Conseillers territoriaux - La parité hommes femmes en recul ?
L'élection des conseillers territoriaux appelés à siéger, à partir de 2014, à la fois au conseil général et au conseil régional constituerait une véritable "régression" pour la parité entre les femmes et les hommes, si elle devait se faire sur les bases annoncées par le gouvernement, affirment les responsables de l'Observatoire de la parité installé auprès du Premier ministre. A ce jour, le gouvernement n'est pas revenu sur le mode de scrutin, mixte, dont il a annoncé les contours à la fin de l'été dernier : 80% des nouveaux élus seraient désignés au scrutin uninominal majoritaire à un tour, tandis que les 20% restants seraient élus sur des listes à la proportionnelle dans le cadre du département (voir notre dossier législatif ci-contre).
Selon les estimations de l'Observatoire qui seront dévoilées d'ici la fin de la semaine, ce scénario serait défavorable à la présence des femmes dans les hémicycles départementaux et régionaux : celles-ci ne représenteraient plus que 17,3% des élus. Or, aujourd'hui, si l'on additionne les effectifs des conseillers régionaux et généraux, elles représentent 23,9% des quelque 6.000 élus des deux échelons de collectivités.
Comment expliquer cette prévision de baisse ? En première approche, on peut résumer la situation ainsi : autant les partis politiques acceptent de mettre des femmes dans des listes, autant quand il faut désigner un seul candidat, le réflexe reste de désigner un homme... et dans le système proposé par le gouvernement, le scrutin uninominal est nettement prépondérant, alors que le scrutin de liste ne permettrait de désigner que 20% des élus... d'où une situation défavorable aux femmes. Mais est-ce si simple?
Le mode de scrutin porté par le gouvernement est-il en soi défavorable aux femmes ? "Non", répond Emmanuelle Latour, secrétaire générale de l'Observatoire de la parité. Elle pointe plutôt la responsabilité des partis politiques, qui "n'ont pas intégré l'idée que la réforme constitutionnelle de 1999 les enjoignait à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électives, même lorsque la loi ne les y contraignait pas". Avec, une proportion impressionnante de 87,7% d'hommes, les conseils généraux demeurent le "dernier bastion masculin", rappelle-t-elle. La désignation obligatoire d'un suppléant de sexe opposé, mise en place en février 2008 par le législateur, était pourtant censée empêcher cela. Mais les partis politiques n'ont pas changé leurs habitudes, désignant leurs titulaires principalement parmi les candidats masculins.
Les conséquences de ce comportement des partis politiques pourraient être aggravées par la réforme : le scrutin à un tour et la réduction du nombre des élus (3.000) accentuerait "la concurrence" entre les élus, relevait dernièrement Françoise Laborde, vice-présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
Supprimer la dotation de l'Etat aux partis ?
Pour éviter cette éviction des femmes des hémicycles locaux, le gouvernement doit-il nécessairement avoir recours à un scrutin de liste intégrant l'alternance des candidats des deux sexes ? En favorisant l'élection de 47,6% de femmes aux élections régionales de 2004, celui-ci a fait avec brio la preuve de son efficacité. Mais, ce scrutin a l'inconvénient de ne pas plaire au lobby départemental, qui lui préfère le traditionnel scrutin uninominal, parce que celui-ci favorise l'identification du conseiller général à son territoire d'élection. Le scrutin de liste n'est cependant pas le seul à favoriser la parité. Avec des contraintes suffisamment fortes, le scrutin uninominal pourrait, lui aussi, avoir des effets positifs, estime Emmanuelle Latour.
Si le gouvernement choisit ce mode de scrutin, il peut, pour préserver la place des femmes, relever la proportion de candidats élus au scrutin proportionnel, relève-t-on à l'Observatoire de la parité. En fixant cette proportion à 50% (contre 20% dans le projet actuel), les femmes représenteraient au minimum un quart des conseillers territoriaux.
