La restauration universitaire : un enjeu de justice sociale pour les étudiants

Dans un rapport publié début 2025, le Haut Conseil de la famille de l'enfance et de l'âge (HCFEA) met en évidence le manque de cohérence de l'action publique en matière d'accès à l'alimentation pour la population étudiante. Celle-ci bénéficie d'une offre de restauration collective organisée par le réseau des œuvres universitaires et scolaires subventionnée par l'État : 26 Crous gèrent environ 940 points de distribution dans 186 villes. Les deux tiers des étudiants fréquentent aujourd'hui cette offre de restauration. Un service public largement perfectible.  

La précarité alimentaire des étudiants est un phénomène largement documenté. En 2023, 28% des étudiants déclaraient avoir besoin d'une aide alimentaire, tandis que 13% affirmaient ne pas avoir suffisamment à manger, selon l'Observatoire de la vie étudiante. Or, cette situation pose des enjeux majeurs en termes de santé publique et d'équité sociale, influant directement sur la réussite scolaire, estime le Haut Conseil de la famille de l'enfance et de l'âge (HCFEA) dans son rapport publié le 8 janvier 2025

Les Crous : acteurs-clés confrontés à des limites

Les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) gèrent près de 940 points de restauration dans 186 villes. Cafétérias, restaurants universitaires, vente à emporter... toutes ces offres sont regroupées sous un réseau en régie directe. Depuis 2017, une centrale d'achats nationale, dirigée par le Cnous, coordonne l'approvisionnement. En parallèle, les Crous signent des conventions avec d'autres structures de restauration collective, comme celles des établissements hospitaliers et des collectivités territoriales, pour élargir l'offre. Malgré ces dispositifs, des incohérences persistent. Les responsabilités liées à la restauration étudiante sont fragmentées entre plusieurs acteurs. Cette complexité rend l'accès aux services peu lisible pour les étudiants, amplifiant les inégalités territoriales. Le HCFEA recommande donc de renforcer la coordination entre les acteurs de la vie étudiante en charge de la restauration universitaire, de l'éducation à l'alimentation, de la santé et de l'aide alimentaire, "afin de faciliter l'instauration d'une politique cohérente et compréhensible d'alimentation en direction de la population étudiante". 

Des tarifs à plusieurs vitesses

Le tarif des repas est fixé nationalement par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Deux options coexistent : un tarif social à 3,30 euros pour les étudiants non boursiers et un tarif très social à 1 euro pour les étudiants boursiers ou reconnus précaires par le Crous. Cependant, ces formules ne couvrent qu'une partie de l'offre, laissant de nombreux produits hors de portée pour les plus fragiles.

Par ailleurs, le cadre réglementaire fixant les normes nutritionnelles en restauration universitaire, prévu par un décret de 2012, n'a jamais été appliqué faute d'arrêté apportant les précisions nécessaires, ce qui soulève des interrogations sur la qualité des repas proposés. Le HCFEA  rappelle qu'il faudrait prendre cet arrêté interministériel en priorité "afin de garantir le respect des grammages et des quantités servis dans les repas à tarif social et très social dans les structures de restauration gérées et agréées par les Crous". 

Une fréquentation en hausse mais des files d'attente

Le Conseil de la Famille constate par ailleurs que malgré l'élargissement des horaires des bibliothèques universitaires et des cours en soirée, seule une cinquantaine de structures de restauration collective des Crous restent ouvertes le soir et le week-end. Il appelle à un soutien financier accru pour répondre aux besoins des étudiants.

Depuis la réouverture des restaurants universitaires en septembre 2021, leur fréquentation a augmenté, atteignant les deux tiers des étudiants en 2023. Cette hausse est liée à l'introduction du tarif à 1 euro. Mais elle se matérialise par des temps d'attente prolongés, "cause majeure de désaffection pour certains étudiants qui préfèrent apporter leur repas ou rentrer chez eux".

La loi "Lévi" et ses limites

Promulguée en avril 2023, la loi Lévi garantit une offre de restauration à tarif social ou très social à proximité des lieux d'étude. En cas d'absence de structures, une aide financière est prévue. Toutefois, le Conseil de la famille critique les montants des aides fixés en novembre 2024, jugés insuffisants pour compenser l'absence de points de restauration, notamment dans les DROM : "l'esprit de la loi n'est pas respecté" selon lui. Le Conseil estime aussi que la complexité des procédures risque aussi d'engendrer un taux élevé de non-recours.

Le repas à 1 euro pour tous : une mesure en discussion

Le 4 décembre 2024, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à généraliser le repas à 1 euro pour tous les étudiants. Cette mesure, soutenue par des associations étudiantes, serait financée par une taxe supplémentaire sur le tabac. Reste à voir ce qu'il peut advenir de cette proposition de loi dans un contexte politique flou. 

C'est d'ailleurs également le terme choisi par la HCFEA pour qualifier le modèle économique de la restauration universitaire : "flou". La subvention allouée aux Crous couvre à la fois la restauration et l'hébergement, sans détail précis sur la part attribuée à la restauration. Le Conseil appelle à une clarification pour mieux évaluer le coût réel d'un repas et garantir une meilleure gestion des fonds publics.

Un service public à renforcer

Le Haut Conseil estime que la restauration universitaire poursuit une mission de service public essentielle. Pour répondre aux besoins croissants des étudiants et réduire les inégalités, il est nécessaire de renforcer la qualité, l'accessibilité et la transparence des dispositifs. La restauration à 1 euro pour tous lui parait être une solution prometteuse, à condition d'être financée de manière durable.