Personnes âgées - La "Silver économie" commence à prendre tournure

Les personnes âgées et la dépendance comme gisement d'emplois et source de compétitivité de l'industrie et des services dans les prochaines décennies : depuis des années, cette affirmation tient lieu d'incantation rituelle, avec d'ailleurs des résultats qui ne se montrent pas toujours à la hauteur, comme le montrent les difficultés de l'emploi à domicile. Mais les choses pourraient enfin changer avec la filière de la "Silver économie".
Présentée en avril dernier par Michèle Delaunay, ministre déléguée chargé des Personnes âgées et de l'Autonomie, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif (voir notre article ci-contre du 24 avril 2013), la filière entend capitaliser sur les besoins liés au vieillissement de la population pour développer une filière de production de biens et de services centrés notamment sur le bien-être et la préservation de l'autonomie. La Silver économie se veut aussi le volet "high-tech" de l'impact économique du vieillissement, face au volet des emplois à domicile, moins reluisant.

Silicon Valley du vieillissement

Pour la première fois depuis que cette question de l'impact économique du vieillissement est évoquée, cette approche semble en passe de se concrétiser. Michèle Delaunay et Arnaud Montebourg lui ont en effet donné sa première traduction concrète avec l'inauguration, le 1er juillet, de la Silver Valley. Dans leur communiqué conjoint, les deux ministres n'hésitent pas à qualifier cette dernière de "forme de Silicon Valley du vieillissement".
Sans aller jusque-là, il s'agit en l'occurrence d'un regroupement d'entreprises innovantes, dont leur cœur sera la plateforme immobilière Charles Foix à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), sur les terrains du grand hôpital gériatrique Charles Foix de l'AP-HP. Ce site - porté par Soliage, un cluster du sud-est francilien - constituera le cœur de la Silver Valley. Sur environ 5.000 m2, il regroupe déjà une cinquantaine d'entreprises, avec pour ambition d'en accueillir à terme environ 300. L'objectif du gouvernement est en effet "de faire de la France l'un des leaders mondiaux de la Silver économie".

Un comité de filière

Au-delà de l'inauguration du site, Michèle Delaunay et Arnaud Montebourg ont également installé un comité de filière Silver économie et en ont confié la présidence à Gilles Schnepp, le PDG du groupe Legrand, spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment.
En revanche, les deux ministres ne sont pas revenus sur ce qu'ils avaient annoncé lors du lancement de la filière en avril dernier (voir notre article ci-contre du 23 avril 2013), autrement dit la déclinaison de cette stratégie nationale au niveau des régions sous forme de schémas régionaux "silver-économiques" et l'identification de trois régions de préfiguration de la vision cible, avec mise en place d'un comité de pilotage entre la région, les départements et l'agence régionale de santé (voir notre article ci-contre du 24 avril 2013).
La prochaine étape est désormais la signature d'un contrat de filière, prévue pour octobre 2013.

 Jean-Noël Escudié / PCA

Pour les professionnels, le marché immobilier de la résidence services pour personnes âgées n'est pas mature

Selon des professionnels de l'immobilier, il n'y a pas un marché pour les personnes âgées mais trois, en fonction du degré d'autonomie de la personne. François Georges, président de GPE Acapace-Les Jardins d'Arcadie, par ailleurs président du Syndicat national des résidences avec services pour les aînés, distingue ainsi trois catégories de séniors.
Il y a d'abord les "séniors actifs qui font marcher l'économie". Ils ont entre 60 et 75 ans, ils sont en bonne santé et consomment. Ceux-là penchent pour deux types de produits immobiliers : la résidence secondaire et, pour certains, la résidence séniors qui peut être située à l'extérieur des villes (ce qui leur convient car ils possèdent une voiture et la conduisent).
Viennent ensuite les 75-85 ans, encore autonomes ou semi autonomes, victimes d'un premier accident de la vie (maladie, veuvage), et qui commencent à avoir besoin d'assistance (ces personnes ne conduisent plus, par exemple). Ceux-là souhaitent la plupart du temps rester à domicile ; mais certains, en mal de solitude et aux revenus élevés, représentent la cible de clientèle des Jardins d'Arcadie, résidences services situées en centre-ville. "L'isolement est la première cause de dépendance", répète François Georges.
Le troisième marché est celui de la maison de retraite médicalisée ou de l'Ehpad privé. Les clients y demeurent, en moyenne, 18 mois.
Ce marché à trois segments est très récent, si on en croit François Georges qui a lancé dans les années 90 son premier Jardin d'Arcadie dans un contexte où "il n'y avait pas d'Ehpad, les personnes âgées allaient à l'hôpital". A la faveur de la prise de conscience de la grande dépendance, les Ehpad, publics mais aussi privés et associatifs, se sont développés, si bien que pour François Georges, il y aurait aujourd'hui suffisamment d'Ehpad. Restent deux marchés à investir : les services privés de maintien à domicile et les résidences services dont le parc est estimé à 600 aujourd'hui.
Daniel Znaty, directeur de produit immobilier à l'Union financière de France, connaît bien le comportement de ses clients : "les investisseurs veulent un rendement qui soit sécurisé". Et pour être sécurisé, ils exigent un rendement des résidences services pour personnes âgées supérieur à celui du logement résidentiel d'habitation classique qui, lui, peut se prévaloir d'une augmentation à long terme de sa valeur. Or, même si Daniel Znaty observe que "le marché de la résidence senior explose depuis 4 à 5 ans", le marché n'est pas encore mature et le professionnel de l'investissement "attend".
"Nous prenons le moins de risque possible", confie-t-il, "nos choix se portent sur des bâtiments en centre-ville, avec le moins de parties communes possibles, pour pouvoir facilement transformer le bâtiment en bâtiment classique avec commerce en pas de porte et logements au-dessus si le marché venait à baisser". L'idée est, selon ses dires, d'investir dans des bâtiments "transformables en cas de retournement de marché". C'est dire s'il est prudent sur l'avenir du marché.

Valérie Liquet