La réindustrialisation à la croisée des chemins
À l'occasion de la Semaine de l'industrie, le gouvernement entend relancer sa politique de "réindustrialisation" qui présente quelques signes de fragilités.
"Depuis 2017, notre pays compte 300 nouvelles usines et 100.000 emplois industriels supplémentaires. La France est depuis quatre ans le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers." À l'occasion de la Semaine de l'industrie qui s'est ouverte lundi jusqu'au 3 décembre, le ministre délégué chargé de l'industrie, Roland Lescure, s'est enorgueilli de ces résultats mis sur le compte de la politique de réindustrialisation conduite depuis quelques années. Politique qui entame une nouvelle phase avec le discours du chef de l'État en mai dernier (voir notre article). Seulement, plusieurs voix sont venues, ces derniers temps, mettre en garde contre les signes de fragilité de l'usine France. Pour le cabinet Asterès, la route de la réindustrialisation "est encore longue". Car malgré des investissements records annoncés en fanfare lors du sommet Choose France, "la production manufacturière ne rebondit pas". Au troisième trimestre, elle était inférieure "de 1 % à son niveau d’avant la crise sanitaire (T4 2019) et de 7 % par rapport à son pic du premier trimestre 2008", signale-t-il dans une note publiée le 27 novembre.
"L'indice de productivité industriel est inférieur à celui d'avant-crise, et certaines entreprises restent fragiles sur le plan économique, analyse auprès de Localtis Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée à l'Institut d'administration des entreprises (IAE) de Poitiers, docteure en géographie de l'Institut français de géopolitique. D'un côté, il y a l'implantation de gigafactories (pour les batteries par exemple) et, de l'autre, des entreprises qui sont en grande difficulté comme Valdunes [dernier fabricant français de roues et d'essieux pour les trains qui attend un repreneur, ndlr] ou certaines fonderies. Il faut s'accrocher à cette dynamique positive mais rester prudent. La désindustrialisation a fragilisé et compacté le tissu productif français, complexifiant l'effort de réindustrialisation."
De fait, cette "réindustrialisation" ne se retrouve ni dans la balance commerciale (qui accuse un déficit de 54 milliards d'euros au premier semestre) ni dans la part de l'industrie dans le PIB. Cette dernière est même tombée à 9,5% en 2022, selon l'Insee. D'ailleurs, sur fond de coût de l'énergie qui réduit la rentabilité du site France, les dernières données du cabinet Trendeo font état d'un tassement des créations d'usines, avec 30 sites supplémentaires sur les dix premiers mois de l'année, trois fois moins que l'année précédente, le record ayant été atteint 2021, avec un solde positif de 124 usines sur l'année. Deux secteurs sont particulièrement à la peine : l'agro-alimentaire et l'industrie automobile en pleine transition. Autre bémol : la Cour des comptes vient d'apporter quelques réserves à la politique de relocalisation déployée dans le cadre du plan de relance post-covid, avec un milliard d'euros à la clé. L'un des objectifs était de regagner des parts de souveraineté dans des domaines clés. Or "les gains en termes de souveraineté économique sont difficilement mesurables et sont peu visibles à ce stade", estiment les magistrats.*
Une focalisation trop importante sur les capitaux étrangers
Dans la bataille qui se joue au niveau international, "il y a une focalisation peut-être trop importante pour attirer les capitaux étrangers", considère Anaïs Voy-Gillis. "C'est nécessaire mais la compétition est européenne et même mondiale sur les aides d'État. On se rend dépendant d'autres acteurs industriels dont les sièges ne sont pas en France. Et le risque est de ne pas être les détenteurs des technologies de demain, or c'est un véritable enjeu."
Dans cette deuxième phase de sa politique de réindustrialisation - après avoir actionné la baisse des impôts de production et réformé le marché du travail -, l'exécutif compte s'appuyer davantage sur les territoires, d'abord pour identifier le foncier disponible et accélérer les procédures, à travers la loi Industrie verte, mais aussi pour repérer les projets prometteurs. Un revirement par rapport au plan France 2030 qui avait suscité autant d'espoir que de déceptions chez les collectivités (voir notre article du 12 novembre 2022). Jusqu'ici la plupart des projets retenus dans ce plan de 54 milliards d'euros étaient situés à proximité des grandes métropoles. Un paradoxe quand 70% des emplois industriels sont situés dans des villes de moins de 20.000 habitants. Qu'il s'agisse de la loi Industrie verte ou de la deuxième phase des Territoires d'industrie lancée le 10 novembre (voir notre article), la "territorialisation" de la politique industrielle voulue par Emmanuel Macron semble au rendez-vous. Signe de ce changement de cap : Olivier LLuansi vient d'être nommé par Bercy à la tête d'une mission sur la réindustrialisation à horizon 2035. Dans un entretien à la Tribune daté du 27 novembre, l'ancien délégué aux Territoires d'industrie (de 2020 à 2022), dit vouloir tenir "un discours de vérité sur l'emploi". "Une réindustrialisation même réussie ne recréera pas les 2,5 millions d'emplois détruits depuis 1975", prévient-il, indiquant qu'un scénario à 12% du PIB d'ici 2035 permettrait de créer entre 300.000 et 400.000 emplois. "La question est, par exemple, de savoir où vont se situer ces emplois", souligne-t-il, en invitant à incorporer une dimension d'aménagement du territoire à la politique industrielle et à ne pas concentrer la création de valeur autour des métropoles. Il n'en est pas à son coup d'essai. "Face aux crises que nous traversons, comme la décohésion territoriale et les ruptures d’approvisionnement en produits de base, le potentiel de renaissance industrielle logé dans nos territoires est une ressource aussi essentielle qu’inexploitée", estimait-il dans un rapport de février pour La Fabrique de l'industrie, coécrit avec Guillaume Basset, son prédécesseur aux Territoires d'industrie.
Une dimension d'aménagement du territoire
Anaïs Voy-Gillis partage ce besoin d'une vision d'aménagement du territoire qui, selon elle, pèche un peu aujourd'hui. "Le véritable enjeu concerne l'avenir industriel des villes moyennes et la capacité qu'ont les acteurs locaux publics et privés à travailler ensemble et à dessiner un destin industriel pour leur territoire", considère-t-elle. "Il faut que le territoire soit clair sur ses ambitions industrielles : qu'est-ce qu'il est prêt à accepter, de quoi dispose-t-il comme ressources, comme foncier ?"
Autres défis à relever : la formation et l'innovation. Cette Semaine de l'industrie entend s'adresser directement aux jeunes dont les enquêtes montrent qu'ils ont une image négative de l'industrie. "Avec plus de 60.000 emplois vacants en 2023 et 58,4% des entreprises de l’industrie ayant des difficultés de recrutement, l’industrie peine à attirer quel que soit le niveau de qualification demandé", souligne Bercy.
"La réindustrialisation est un processus de long terme qui nécessite de travailler sur les points faibles du pays, tels que le niveau de formation, la lourdeur administrative ou l’insuffisance de la recherche-développement", résume le cabinet Asterès.