La Cour des comptes identifie un risque concernant l'équité territoriale du recours au Pass Culture
La Cour des comptes a identifié "un risque concernant l'équité territoriale du recours au Pass Culture", dans un rapport publié mardi 18 juillet 2023. Elle critique le recours "dans des conditions discutables" à des consultants extérieurs lors de la mise en place du Pass Culture, tout en saluant les premiers résultats "encourageants" du dispositif.
Les magistrats financiers ont publié leurs observations définitives sur les années de mise en place du dispositif-phare de la politique culturelle, voulu par Emmanuel Macron, entre 2017 et 2022. Il a depuis été généralisé aux 15-18 ans, puis étendu récemment aux classes de 6e et 5e (notre article du 8 juin 2023).
En décembre 2022, le Pass Culture comptait 2,6 millions de jeunes bénéficiaires, leur permettant de dépenser un total de 291 millions d'euros, principalement en livres, au cinéma et dans des instruments de musique. Il a représenté 332 millions d'euros de dépenses pour l'État depuis l'origine. Sur ce point, la Cour des comptes ne manque pas de rappeler "l'échec du modèle économique pressenti qui devait permettre d'associer des financements privés à hauteur de 80% et publics à hauteur de 20%", conduisant "l'État à assumer finalement seul la charge de cette politique, qui est montée en charge progressivement et devrait représenter des dépenses de l'ordre de 273 millions d'euros par an au minimum, selon les hypothèses les plus prudentes, en régime de croisière".
Un recours beaucoup plus massif encore à l'avenir
Globalement, la Cour des comptes estime "encourageantes" les premières statistiques sur l'utilisation du Pass Culture. Il semble répondre "à certaines attentes en levant l'une des barrières, financière, à l'accès aux biens culturels", salue-t-elle. Rappelons que le dispositif du Pass Culture se décline en deux volets :
- un volet individuel, qui permet aux jeunes de 15 à 18 ans de découvrir de manière autonome le monde des arts et celui de la culture grâce à l'octroi d'un crédit de 20 à 300 euros utilisable uniquement sur l'application Pass Culture ;
- un volet collectif qui permet aux enseignants de financer des projets d'éducation artistique et culturelle (EAC) réalisés avec leur classe, sur le temps scolaire, dans et hors les murs de leur établissement, qui vient donc d'être étendu.
Les premières statistiques sur l'utilisation de la part collective du Pass, dont s'est emparée la Cour des comptes, "sont encourageantes". Elles comptent plus de 30.000 offres publiées sur l'outil Adage, plus de 13.000 réservations engagées, et 500.000 élèves concernés sur janvier à juin 2022, soit 37% des établissements publics français ayant préréservé ou réservé une offre collective.
Pour l'année scolaire 2022-2023, les taux de croissance "extrêmement importants (93.500 offres actives à fin 2022, 1,1 million d'élèves concernés et 67% des établissements ayant engagé au moins une action collective, pour un montant moyen de réservation par élève de 12,55 euros) laissent présager un recours beaucoup plus massif encore au Pass", se félicite la Cour.
La question de la prise en charge des frais de transport
Reste qu'un risque "concernant l'équité territoriale du recours au Pass Culture" a été identifié à ce stade "tant par le comité stratégique que par le ministère", relève la Cour. Elle explique en effet que "la question de la prise en charge des frais de transport permettant d'amener les élèves dans un lieu de culture pourrait représenter un frein au déploiement du Pass dans les zones les moins bien desservies". La Cour encourage donc à développer des partenariats "pour qu'une région ou un département prenne par exemple en charge le transport". Elle annonce "prendre acte" de la concertation initiée avec les parties prenantes sur les enjeux de mobilité et évoque les "solutions à l'étude" en fonction d'une "première analyse liée à une cartographie précise des taux d'utilisation de la part collective".
"Des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs"
Concernant la phase de préfiguration du dispositif, ce rapport dresse par ailleurs "un bilan sévère", en 2017-2018. En cause notamment, la façon dont a été piloté le projet, "de manière excessivement informelle" par le biais d'une "start-up d'État", qui a elle-même fait appel à des prestataires privés et des sous-traitants. Or la Cour des comptes n'a pu "reconstituer la liste et les fonctions précises" des consultants qui ont travaillé sur la mise en place du Pass "qu'avec difficulté". "La mise en place d'une méthode itérative 'Agile' ne peut en effet à elle seule justifier le manque de traçabilité du service fait et de mémoire administrative associée à la conduite de tels projets", estiment les magistrats. "Le pilotage du Pass Culture, dans sa première phase, a été emblématique des dérives du recours extensif à des consultants extérieurs pour des missions de nature administrative et politique", tranche-t-elle.
Croissance spectaculaire des crédits dédiés à l'AEC
En conclusion, la Cour des comptes estime "qu'au-delà des seuls aspects administratifs et financiers, un certain nombre d'arbitrages devront être opérés […], sans qu'il soit nécessaire d'attendre des évaluations complètes de cohorte". Elle appelle à "une vigilance toute particulière des pouvoirs publics afin de s'assurer que le dispositif atteigne des objectifs non seulement quantitatifs mais qualitatifs". En effet, écrit-elle, "l'extension aux 15-17 ans qui a multiplié par quatre le public cible et la mise en place de la part collective de la 6e à la terminale ont constitué des bouleversements majeurs" du Pass, notamment parce qu'il est "désormais relié organiquement aux établissements scolaires pour participer à la mise en œuvre des crédits d'éducation artistique et culturelle". Ainsi, les 45 millions d'euros prévus en LFI 2022 pour le Pass Culture sont venus s'ajouter aux 12,5 millions d'euros de crédits par ailleurs ouverts pour l'éducation artistique et culturelle (EAC) sur les programmes de l'Education nationale. Des chiffres qui font dire à la Cour qu'il s'agit donc, "en matière d'EAC, d'une croissance spectaculaire des crédits dédiés" sans qu'il n'existe "à ce stade de vision budgétaire consolidée de l'ensemble des fonds dédiés à l'EAC et de leur évolution dans le temps tous ministères confondus".
Le Pass Culture est aujourd'hui mis en œuvre par une société par actions simplifiée (SAS) créée en juillet 2019, au capital social d'1 million d'euros, dont 700.000 euros souscrits par l'État et 300.000 euros par la Caisse des Dépôts.