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La Cour des comptes ne remet en cause ni la légitimité ni les fondements de l'éducation prioritaire

Un rapport de la Cour des comptes sur l'éducation prioritaire juge cette politique publique décevante mais légitime. Ses recommandations pourront inspirer les réflexions sur la réforme que Jean-Michel Blanquer a annoncé pour la rentrée scolaire 2020. Le ministre de l'Éducation nationale ne saurait toutefois s'en satisfaire, tant le rôle des collectivités locales est tout juste effleuré.

"Quarante ans après sa création, la Cour dresse un bilan décevant de la politique d'éducation prioritaire", a déclaré Didier Migaud, le 17 octobre, en présentant à la presse un rapport d'évaluation de cette politique publique à laquelle l'Éducation nationale consacre 4% de son budget (soit 1,7 milliard d'euros en 2017). L'objectif de limiter à 10% les écarts de niveaux entre élèves en REP et les autres est loin d'être atteint. Ces écarts demeurent, selon les disciplines, entre 20 points (en français) et 35 points (en mathématiques).
Pour autant, ce serait une erreur d'abandonner cette politique "emblématique, dont la Cour ne remet nullement en cause la légitimité ni les fondements", a précisé le Premier président de la Cour des comptes, alors que Jean-Michel Blanquer prépare une nouvelle réforme pour une mise en application à la rentrée scolaire 2020 (voir notre article du 3 octobre 2018).

"Faire évoluer la carte scolaire"

Les 200 pages du rapport (dont la moitié d'annexes) conduisent à une série de recommandations, 17 au total. Autant le dire tout de suite, même si Didier Migaud estime que "pour porter ses fruits, la politique d'éducation prioritaire doit être construite en associant l'ensemble des acteurs concernés, État et collectivités territoriales", le partenariat avec les collectivités n'apparaît que dans une seule des recommandations, l'avant-dernière de la liste. Et l'orientation n'a rien de révolutionnaire : "En partenariat avec les collectivités territoriales, faire évoluer la carte scolaire et les modalités d'affectation des élèves afin de favoriser la mixité et créer un observatoire de la mixité auprès du recteur*."
Les magistrats ne se sont pas penchés sur l'attractivité (ou la répulsion) que peut provoquer un bâtiment scolaire flamblant neuf (ou très dégradé), ouvert sur le quartier (ou pas)... Non pas par manque d'intérêt, assure Sophie Moati, présidente de la 3e chambre (celle qui s'occupe de l'éducation, jeunesse, culture…). Mais parce que le patrimoine scolaire relève de la compétence des collectivités et qu'il s'agissait là d'interroger uniquement les leviers que pourraient actionner l'Éducation nationale.

Une articulation "encore perfectible" avec la politique de la ville

La "rénovation du patrimoine scolaire" est mentionné dans un court paragraphe qui se contente de résumer le rapport Klein d'avril 2017, sans mettre en perspective le fait que son auteur est depuis un an président de l'Anru, l'Agence nationale de rénovation urbaine dotée de 10 milliards d'euros pour remodeler plus de 400 quartiers prioritaires. Le paragraphe s'achève sur le constat que l'articulation "est encore perfectible" entre l'éducation prioritaire menée par l'Éducation nationale et le volet éducatif de la politique de la ville (contrat déjà formulé dans un rapport de la Cour datant de 2009.) La cour en appelle timidement à une "réflexion plus transversale", c'est peu de le dire.

Passer de 3 labels à 9 catégories

La véritable proposition innovante du rapport : sortir de la logique de "labellisation des établissements". Logique qui, comme l'a souligné Didier Migaud, "a des effets pervers, les familles étant souvent tentées de mettre en place de stratégies d'évitement", enfermant ainsi la politique d'éducation prioritaire "dans un cercle vicieux".
De trois catégories aujourd'hui (REP+, REP et "hors REP"), la Cour propose de passer à neuf. Neuf catégories "homogènes, définies en fonction d'un indice synthétique de difficulté" (recommandation 14). Ces catégories seraient utilisées "pour allouer les moyens spécifiques de l'éducation prioritaire et distribuer les moyens non spécifiques" en tenant compte du profil des élèves solarisés, "afin d'introduire un continuum dans le dispositif d'allocation et réduire les effets de seuil".
La Cour recommande également de donner davantage de responsabilités aux chefs d'établissement, en particulier dans le recrutement et l'évaluation de leurs personnels enseignants (recommandation n°9).

*Au chapitre de la carte scolaire, on notera que la Cour recommande également d'"associer les établissements privés sous contrat concernés aux processus d'évolution de la carte scolaire et les inciter à scolariser des élèves qui reflètent mieux les caractéristiques sociales et scolaires de la population de la zone de recrutement" (recommandation n°17)