PLFR 2012 - La forte majoration du crédit d'impôt pour les tournages divise la majorité
En pleine rigueur budgétaire, le coup de pouce en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle, donné par le projet de loi de finances rectificative pour 2012 (PLFR), a fait grincer quelques dents à l'Assemblée. Introduite par deux amendements (n°295 et 296) de trois députés socialistes, dont Patrick Bloche, le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, la mesure entend "renforcer la compétitivité du crédit d'impôt cinéma et audiovisuel au regard des avantages fiscaux existant dans les autres pays européens et de favoriser le maintien en France de productions d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles".
Un quadruplement du plafond pour les tournages nationaux
Pour justifier ce geste, les auteurs des amendements faisaient valoir que la France est en train de perdre ses avantages en la matière. Selon une étude publiée en 2011 par les cabinets Hamac Conseils et Mazars, l'apport du crédit d'impôt cinéma français (autrement dit, le crédit obtenu rapporté au devis total de la production) serait de 7 à 8%, contre 13% en Allemagne et 18% en Belgique. Les effets de ce décalage se feraient déjà sentir, puisque la part des tournages réalisés en France au premier semestre 2012 aurait ainsi diminué de 10 points par rapport à la même période de 2011.
Outre l'appui à "l'exception culturelle" française, l'aide au cinéma et à l'audiovisuel présente aussi des enjeux économiques. Une autre étude, réalisée en 2010, évalue les recettes fiscales et sociales engendrées par ces dispositifs à 437 millions d'euros en 2009, soit quatre fois le coût fiscal des crédits d'impôt accordés (108 millions d'euros). Un euro de crédit d'impôt cinéma entraînerait ainsi 11,3 euros de dépenses dans la filière et 3,6 euros de recettes fiscales et sociales pour la puissance publique. Dans l'audiovisuel, ces chiffres seraient respectivement de 13,8 et 4,8 euros. Le calcul reste toutefois discutable, dans la mesure où il suppose que le film ne se serait pas tourné sans le coup de pouce fiscal.
La mesure adoptée n'est pas mince, puisqu'elle a notamment pour effet de quadrupler le crédit d'impôt pour les tournages nationaux - en portant son plafond de un à quatre millions d'euros - et de faire passer ce même plafond de quatre à dix millions d'euros pour les productions internationales (productions étrangères venant tourner en France).
Un débat tendu et des coups de rabot
Ces amendements ont fait l'objet d'un avis favorable de la part d'un ministre du Budget manifestement en service commandé. Evoquant ces majorations du plafond du crédit d'impôt, Jérôme Cahuzac n'a pu se retenir d'indiquer que la France "en a besoin : le climat y est rude, nous ne disposons pas de cités médiévales et les gens ne sont pas accueillants sic). Des incitations fiscales sont donc nécessaires". Christian Eckert, le rapporteur général du budget, n'a pas non plus semblé très enthousiaste, mais s'est rallié du bout des lèvres à la mesure "puisqu'on nous a expliqué qu'il s'agit de concurrencer le cinéma allemand, dont nous connaissons la grande productivité". S'en est suivi un long et vif débat, au sein même de la majorité, entre le président de la commission des affaires culturelles et les députés partisans de la mesure d'une part, et, d'autre part, le ministre du budget et le rapporteur général, soutenus par Gilles Carrez, le président (UMP) de la commission des finances, qui s'est déclaré "effrayé par le coût" de la mesure.
"La Main au collet" invitée dans le débat
Le gouvernement et le rapporteur ont néanmoins fait adopter des sous-amendements atténuant quelque peu l'avantage fiscal supplémentaire accordé par l'amendement, dont le coût initial atteignait 70 millions d'euros pour les seuls tournages nationaux. Le gouvernement a ainsi fait exclure de l'assiette de calcul du crédit d'impôt des dépenses de captation ou de recréation de spectacles vivants et, surtout, a obtenu la limitation des dépenses d'hébergement imputables sur le crédit d'impôt à 270 euros par nuit à Paris et 200 euros en province. Ainsi que l'a rappelé le président de la commission des finances, "quand Alfred Hitchcock a tourné 'La Main au collet' en 1955, sur la Côte d'Azur, il n'y avait pas de crédit d'impôt et l'équipe de tournage - dont une certaine actrice qui a eu ensuite un avenir à Monaco - était hébergée au Carlton. Il n'y avait pas d'aide fiscale pour payer le séjour au Carlton ; pourtant, cet excellent film a été tourné en France".
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : projet de loi de finances rectificative pour 2012 (adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 11 décembre 2012).