La Cour des comptes remet en selle le chantier du redécoupage des zones police / gendarmerie
Dans une note consacrée aux forces de sécurité intérieure, la Cour des comptes fait part de ses doutes sur la capacité de l’État à tenir la trajectoire fixée par la Lopmi. Elle appelle en conséquence le gouvernement à rouvrir le chantier de transfert des zones de compétence police / gendarmerie et à mieux prendre en compte le déploiement des polices municipales.
"La trajectoire fixée par la Lopmi [loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur – voir notre article du 25 janvier] présente de fortes incertitudes". Dans une récente note peu amène consacrée aux forces de sécurité intérieure, publiée dans le cadre de la revue des dépenses initiée par le gouvernement (voir notre article du 10 janvier), la Cour des comptes fait part de ses doutes sur la capacité de l’État à tenir ses objectifs, pourtant récemment adoptés.
Ses doutes portent notamment sur la capacité des forces de sécurité intérieure à procéder aux recrutements annoncés, pointant une nouvelle fois la concurrence d’autres employeurs, dont les polices municipales (voir notre article du 24 avril). Et ce, d’autant que la Cour juge "la multiplication des mesures catégorielles et des primes […] coûteuse et peu efficace", évoquant notamment "des primes qui se superposent sans cohérence, des mesures statutaires qui se neutralisent".
Ils portent également sur la capacité de l’État à faire face à des besoins d’investissement "considérables", mais qui "sont souvent une variable d’ajustement budgétaire", la Cour relevant "de fortes ambitions […] qui ne se traduisent pas dans la programmation".
Pour les dissiper, la rue Cambon invite le gouvernement "à engager des réformes structurelles en matière de ressources humaines", en "privilégiant des leviers non salariaux pour améliorer l’attractivité et la fidélisation", "à une programmation nécessaire pour les projets immobiliers et numériques", mais aussi à "rechercher une plus grande cohérence entre les forces de sécurité".
Rouvrir le chantier des transferts police/gendarmerie
Cette plus grande cohérence passe singulièrement, selon la Cour, par la relance du redécoupage des zones compétence police / gendarmerie, interrompu depuis dix ans "en raison notamment des réticences des syndicats et des élus locaux". La Cour fixe la méthode : supprimer les commissariats des circonscriptions isolées pour les remplacer par des brigades territoriales de gendarmerie comprenant uniquement des personnels opérationnels rattachés à la compagnie chef-lieu existante. Seraient ainsi concernés 89 commissariats couvrant chacun moins de 30.000 habitants, dont 35 couvrant des circonscriptions de moins de 20.000 habitants. En sens inverse, les zones urbaines connaissant de fortes évolutions démographiques et de délinquance seraient transférées à la police nationale. Sont ici visées "certaines brigades absorbées dans les agglomérations nantaise, bordelaise ou toulousaine" ou d’autres "enclavées en zone police, notamment dans les Bouches-du-Rhône".
Prendre en compte le rôle croissant des polices municipales
En outre, pour la Cour, ce chantier des réorganisations territoriales ne peut se conduire sans prendre en compte la montée en puissance des polices municipales, "tant en effectifs qu’en compétences", qu’elle déjà relevée dans un rapport de 2020. La Cour observe ainsi que "sur 1.574 communes en zone police nationale, 1.056 ont un service de police municipale".
Las, elle considère que "l’État n’a pas encore, à ce jour, défini une véritable politique à l’égard des polices municipales". Et ce, alors qu’"il est directement concerné par leur évolution et ne peut plus se limiter à du prêt de matériel et des aides financières". Si la Cour constate qu’"à ce jour, une grande partie des polices municipales disposent d’une convention de coordination et d’intervention avec la force de sécurité compétente sur le ressort de leur commune (986 sur 1.056 services de police municipale en zone police et près de 2.000 conventions pour 2.750 services de police municipale en zone gendarmerie", elle juge pour autant "que la réflexion en ce domaine reste inaboutie". En outre, et comme nous le soulignions (voir nos articles des 7 septembre 2022 et 21 septembre 2022), la rue Cambon note que "la Lopmi […] ne propose que peu d’avancées concernant les polices municipales".
Elle propose en conséquence d’enrichir ces conventions, "en clarifiant la répartition des rôles et la coopération entre les forces sur les différents types de faits", ou encore de rendre "plus lisibles" les contrats de sécurité intégrée. Elle estime plus globalement que "l’association des polices municipales à la mission de sécurité intérieure doit être reconnue".
Relevons qu’alors que le ministre de l’Intérieur semblait jusqu’ici faire peu de cas du "continuum de sécurité", les récentes émeutes semblent avoir fait bouger les lignes, Gérald Darmanin ayant à plusieurs reprises appelé les élus locaux, et leurs polices municipales, à l’aide pendant la crise. "Cette continuité de sécurité entre la police nationale, la gendarmerie et les policiers municipaux, elle est fondamentale", déclarait sa collègue Dominique Faure le 5 juillet dernier, lors de son audition par la commission des lois du Sénat.