"La résilience urbaine est un levier considérable dans la lutte contre le changement climatique", estime François Gemenne

Pour l’enseignant-chercheur François Gemenne, intervenant au cours d’une journée de formation organisée à Blois ce 28 mai par le CNFPT, la recherche de la résilience urbaine, longtemps ignorée, est devenue une nécessité. Elle constitue pour lui un levier considérable dans la lutte contre le changement climatique, à condition d’actionner trois leviers : la réduction des inégalités, la "désirabilité" des transitions et le renouveau démocratique.

La résilience urbaine. Tel était le thème de la journée de formation organisée ce 28 mai, à Blois (Loir-et-Cher), par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), au bénéfice d’une centaine d’agents venus de toute la France. Une notion que plusieurs intervenants eurent bien du mal à définir. "La géographe Magali Reghezza-Zitt a montré que la notion était polysémique", argue Mathilde Gralepois, enseignant-chercheur. "Chacun a son interprétation", l’appuie Cathy Savourey, adjointe au maire de Tours. Certes, le concept est discuté. Mais ne pas définir les choses ne revient-il pas, comme mal les nommer, à ajouter au malheur de ce monde ? En introduisant la séance, le président de communauté d’agglomération Agglopolys Blois, Christophe Degruelle, avait d’ailleurs d’emblée insisté sur l’importance de la sémantique, évoquant les désormais classiques "transitions" au pluriel, le "changement" et non le réchauffement climatique, etc. Sans toutefois se risquer à définir lui-même la notion… 

Le salut est venu de Philippe Oursin, directeur de la délégation régionale du CNFPT, qui y voit "la capacité d’une ville à absorber des perturbations pour préserver ses fonctions essentielles". "La résilience, c’est d’abord des chocs, et savoir comment les encaisser", appuie Olivier Gaudin, enseignant à l’École supérieure de la nature et du paysage. Et des chocs, il va y en avoir, prévient l’enseignant-chercheur François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du Giec, dont l’intervention aura sans doute constitué le point d’orgue de la journée.

Adaptation en continu au changement climatique

"La résilience a très longtemps été minorée dans le débat sur le changement climatique", déplore François Gemenne. "Nous étions dans l’illusion de l’invulnérabilité, pensant que le phénomène ne toucherait que 'les autres' – les autres pays, les générations futures." Mais les inondations en Allemagne et en Belgique en 2021, la sécheresse en France en 2022 ont déchiré le voile, observe-t-il. Et avec lui le partage des tâches un temps imaginé – au Nord l’atténuation, au Sud l’adaptation – a volé en éclats. Désormais, tout le monde devra mener les deux de front, "et les combiner", souligne l’expert. Et d’insister : "Il faut cesser d’opposer les deux." Cela devrait être d’autant plus aisé que, selon lui, "atténuation et adaptation ont beaucoup de points communs, à commencer par la notion de trajectoire. Il n’y jamais vraiment un état de résilience. C’est une adaptation continuelle, qui nécessite parfois de remettre en question certains de nos choix". Laquelle nécessite ainsi de "réactualiser les cartographies de risques en permanence, avec des outils dynamiques". Pour lui, c’est d’ailleurs la conviction qu’avait la société japonaise d’être préparée, d’être prête à faire face aux risques, qui a conduit à ce que la catastrophe de Fukushima emporte les conséquences que l’on sait. "Nous devons accepter le fait d’être entré dans une ère d’instabilité et d’imprévisibilité", note-t-il. 

Des villes bourreaux et victimes

En matière de changement climatique, les villes endossent à la fois le rôle de bourreau – puisque principales émettrices de gaz à effet de serre – et de victime, particulièrement vulnérable d’ailleurs. François Gemenne relève qu’elles sont en effet confrontées à deux phénomènes "particulièrement violents" : les vagues de chaleur d’une part, dont les conséquences sont amplifiées par l’absence de végétation, les logements de petite taille et/ou vétustes, etc. ; les perturbations du cycle de l’eau d’autre part, avec à la fois le trop et le trop peu. À ces deux défis, il ajoute "une série de risques secondaires, un peu systémiques, comme les ruptures d’approvisionnement liées aux infrastructures de transport ou des problèmes de santé publique". Autant de raisons pour que les villes mènent les deux missions atténuation/adaptation de front. Une chance, relève l’expert, il est parfois possible de faire d’une pierre deux coups. C’est singulièrement le cas avec la rénovation thermique des bâtiments, qu’il érige en conséquence au rang de priorité. Plus encore, des synergies sont possibles. François Gemenne estime ainsi que "la résilience urbaine constitue un levier considérable dans la lutte contre le changement climatique". À condition d’actionner trois leviers.

