La Cour des comptes prône des "évolutions" de l'organisation des élections, un dispositif jugé "robuste"

Dans un rapport, les magistrats dressent un état des lieux de l'organisation des élections et jugent que l'envoi de la propagande électorale au domicile des électeurs "constitue le maillon faible" du dispositif. Ils prônent une dématérialisation de celle-ci, sur demande des électeurs. La Cour des comptes pousse pour d'autres aménagements, comme la limitation de l'édition et de l’envoi de nouvelles cartes électorales.

L'envoi des professions de foi écrites des candidats au domicile des électeurs "constitue le maillon faible du processus d’organisation des élections", juge la Cour des comptes dans un récent rapport. Au cours des dernières élections, le taux de colis non distribués a toujours été supérieur à 5% et il a atteint des sommets au deuxième tour des élections régionales de juin 2021, avec un taux de 40%, indiquent les magistrats dans cet état des lieux de l'organisation des élections. D'une piètre efficacité selon la Cour, l'envoi des professions de foi aux électeurs a pourtant un coût pour l'État évalué à 500 millions d'euros pour un "cycle électoral" (période au cours de laquelle l'ensemble des élections locales et nationales sont organisées une fois). 

Tenant compte des difficultés d'une part non négligeable des Français avec le numérique, la Cour ne prône pas la dématérialisation à 100% de la propagande électorale. Mais elle préconise de limiter son envoi, en prévoyant la possibilité pour les électeurs de demander à la recevoir uniquement sous forme numérique.

Limiter l'usage de la carte électorale

Une proposition prudente. Pour cause : on rappellera qu'au milieu des années 2010, les gouvernements successifs ont tenté à trois reprises de faire adopter la suppression totale de l’envoi papier à domicile de la propagande électorale. Mais les parlementaires ont rejeté ces réformes. 

La Cour des comptes ne voit que des avantages à une dématérialisation de la propagande électorale. Si par exemple la moitié des électeurs déclaraient vouloir la recevoir de manière numérique, le coût pour l'État serait divisé par deux. Par ailleurs, l'impact de la propagande électorale au format papier sur l'environnement (évalué à l'équivalent de 1,135 milliard de feuilles de format A4 pour le premier tour de l'élection présidentielle) serait en recul. 

La Cour estime par ailleurs que l'envoi des bulletins de vote au domicile des électeurs (avec les professions de foi) ne présente qu'"une faible utilité". Elle recommande donc de mettre fin à cette pratique. 

La Rue Cambon recommande également de circonscrire l'usage de la traditionnelle carte électorale. "L’édition et l’envoi" de nouvelles cartes électorales devraient être "limitées aux électeurs nouvellement inscrits et à ceux qui changent de bureau de vote", écrit-elle. Le document présente un certain intérêt – notamment celui de fournir à chaque électeur l’adresse de son bureau de vote – et une valeur symbolique. Mais le coût des cartes "n’est pas négligeable pour les communes, chargées de les individualiser et de les adresser aux électeurs", fait-elle valoir. Elle chiffre ainsi les frais d'envoi à 5 centimes par carte.

Une "profonde modernisation" de la gestion des listes 

Autre gros sujet abordé par la Cour des comptes : la réforme de la gestion des listes électorales entrée en vigueur en 2019 et qui se solde par une réussite. En particulier, en permettant la mise à jour en continu des listes électorales, le répertoire électoral unique (REU) a entraîné "une profonde modernisation" de cette gestion. Mais la Cour estime que celle-ci "mérite d’être approfondie" notamment pour réduire encore les obstacles à la participation des citoyens aux élections, notamment la mal-inscription - c’est-à-dire le fait pour une personne qui a déménagé, de rester inscrite sur la liste électorale de son ancien domicile. Pour la Cour, il convient d'inciter tout usager signalant un changement d’adresse à une administration à procéder à son changement d’inscription sur les listes électorales – au passage en lui évitant de devoir fournir à nouveau des pièces justificatives (selon la logique "dites-le-nous une seule fois").

La Cour considère également qu'il serait utile que le REU comporte davantage d'adresses électroniques des électeurs - actuellement, seulement 24% de celles-ci sont renseignées. L'intérêt serait par exemple de permettre aux communes de communiquer avec les électeurs qu'elles envisagent de radier des listes, ou d'envoyer des messages pour lutter contre l'abstention. La solution consisterait à ouvrir aux électeurs la possibilité d’ajouter ou modifier leur adresse électronique en ligne, indépendamment de toute procédure de changement d’inscription sur les listes.

Compensation partielle des dépenses communales

Dans le sillage de l'instauration du REU, la dématérialisation partielle de la procédure d'établissement des procurations à partir de 2021 "semble" avoir stimulé le recours par les électeurs aux procurations et a généré "des gains de temps considérables pour la police et la gendarmerie", se félicite la Cour.

La dématérialisation intégrale des procurations lors des élections européennes et législatives de 2024 - qui était réservée aux titulaires de carte nationale d’identité électronique ayant fait valider leur identité électronique - se conclut par des "résultats prometteurs", observe encore la Cour. Au total, 102.400 procurations ont été établies de manière intégralement dématérialisée pour ces deux élections. La cour appelle à poursuivre et "parachever" le processus.

Les dépenses engagées par les communes pour organiser les scrutins "ne sont que partiellement compensées par l'État", constate aussi la Cour dans le rapport. La compensation versée par l'État n'a pas été revalorisée depuis 2006. Elle s'est établie à 15,5 millions d'euros pour l'élection présidentielle de 2022 et à une somme avoisinante (15,3 millions) pour les élections législatives organisées dans la foulée. Or les maires estiment que les frais réellement engagés par les communes sont nettement supérieurs. "Le suivi des budgets locaux assuré par la direction générale des collectivités locales (DGCL) ne lui permet pas d’évaluer les dépenses réalisées par les communes en matière d’organisation des élections", se contente d'observer la Cour des comptes.

Préserver la confiance des Français

Pour aider les communes à trouver des assesseurs pour les bureaux de vote, la Cour formule une piste : permettre à "tout électeur du département" d’exercer cette fonction "dans les bureaux de vote de n’importe quelle commune de ce département en supprimant la condition d’inscription sur les listes électorales de la commune". Mais le ministère de l’Intérieur n'y est pas favorable.

Au-delà de ces évolutions, la Cour ne souhaite pas de big bang des modalités d'organisation des élections en France, le dispositif étant qualifié de "robuste". Les Français ont confiance dans la tenue des scrutins fonctionnant avec le vote à l'urne et l'isoloir. "La simplicité du mécanisme, dont chaque électeur peut comprendre le fonctionnement et, s’il le souhaite, contrôler la mise en œuvre", est un atout à préserver, selon les magistrats. L’institution du vote par correspondance papier (comme aux États-Unis ou en Allemagne) et du vote par internet aux élections politiques "organisées sur le territoire national" ne leur paraît "pas envisageable, au moins à court terme". La Cour plaide toutefois pour une évolution en faveur des 63 communes françaises (Brest, Boulogne-Billancourt, Le Havre...) autorisées à utiliser des machines à voter. Celles-ci devraient pouvoir "recourir à du matériel plus moderne et plus sûr", considère la Cour. En raison d'un moratoire décrété par le ministère de l'Intérieur, ces collectivités ne peuvent plus actuellement acquérir de nouveaux modèles et doivent remplacer leurs machines qui ne fonctionnent plus par des machines homologuées au plus tard en 2007.