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Généralisation et extension du pass Culture : un premier bilan

Neuf mois après la généralisation du pass Culture à tous les jeunes de 18 ans et son extension à partir de la classe de 4e, le président de la société du pass Culture et la présidente de son comité stratégique ont été auditionnés par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée, donnant pour l'occasion pas mal de chiffres sur son utilisation et d'informations sur les enjeux et chantiers à venir. Entre autres pour toucher les jeunes de tous les territoires et l'implication des acteurs culturels locaux.

Le 21 mai dernier, Emmanuel Macron annonçait la généralisation du pass Culture à tous les jeunes de 18 ans, mais aussi son extension inattendue à tous les collégiens et lycéens à partir de la classe de 4e et cela dès le 1er janvier 2022 (voir notre article du 21 mai 2021). Dans ce cadre, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a auditionné durant deux heures, le 9 février, Sébastien Cavalier, le président de la société du pass Culture, et Valérie Zenatti, la présidente de son comité stratégique.

Une utilisation diversifiée, avec le livre en première place

Pour Valérie Zenatti, le pass Culture constitue "une affirmation de l'État envers les jeunes pour leur autonomie et leur approche de la culture". Elle en attend notamment une extension et une diversification des pratiques culturelles. En termes de bilan d'étape, le pass compte déjà plus de 1,3 million de jeunes bénéficiaires, plus de 11.800 partenaires culturels présents sur la plateforme et 7 millions de réservations.

Sébastien Cavalier a insisté sur le fait qu'il s'agit d'un outil encore très jeune. Il s'est dit très attentif aux remontées des jeunes eux-mêmes, mais aussi des acteurs culturels et des collectivités. Le président de la société du pass Culture a également détaillé l'utilisation du pass, basée sur les chiffres de 2020 (donc en phase d'expérimentation... et année de confinements). On compte  55% d'achats de livres, dont 35% de mangas. Pour tenter de clore la polémique montante sur les achats de mangas, il a rappelé que les jeunes de 18 ans ont acheté 185.000 titres différents sur le pass. En outre, près de 60% des jeunes acheteurs de mangas achètent aussi d'autres livres, tandis que la moitié des jeunes lecteurs de mangas ont également d'autres pratiques culturelles (hors livres) via le pass. Le second poste de dépense (17%) concerne le cinéma, dont les salles ont rouvert à l'été 2020. Le troisième poste (12%) constitue une "petite surprise", puisqu'il s'agit de l'achat d'instruments de musique. Pour Sébastien Cavalier, ce chiffre "montre l'importance de la pratique du faire", mais aussi le goût pour la musique, puisque le poste suivant est celui de la musique enregistrée et des concerts. La répartition pourrait cependant être différente en 2021 et 2022, du fait de la reprise plus franche des cinémas l'an dernier et de la reprise attendue des festivals en 2022. En tout état de cause, l'objectif reste "que les jeunes sortent de leur zone de confort et deviennent des explorateurs, mais librement, sans quotas sur les types d'utilisation".

Part collective : priorité au spectacle vivant

Depuis janvier 2022, la grande nouveauté réside dans l'extension du pass aux moins de 18 ans, avec une part individuelle dès 15 ans. Alors que les inscriptions ont été ouvertes le 10 janvier, on comptait déjà, un mois plus tard, 430.000 inscriptions de jeunes de moins de 18 ans. Sébastien Cavalier a également rappelé que la part collective du pass Culture des moins de 18 ans – soit les deux tiers de l'enveloppe, qui passeront par les établissements (voir notre article du 9 novembre 2021) – sera "au service du 100% EAC" (éducation artistique et culturelle). En outre, une dotation supplémentaire de 45 millions d'euros, en provenance de l'Éducation nationale, viendra grossir la masse des crédits. Celle-ci représente une enveloppe de 800 à 900 euros par classe et ne se substitue pas aux dispositifs existants. Les expérimentations menées sur la part collective dans les académies de Rennes et de Versailles montrent que celle-ci fait naturellement l'objet d'une utilisation très différente de celle de la part individuelle, mais complémentaire : le spectacle vivant représente 50% de la consommation collective et le cinéma 15%.

Le président de la société du pass Culture s'est aussi attardé sur les enjeux 2022 du dispositif. La priorité est de faire venir les jeunes de 16 à 18 ans sur le site, afin qu'ils utilisent l'application. L'expérience montre en effet que 83% de ceux qui viennent sur le site deviennent utilisateurs de l'application. Pour cela, plusieurs enjeux doivent être pris en compte. Il est ainsi prévu de continuer à enrôler de nouveaux acteurs culturels, afin de renforcer et diversifier encore l'offre. Et sensibiliser davantage les bibliothèques et les musées. Au départ, ces institutions culturelles, gratuites pour les jeunes, ne pensaient pas être concernées par le pass. Mais celui-ci a aussi "une grande capacité à proposer des offres gratuites, ce qui permet aux jeunes d'expérimenter d'autres pratiques". Aujourd'hui, 15% des offres de la plateforme sont gratuites et cette proportion devrait s'accroître. Il est également prévu de renforcer l'éditorialisation, autrement dit de permettre aux jeunes de rentrer dans les propositions de l'application de nombreuses manières différentes : recommandations thématiques, d'artistes, de lecture... Des actions ont ainsi menées, par exemple, autour de Joséphine Baker, du 400e anniversaire de la naissance de Molière, des métiers de la culture... Il est aussi prévu de développer davantage les offres exclusives, à l'image des 100 jeunes invités à assister à l'entrée au Panthéon de Joséphine Baker. La société du pass Culture étudie également d'autres pistes, comme l'interconnexion des billetteries. De son côté, la présidente du comité stratégique a indiqué que cette instance va créer des groupes de réflexion et de travail sur l'éditorialisation, les publics éloignés, la médiation culturelle...

