Fonds européens - La politique de cohésion, nouvel instrument d'orthodoxie budgétaire ?
Historiquement conçue pour combler les écarts de richesse entre les régions européennes, la politique régionale est revisitée pour servir les objectifs de stabilité budgétaire de l'UE.
La nouvelle réglementation 2014-2020 en fait même un outil au sein de l'arsenal sur la surveillance économique. Mis en place à l'échelle européenne, il comprend une batterie d'indicateurs (déficit, dette, taux de chômage, coût du travail, balance commerciale…).
Actuellement, les régions françaises et l'Etat sont en phase active de préparation des nouveaux programmes d'investissement pour un budget total de 14,2 milliards d'euros de fonds structurels (Feder, FSE) et 8,8 milliards d'aides au développement rural (Feader).
Fonds européens contre réformes
Fait nouveau, les textes en discussion depuis près de deux ans à Bruxelles réclament "l'établissement d'un lien étroit entre la politique de cohésion et la gouvernance économique de l'Union". L'objectif affiché est de "garantir l'efficacité des dépenses".
Pour bénéficier des fonds européens, la France doit signer un contrat avec la Commission européenne. Baptisé "accord de partenariat", il détaille les priorités d'investissement du pays.
Mais désormais, Bruxelles veillera à ce qu'il soit fait référence aux réformes qu'elle préconise avant de donner son feu vert. Idem pour les programmes opérationnels, qui affinent l'utilisation prévue des fonds européens sur sept ans, région par région.
Les conseils régionaux, qui gagnent en responsabilité sur la gestion des fonds européens, sont donc censés prendre en compte dans leurs documents de programmation le train de réformes demandées par la Commission européenne fin mai.
Il s'agit bien des fameuses "recommandations pays" au sujet desquelles François Hollande s'était époumoné, estimant qu'elles ne pouvaient pas "dicter" la politique à mener en France, indépendamment de la couleur du gouvernement ou de la culture du pays.
Sur le terrain, on reste dubitatif sur la mise en œuvre concrète du dispositif. Une source régionale s'interroge : "Quelle hiérarchie adopter entre les différentes recommandations ? La référence aux retraites a-t-elle la priorité sur l'innovation ?"
"Certaines recommandations, par exemple sur la politique de l'emploi, ne posent aucun problème", ajoute un haut fonctionnaire, pour qui le Fonds social européen doit pouvoir financer la réforme de Pôle emploi. "Mais d'autres coincent, car elles relèvent d'un parti pris idéologique, sans aucun respect de la subsidiarité."
Concilier l'inconciliable
A Bruxelles, cette nouvelle approche de la politique de cohésion est responsable des atermoiements qui retardent l'adoption de la réforme. Des discussions ont lieu le 24 septembre entre les eurodéputés et les Etats. Si les pourparlers s'enlisent, une réunion plus politique pourrait avoir lieu mi-octobre entre le président du Parlement européen, le ministre lituanien des Affaires européennes et le commissaire européen à la Politique régionale.
Le point le plus sensible porte sur la suspension des fonds européens en cas de déficit excessif. Cette option existait seulement pour le fonds de cohésion, réservé aux transports et à l'énergie, conséquence d'un souhait formé en 1996 par un Français : l'ex-ministre du Budget et aujourd'hui sénateur Jean Arthuis.
A l'automne 2011, la Commission européenne a décidé de l'étendre à tous les autres fonds européens, s'alignant sur la demande formulée par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy quelques mois plus tôt. Un pays qui commet un dérapage budgétaire ou s'écarte des recommandations de réforme faites par la Commission européenne pourra en représailles subir une suspension des subventions européennes équivalent à 0,5% voire 1% de son PIB. A Bruxelles, un spécialiste résume l'enjeu : "La politique de cohésion est avant tout une politique de relance par l'investissement. Cela 'clashe' avec l'ambition d'austérité."
Dans les faits, l'Allemagne est la seule à vraiment porter cette idée, dont beaucoup estiment qu'elle revient à "concilier deux choses inconciliables". Au cours des négociations au Conseil, la France s'est employée à édulcorer la punition, réclamant que la suspension porte avant tout sur les crédits d'engagement et non le versement effectif de l'argent européen. Une manière d'éviter la mise en faillite de projets déjà validés par les collectivités.
Autour de la table, Rome a émis des réserves sur cette approche punitive. Dans une tribune pour le quotidien italien Il Sole, publiée le 17 septembre, le ministre allemand des Affaires européennes, Michael Link, s'est pourtant lancé dans une opération de persuasion : "Si nous tenons compte dès à présent des indicateurs macroéconomiques, nous pouvons éviter les conséquences désastreuses de la mauvaise utilisation de millions d'euros."
Fête de la fraise
Cette forme de conditionnalité a longtemps été pratiquée par les bailleurs internationaux tels que le FMI ou la Banque mondiale. Ils ont depuis infléchi leurs méthodes, constatant que "la conditionnalité macroéconomique n'a pas démontré, malgré des évaluations approfondies, qu'elle conduisait à un plus grand succès des programmes de prêt", peut-on lire dans une étude réalisée pour le Parlement européen. A tout moment de la programmation, la Commission pourra demander à un pays de modifier ses programmes d'investissement de fonds européens, pour les réorienter vers des actions ou secteurs qu'elle juge plus pertinents. S'il ne s'y conforme pas, des sanctions peuvent tomber, entérinées de manière quasi automatiques par le Conseil (principe de la majorité qualifiée inversée). "Il y a des signes montrant que beaucoup au Parlement européen préféreraient continuer comme dans le passé, écrit Michael Link, un brin provocateur. Cela signifierait de céder aux particularités des régions et de continuer à dépenser des millions de manière inefficace, pour des tournois de golf, un festival de musique sur la plage, un observatoire d'oiseaux ou des sommes à cinq chiffres pour la fête de la fraise."