Conjurer le cercle vicieux inégalités - vulnérabilités

Premier d’entre eux, le levier social. François Gemenne considère que le fait que le changement climatique contribue au creusement des inégalités est désormais bien intégré. Même si la prise de conscience, notamment par la Commission européenne, fut assez tardive (voir notre article du 15 décembre 2021). "Ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience que les inégalités accroissent les vulnérabilités", met en exergue le spécialiste. Aussi, pour éviter le risque d’une "spirale négative", il insiste sur la nécessité de conduire de concert transition écologique et politique de réduction des inégalités. Et ce, "dans une logique d’efficacité, dans l’intérêt de la société tout entière, et pas seulement des plus précaires". Sous peine d’échec, alerte-t-il, mettant en relief "toute une série de politiques de décarbonation qui ne fonctionnent pas car considérées comme socialement injustes". Et de prendre l’incontournable exemple de la taxe carbone – une "politique désormais gelée, peut-être à terme abandonnée" – "qui, du fait de son faible montant, n’a aujourd’hui aucune fonction écologique. Elle ne sert qu’à combler les déficits de l’État". 

Préférer la "désirabilité" à "l’acceptabilité".

Deuxième levier, "faire en sorte que les politiques environnementales ne soient pas acceptables, mais désirables", dans la droite ligne du maire de Loos-en-Gohelle, Jean-François Caron (voir notre article du 2 juin 2022). "Je suis toujours un peu inquiet quand je vois que la préoccupation des élus locaux est l’acceptabilité. Je comprends qu’ils soient toujours un peu traumatisés par la crise des gilets jaunes, mais c’est prendre le risque d’en faire le moins possible, avec des semelles de plomb, alors que nous avons besoin d’ambition", argue François Gemenne. De même dénonce-t-il "l’erreur d’insister sur les risques de l’inaction, plutôt que sur les bénéfices associés à l’action" : "Aujourd’hui, nos concitoyens pensent qu’ils doivent sacrifier leurs propres intérêts à la cause du climat. Ils pensent que leurs efforts profiteront à d’autres, avec un décalage générationnel ou spatial, que ceux qui ont créé le problème ne sont pas ceux qui ont à le résoudre, et que ceux qui le gèrent ne sont pas ceux qui profiteront de ces efforts." Dans la même logique, il déplore "l’erreur" d’avoir présenté "le ZAN comme une politique de préservation de la biodiversité, qui reste encore mal perçue. Les gens ont l’impression que c’est pour les coccinelles, pour les oiseaux, mais pas pour eux.

Aussi, s’il rejoint Christophe Degruelle sur le besoin d’un "récit désirable", il insiste surtout sur la nécessité d’incarner ce dernier. Une chance, "c’est la transformation de la ville qui va pouvoir l’incarner", assure-t-il, en démontrant qu’"une ville plus résiliente, moins émettrice, sera aussi plus agréable, plus confortable, moins dangereuse". Une ville dans laquelle il se dit convaincu que "même les plus acharnés des climatosceptiques trouveront la transition bénéfique".

Agir local

Troisième levier, le renouveau démocratique. Soulignant de manière générale les stigmates de la crise de la démocratie représentative – abstention, défiance envers les institutions, les médias, les scientifiques, violences contre les élus… –, François Gemenne confesse avoir été "naïf en pensant que le climat ne serait ni de droite ni de gauche, alors que la question clive l’opinion. Si l’inquiétude face au changement climatique est partagée par tous, on se divise sur les solutions à déployer". Pour l’expert, seul l’échelon local permettra de dépasser ce clivage, notamment en "permettant aux habitants de peser à nouveau dans les choix collectifs". Et de vanter par exemple les budgets ou les projets participatifs. Lesquels peinent toutefois à prendre leur envol (voir notre article du 21 octobre 2022), et ne sont pas sans présenter le risque d’être captés par les seuls citoyens bien informés, raison pour laquelle d’autres lui préféreront une "démocratie implicative" récemment promue par le Sénat (voir notre article du 25 février 2022). 

Spectre de l’égoïsme territorial

Le tout en conjurant par ailleurs le spectre de "l’égoïsme territorial" (voir notre article du 17 mai 2021). François Gemenne relève ainsi au passage que "le concept de la ville du quart d’heure n’est pas sans risque", redoutant particulièrement celui d’exclure ceux qui n’ont pas la chance d’en être. Et de prendre l’exemple de "Paris, qui se ferme de plus en plus à la voiture", où les pistes cyclables s’arrêtent au périphérique, et in fine se ferme tout court, non sans "créer une tension sociale". Le syndrome de la ZFE-m, en somme (voir notre article du 25 mai 2023). Et ce, bien que dans le cadre de "sa stratégie de résilience urbaine", la Capitale ait signé en 2017, avec la métropole du Grand Paris et l’Association des maires ruraux de France (AMRF), une déclaration d’intention de conclure "un pacte de coopération territoriale pour la résilience et la transition écologique des territoires" (voir notre article du 5 octobre 2017) qui n'a finalement jamais été paraphé. Reste que Paris n’est pas la France. Interrogé par Localtis, Cédric Szabo, directeur de l’AMRF, souligne que son association multiplie désormais de tels travaux de rapprochement "ville-campagne" avec d’autres agglomérations urbaines, ou encore avec son homologue France urbaine.