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Logement social - La remise en cause des droits spéciaux du livret A : une présomption d'instabilité

Le gouvernement défend actuellement le livret A auprès de la Commission européenne. Pour l'Union sociale pour l'habitat, la distribution réservée du livret A à deux groupes bancaires n'est pas une question essentielle pour la libre prestation de service mais l'est pour le financement du logement social en France.

"Arrêtez de regarder ce dossier, comme des gens très bien élevés, comme un problème bancaire mais voyez-le comme le financement du logement social. Et fichez-nous la paix sur le financement du logement social !" En interpellant vigoureusement la Commission européenne, Jean-Louis Borloo a réitéré le 3 octobre, sur les ondes de France Inter, l'attachement du gouvernement au livret A. Lors du Congrès HLM, le ministre de la Cohésion sociale et du Logement s'était déjà engagé à défendre les droits spéciaux du livret A.
En juin dernier, la Commission européenne a décidé d'ouvrir une procédure d'infraction, considérant que "les droits spéciaux octroyés à l'Agence postale et aux caisses d'épargne pourraient être contraires aux règles du traité CE qui garantissent la liberté d'établissement et la libre prestation des services".   Actuellement, seuls ces deux établissements peuvent en effet proposer à leur clientèle ce produit bancaire. La France, qui devait faire parvenir sa position avant le 1er octobre, a rendu, vendredi dernier, son rapport de 48 pages à Bruxelles.  

Quand les HLM doivent doubler leur production

Le cabinet du ministre de l'Economie et des Finances, discret sur ses arguments juridiques, précise cependant que ce dossier est soutenu par la France, non seulement parce que le dispositif finance le logement social de façon stable et à long terme, mais aussi parce qu'il permet aux citoyens de disposer d'une épargne défiscalisée et bien rémunérée. "Le gouvernement a tout intérêt à défendre le livret A qui finance à moindre coût le logement social", commente Laurent Ghekiere, représentant de l'Union sociale pour l'habitat (USH) auprès de l'Union européenne. L'épargne collectée par le livret A, soit plus de 110 milliards d'euros, est affectée aux prêts de la Caisse des Dépôts. Ces prêts à long terme permettent de financer le logement social à des taux inférieurs à ceux du marché.
"Ce système assure une continuité d'alimentation financière et permet de s'engager à long terme", ajoute Laurent Ghekiere. La stabilité de cette manne financière s'impose avec acuité aujourd'hui dans la mesure où le plan de cohésion sociale et les programmes Anru imposent aux organismes HLM un effort de construction de taille. "Notre dette actuelle, qui s'élève à 85 milliards d'euros est, pour une bonne part, liée à de prêts de la Caisse des Dépôts. Chaque année, les organismes HLM empruntent 5 milliards d'euros à la CDC. Cet emprunt annuel devra doubler avec les nouveaux objectifs de construction", explique Dominique Dujols, directrice des relations institutionnelles et du partenariat de l'USH.

Le principe de précaution s'impose

Personne ne peut dire ce que feraient les établissements bancaires s'ils avaient la possibilité de distribuer le livret A. Pour Laurent Ghekiere, "il semblerait que ces banques soient avant tout intéressées par les 'gros livrets A' ; la distribution et la gestion des autres resteraient alors à La Poste et aux caisses d'épargne". Que feraient alors les banques de cette nouvelle manne financière ? N'auraient-elles pas intérêt à promouvoir une stratégie de captation en proposant à leurs clients des placements plus avantageux ? "C'est par principe de précaution que l'Union sociale pour l'habitat s'oppose à une remise en cause des droits spéciaux", nuance Laurent Ghekiere.
Le rapport gouvernemental est sur la table de la Commission européenne qui, si elle reste sur ses positions, pourra mettre en demeure la France de supprimer les droits spéciaux. "Le gouvernement pourra alors demander à la Cour de justice de l'Union européenne de trancher et là, nous avons de bonnes chances de gagner", assure, optimiste, le représentant de l'USH auprès de l'Union européenne. Si les livrets A ne représentent que 4% de l'épargne des ménages et, donc, une menace très relative à la libre prestation des services, à l'inverse, les 110 milliards d'euros récoltés sont indispensables pour financer le logement social : "La question essentielle posée alors au juge sera de savoir si oui ou non la politique du logement dans le droit communautaire relève d'une raison impérieuse d'intérêt général", conclut Laurent Ghekiere.

 

Clémence Villedieu