Emploi - La FFP souhaite une décentralisation progressive de la formation professionnelle
"Il y a des régions qui sont en capacité de prendre la compétence immédiatement, d'autres non." C'est le sentiment de Pierre Courbebaisse, vice-président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), exprimé lors de son audition par la mission d'information sur Pôle emploi de l'Assemblée nationale, le 5 février. Alors que l'acte III de la décentralisation pourrait leur donner une compétence pour tous les publics (elles ne le sont aujourd'hui que pour les demandeurs d'emploi), le responsable de la FFP demande de ne pas se précipiter. "Les deux précédentes décentralisations de la formation se sont faites sur cinq ans. Les régions prenaient la compétence ou pas. Là on est dans une situation extrême avec un chiffre très élevé de demandeurs d'emploi à traiter", fait-il valoir. "Le palier n'est pas forcément de cinq ans mais il va falloir arbitrer, concernant les aides individuelles notamment", a ajouté Pierre Courbebaisse.
La mission sur Pôle emploi a justement été créée en novembre 2012 pour faire le point sur l'offre de l'opérateur et, plus généralement, sur l'efficacité du service public de l'emploi, maisons de l'emploi et missions locales incluses. Or la prise en charge des demandeurs d'emploi est actuellement soumise à de fortes critiques. Dernièrement, la Cour des comptes, dans son rapport rendu public le 22 janvier, a mis en avant le caractère peu efficace des dispositifs face à la hausse du chômage et le manque de coordination des actions menées en matière de formation par l'Etat, les régions, les partenaires sociaux et les opérateurs dont Pôle emploi, soulignant que les compétences des régions en la matière pourraient être étendues.
Comment, dans ce cas, assurer la coordination avec Pôle emploi ? Pour la FFP, la clé serait de fonctionner de manière contractuelle entre les régions et Pôle emploi, à l'image du protocole d'accord signé en Poitou-Charentes. Ce protocole, signé le 24 janvier 2013 entre la région et Pôle emploi, vise à simplifier et accélérer l'accès des demandeurs d'emploi à une formation professionnelle débouchant sur un métier. Un accord jugé '"inédit au niveau national" par le directeur général de Pôle emploi, Jean Bassères. Il doit permettre de réduire à deux mois le délai d'entrée dans la formation professionnelle. Actuellement, ce délai peut aller de deux mois (pour 25% des demandeurs d'emploi) à quinze mois (pour 25% également des demandeurs d'emploi), voire plus. L'accord de Poitou-Charentes permet en outre de clarifier l'offre de formation : la région se concentre sur les formations collectives, qualifiantes, pour les métiers qui recrutent et les grands chantiers (LGV, Center Parcs…) et Pôle emploi sur l'adaptation au poste de travail. Le tout permettant de mutualiser les outils pour mettre en place un guichet unique, comme le demande fortement la FFP.
"Un phénomène d'entraînement"
Cependant, la direction que le gouvernement prend en matière de transfert des compétences ne suit pas tout à fait le schéma proposé par la FFP. D'après le dernier document de travail qui fait suite à un nouveau tour de table entre le gouvernement et les régions, ces dernières pourraient voir leurs compétences tout de suite étendues en matière de formation professionnelle. Elles auraient ainsi la responsabilité de garantir l'accès de toute personne à la formation professionnelle et seraient compétentes vis-à-vis de tous les publics, y compris ceux relevant jusqu'à présent de la compétence de l'Etat (les Français établis hors de France, les détenus, sur le modèle de l'expérimentation menée dans les Pays de la Loire, les personnes handicapées, etc.). Par ailleurs, les régions seraient aussi compétentes en matière de lutte contre l'illettrisme, pour l'acquisition des compétences clés et pour l'accompagnement des candidats à la validation des acquis de l'expérience (VAE)...
Au-delà des compétences, la FFP, qui regroupe quelque 400 entreprises de formation, a abondé dans le sens des régions en ce qui concerne la commande publique. "Les conseils régionaux n'ont pas choisi les mêmes formes d'achat ; certains sont même sortis du Code des marchés publics pour prendre d'autres voies comme le mandatement ou l'octroi de droits spéciaux. Six régions ont fait ce choix, et on assiste à un phénomène d'entraînement, a assuré Philippe Scelin, vice-président de la FFP. Les régions ne sont pas unanimes, uniques et uniformes sur les modalités contractuelles, alors que Pôle emploi l'est totalement puisqu'il utilise les marchés publics." Pour la fédération, les cahiers des charges sont ainsi mieux adaptés au contexte local, alors que les appels d'offres de Pôle emploi sont jugés trop centralisés.
Les régions, acheteurs uniques de la formation
La FFP a également souligné les différences entre les deux acteurs en matière d'allotissement. Les régions privilégient des lots de plus petite taille, ce qui facilite l'accès des TPE et des PME aux marchés publics. Enfin, la notion du "mieux-disant" paraît à la FFP mieux pris en compte par les régions que par Pôle emploi qui a tendance à choisir en fonction des prix, entraînant une tendance à la baisse des prix qui n'apparaît pas chez les régions. Or l'avant-projet de loi disponible actuellement consacre les régions comme acheteurs uniques de la formation "pour le compte des départements et de Pôle emploi".
Durant son audition, la FFP a aussi souligné le déséquilibre du financement de la formation. Les conseils régionaux les premiers contributeurs avec 57% du financement global. Viennent ensuite Pôle emploi (17%), l'Etat (13%), les entreprises (7%) et les demandeurs d'emploi eux-mêmes (6%). "Les partenaires sociaux, par l'intermédiaire du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), financent peu la formation des demandeurs d'emploi, et autre phénomène, la formation durant le chômage partiel n'est quasiment pas utilisée jusqu'à ce jour, mais c'est en voie d'amélioration", a signalé Monique Ibarra, député PS de Haute-Garonne et rapporteur de la mission Pôle emploi, en allusion à l'accord signé par les partenaires sociaux le 11 janvier 2013 - dont la transcription législative devrait être présenté en Conseil des ministres le 6 mars.
Emilie Zapalski
D'autres compétences confiées aux régions
Outre l'extension des compétences de la région en matière de formation professionnelle, le document de travail sur le projet de loi de décentralisation qui circule depuis quelques jours mentionne la fusion du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) avec le Conseil national de l'emploi (CNE). Les deux seront réunis en un "Conseil national de l'emploi, de l'orientation, et de la formation professionnelle". Il permettra une concertation renforcée entre l'Etat, les collectivités territoriales et les "forces vives de la nation" sur des domaines très liés (emploi, formation professionnelle, orientation).
En matière d'apprentissage, les compétences des régions devraient être élargies. Elles devront élaborer des contrats d'objectifs et de moyens avec les autorités académiques, les organismes consulaires et les organisations représentatives d'employeurs et de salariés et se verront confier les centres de formation d'apprentis (CFA).
Dans le domaine de l'orientation, une partie du service public sera décentralisée aux régions. L'Etat va définir la politique nationale d'orientation et la région en assurera la mise en oeuvre hors des établissements scolaires dans le cadre des centres d'information et d'orientation. "Les CIO seront transférés aux régions pour devenir des services non personnalisés des régions", précise le texte.
Les régions ont encore une inquiétude : l'avenir des formations sanitaires qu'elles souhaitent voir clairement mentionnées dans la future loi comme faisant partie du service public de formation, à l'instar des formations sociales.
Quant à l'épineuse question de la réforme de la taxe d'apprentissage, elle figurera dans un autre texte sur le développement de l'apprentissage et la formation professionnelle annoncé pour le mois de juin.
E.Z.