Autre possibilité : fixer des mesures contraignantes pour les partis politiques. Elles seraient de nature administrative, en prévoyant par exemple que les préfectures n'enregistreront pas les candidatures des partis qui ne présenteront pas, en nombre égal, des hommes et des femmes, au sein d'un même département. Elles pourraient être, aussi, de nature financière, allant jusqu'à la suppression de la dotation de l'Etat aux partis qui ne respecteraient pas la parité. Telles sont quelques-unes des pistes auxquelles réfléchissent des élues nationales, membres des délégations aux droits des femmes du Sénat et de l'Assemblée nationale.
On le sait, le gouvernement n'est pas arc-bouté à l'idée d'un scrutin mixte à un tour. Début décembre, le ministre de l'Intérieur s'était dit "ouvert à toute proposition" qui permettrait techniquement de "sécuriser" la parité dans les conseils généraux et régionaux à partir de 2014. Un groupe de travail de parlementaires UMP travaille actuellement sur cette question pour proposer des solutions alternatives.
Risques d'inconstitutionnalité
Il faut dire que de toutes parts, les élus nationaux et locaux ont protesté. Pas assez de proportionnelle pour les uns, trop pour les autres, caractère trop brutal du scrutin à un tour... chacun a trouvé quelque chose à redire. La question de la parité a vite été, aussi, au centre des critiques. Notamment après "l'alerte" lancée le 23 octobre dernier, par les présidentes des délégations aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes de l'Assemblée nationale, du Sénat et du conseil économique, social et environnemental (Marie-Jo Zimmermann, Michèle André et Françoise Vilain).
Toutes ces protestations ne sont pas pour rien dans la tentative des sénateurs de graver l'objectif de parité dans le marbre de la loi de réforme des collectivités territoriales. L'amendement présenté par Nicolas About, président du groupe Union centriste, qu'ils ont adopté en première lecture à l'unanimité le 4 février, affirme que le mode d'élection du conseiller territorial devra "assurer" l'effectivité de cet objectif. "La disposition, devenue l'article 1 A du projet de loi, ne fait que rappeler un principe de base inscrit dans la Constitution depuis 1999 et n'apporte aucune garantie en soi", relativise Emmanuelle Latour. Pour la secrétaire générale de l'Observatoire de la parité, "tant que la loi posera des grands principes sans prévoir les délais et les contraintes pour parvenir à leur réalisation, elle ne sera guère opérationnelle".
La crainte de voir sa loi retoquée par le Conseil constitutionnel peut en tout cas conduire le gouvernement à revoir sa copie et instaurer des mesures favorables à la parité. Certes, le Conseil d'Etat a émis un avis favorable sur le projet de loi avant son examen en Conseil des ministres. Mais plusieurs spécialistes de droit constitutionnel jugent, qu'en l'état, sur cette question de la parité, le texte n'est probablement pas conforme à la Constitution.
Thomas Beurey / Projets publics
La parité progressera dans les conseils municipaux
Si les choses restaient en l'état, l'apport de la réforme des collectivités au regard de l'objectif de parité, s'avérerait extrêmement mitigé. Avec l'application du scrutin de liste aux communes de plus de 500 habitants – contre 3.500 habitants aujourd'hui – et la mise en œuvre des obligations en matière de parité qui lui sont associées, 100.000 femmes devraient faire leur entrée dans les conseils municipaux, indique le secrétaire d'Etat aux collectivités locales. Alain Marleix affirme que leur présence va aussi se renforcer dans les intercommunalités. Pour s'en assurer, Michèle André, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes a fait adopter par la Haute Assemblée un amendement au projet de réforme des collectivités territoriales qui dispose que "la composition des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale favorise la parité".
Mais entre les petites communes et communautés d'un côté et les régions de l'autre, qui, à seulement 26, pèsent un budget de quelque 27 milliard d'euros, il y a une différence de nature, que relève la sénatrice. Or, les régions devraient compter 300 femmes de moins (sur 1.880 conseillers régionaux, au total).