Utile, mais cher et trop tardif pour l'EAC ?

Pas moins de 27 députés membres de la commission ont réagi à la présentation. Avec, d'un côté, ceux qui y voient "une véritable avancée du quinquennat" (Florence Provendier, LREM) ou "une très belle action du gouvernement", même si l'application est relativement complexe (Géraldine Bannier, Modem). Vision également très positive aussi pour Alexandra Louis (Agir Ensemble).

À l'inverse, Constance Le Grip (LR) estime que la généralisation se révèle très coûteuse et que "le compte n'y est pas sur l'EAC : 14 ans, c'est déjà trop tard". Même position pour Béatrice Descamps (UDI), qui estime que "l'enrichissement culturel doit débuter beaucoup plus tôt avec l'école et les collectivités". Dans le même esprit, Michèle Victory (PS) se dit "toujours sur la réserve", estimant le coût du pass Culture "disproportionné par rapport à sa pénétration parmi les jeunes" et souhaitant "flécher le pass à 100% sur l'EAC". De son côté, Michel Larive (LFI) juge que "le gouvernement s'obstine à maintenir son dispositif bien que le constat de son inefficacité soit partagé" et dénonce que le fait que "le pass profite essentiellement aux entreprises" et "privilégie l'individualisme". Les jugements sont cependant parfois plus nuancés. Ainsi, Karine Lebon (GDR) estime que le pass constitue "une manière intéressante de poser la question de l'accès à la culture". Elle s'interroge toutefois sur le volet qualitatif et estime "urgent de créer un continuum entre le pass Culture et la politique culturelle scolaire".

Un effort pour attirer les publics éloignés

En réponse à une série de questions des députés, Valérie Zenatti – qui est elle-même écrivaine et auteure de livres pour enfants – a insisté sur l'effet bénéfique du pass sur les libraires qui "sont heureux de voir des jeunes venir alors qu'ils achetaient sur Amazon". Elle a outre insisté sur le partenariat passé avec le CNL (Centre national du livre) afin que les auteurs puissent être rémunérés pour leurs interventions. Il en est de même avec le CNC pour les programmes d'écriture cinématographique.

Sébastien Cavalier a insisté sur les moyens mis en œuvre pour accompagner la montée en charge du dispositif et toucher un plus grand nombre de jeunes, y compris dans les milieux a priori les plus éloignés de la culture. Des accords ont ainsi été passés avec des missions locales et des écoles de la deuxième chance, afin d'informer et de former les personnels de ces structures. Le pass Culture est également systématiquement présenté lors des journées défense et citoyenneté (JDC), qui touchent 95% des jeunes d'une classe d'âge. La société du pass Culture travaille aussi sur l'apprentissage et mène actuellement des contacts avec Pôle emploi. Tout en reconnaissant qu'il reste pour l'instant difficile de toucher les jeunes déscolarisés, Sébastien Cavalier a toutefois tenu à démentir une idée reçue : les jeunes vivant dans les QPV ou se déclarant chômeurs utilisent davantage que les autres leur pass Culture. Le président de la société a également souligné que le dispositif payait les acteurs culturels à quinze jours – cas de figure assez rare dans le secteur – et a apporté des précisions sur les moyens de la société : 92 salariés (contre 36 à la fin de 2020) et un budget 2022 de 250 millions d'euros (200 millions du ministère de la Culture et 50 millions de celui de l'Éducation nationale), auxquels s'ajoutent 10 millions de contributions des offreurs. Le budget de fonctionnement de la société représente environ 20 millions d'euros, soit 8% du total. 

Des indicateurs par départements bientôt mis à disposition

Plusieurs questions ont porté sur l'algorithme de l'application. Sébastien Cavalier a indiqué que la société travaille sur un algorithme inversé par rapport à celui d'Amazon. L'objectif est en effet de proposer systématiquement des offres différentes aux utilisateurs, en présentant au fur et à mesure des choses qui sortent des pratiques habituelles du visiteur. La société a lancé un travail sur ce point avec un laboratoire de l'ENS (École normale supérieure).

Enfin, les enjeux de la ruralité ont également donné lieu à plusieurs questions. Sébastien Cavalier a répondu qu'il n'y a pas de décrochage par rapport aux jeunes des autres territoires : 11,8% des inscrits au pass Culture vivent en zone de revitalisation rurale (ZRR), ce qui correspond à leur part dans la population jeune (12,5%). L'objectif est de faire en sorte que l'offre culturelle dans ces territoires soit bien référencée. Il en est de même pour les territoires d'outre-mer, où la société dispose déjà d'une chargée de mission à La Réunion et en Guadeloupe et va envoyer très bientôt deux services civiques à la Martinique. L'enjeu est d'autant plus important que les études montrent que les jeunes dépensent leurs crédits du pass à côté de chez eux. De façon plus large, la société du pass Culture, qui réalise régulièrement des enquêtes auprès des jeunes, va bientôt mettre en ligne la liste de tous les acteurs référencés par le dispositif. Elle va aussi diffuser prochainement une vingtaine d'indicateurs mensuels par département, ce qui permettra aux collectivités territoriales d'adapter leur propre politique et offre culturelles en conséquence.

 

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