro-écologie les notions d'autonomie et de compétitivité des exploitations en précisant qu'il s'agit de "renforcer la viabilité économique durable des exploitations et le développement d'emplois de qualité". "La promotion de l'agro-écologie au sein de la communauté internationale implique de tirer toutes les conséquences des spécificités de l'agriculture", explique-t-il, renvoyant à un précédent avis du Cese sur le traité transatlantique. Selon lui, il est "impératif de sortir de la "spirale infernale" de la baisse des coûts de production imposée par la mondialisation.
Libre-échange
De nombreuses voix aujourd'hui réclament un retour du lien entre le "champ et l'assiette". Lors d'une table-ronde organisée par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, le 30 novembre, la députée socialiste Florence Delaunay a abondé dans ce sens et réclamé "une exception agriculturelle dans le commerce mondial", reprenant-là une vieille revendication de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne. "Les traités de libre-échange en cours de négociation reposent systématiquement sur l'abandon de l'agriculture européenne aux entreprises nord-américaines en échange de l'accès aux marchés des services américains", a-t-elle dénoncé.
Pour l'agronome François Léger, l'agro-écologie "est un retour à la raison plutôt qu'un retour au passé". Le modèle actuel, qui a d'abord été d'une "incroyable efficacité" se heurte aujourd'hui à la "fatigue progressive de nos sols". "Les exploitations céréalières les plus performantes ont atteint leur maximum d'efficacité dès la fin des années 1980. Le club des 100 quintaux a réalisé ses objectifs en 1983…", a-t-il illustré. Le décalage permanent entre les coûts de production et les prix, résolue par l'agrandissement des fermes, a conduit à une concentration des exploitations, une destruction d'emplois - "l'agriculture emploie moins de 850.000 personnes dont 200.000 salariés" -, avec pour conséquence, "une rupture du lien au citoyen, au consommateur". "Depuis cinquante ans, on veut nous persuader que l'alimentation ne vaut rien. Quand on paie le porc 1,40 euro le kilo à un producteur, on a détruit tout sens derrière ce produit", a-t-il pointé, relevant le paradoxe : "Il y a plus de gens dans le monde qui souffrent de surpoids pathologique que de gens qui souffrent de la faim… mais nous n'avons absolument pas réduit à l'échelle planétaire le nombre de gens qui souffrent de la faim." Selon lui, "la société a perdu sa direction, son sens, ses valeurs".
Labels territoriaux
En l'absence d'un changement des règles du jeu mondial, on en appelle aux territoires. S'engager dans la transition agro-écologique "implique une prise de risques que les démarches collectives arrivent à surmonter", a insisté Cécile Claveirole, lors de cette même table-onde. Dans son avis, elle préconise une forme de contractualisation entre les producteurs de céréales et de protéagineux et les éleveurs, afin que les premiers fournissent aux seconds les aliments nécessaires à leurs élevages "à des tarifs déconnectés des cours mondiaux mais fondés sur la prise en compte de leurs coûts respectifs". Elle en appelle aussi bien aux consommateurs - car ce sont "leurs comportements alimentaires et leurs choix d'achats qui peuvent favoriser l'évolution des pratiques agro-écologiques" - qu'aux collectivités territoriales. Elle préconise de regrouper les plans régionaux d'agriculture durable (Prad) créés en 2010 et les projets alimentaires territoriaux (PAT) de 2014. Les collectivités doivent davantage orienter leurs politiques d'achats vers les producteurs locaux, structurer des filières, conduire au niveau des régions des audits des outils de transformation (abattoirs, unités de stockage, de transformation…). Le Cese encourage aussi la création de labels territoriaux, sous l'égide des régions, sur la base de cahiers des charges établis "avec l'ensemble des parties prenantes".
Un "écosystème territorial" à Figeac
La coopérative agricole Fermes de Figeac au nord du Lot offre un bel exemple de réussite territoriale. En une trentaine d'années, cette coopérative composée essentiellement d'éleveurs de bovins a vu ses effectifs passer de 20 à 160. La crise de la vache folle a provoqué une prise de conscience : "On s'est aperçu que pas un kilo de viande (vendue dans les magasins locaux, ndlr) venait du territoire alors qu'on avait des producteurs", a témoigné Dominique Olivier, le directeur de la coopérative. Aujourd'hui, les circuits courts génèrent 5 millions de chiffre d'affaires et ont permis de créer 26 emplois. Trois boucheries ont été créées, 11 bouchers formés. L'abattoir local emploie 50 personnes… Par la suite, la coopérative s'est rapprochée des collectivités pour créer un programme alimentaire territorial avant l'œuvre : "Terres de Figeac Mêlée gourmande". "On crée de la valeur et on crée du lien. (…) Les agriculteurs qui se mettent en circuit court se mettent petit à petit d'eux-mêmes à l'agro-écologie", s'est félicité Dominique Olivier, évoquant un "écosystème territorial".
Aujourd'hui, c'est tout le territoire qui s'est mis en marche autour des circuits alimentaires, mais aussi des énergies renouvelables, avec le "plus gros projet de ferme photovoltaïque français", une ferme éolienne en service depuis trois mois grâce à une levée d'épargne citoyenne, le rachat d'une scierie alimentée par le bois local… Des maraîchages et une légumerie vont bientôt voir le jour. Et les éleveurs sont aujourd'hui autonomes en productions céréalières ! L'un des principaux freins relevés par Dominique Olivier est l'agrandissement des exploitations et l'accès au foncier. Mais il n'est pas à court d'idées. Lors de la venue de Stéphane Le Foll la semaine dernière, il lui a proposé d'expérimenter une coopérative foncière. La question est de savoir si aujourd'hui, l'agro-écologie si fortement associée au nom du ministre saurait lui résister. Devant l'Assemblée, le député LR Martial Saddier a annoncé la couleur. L'agriculture "est soumise tous les jours à la compétition européenne et mondiale (...) Comment pourrait-on faire croire que des micro-propositions pourraient être demain la solution à la première puissance agricole européenne ?"