La Cour des comptes déplore "l'emballement" des dépenses des collectivités
Le dérapage "historique" du déficit public en 2024, qui s'établira probablement à près de 175 milliards d'euros et 6% du PIB - contre un objectif de 4,4% dans la loi de finances pour 2024 - tient principalement à la "dynamique" de la dépense publique et en particulier à "l'emballement" de la dépense publique locale. Et ce constat doit conduire à un effort d'économies de toutes les sphères publiques, donc y compris des collectivités. Tel est le message, teinté de forte inquiétude, que la Cour des comptes fait passer dans un rapport sur la situation des finances publiques rendu public ce 13 février.
À 1.652 milliards d'euros, les dépenses publiques en 2024 seraient supérieures de 9 milliards d'euros par rapport aux prévisions inscrites dans la loi de finances pour 2024 adoptée en décembre 2023. Un dépassement qui s'explique en particulier par des surplus de dépenses des administrations sociales de 3,9 milliards d'euros et des collectivités locales de 10,7 milliards d'euros. Les dépenses des collectivités locales au total auraient ainsi augmenté de 3,6% en volume entre 2023 et 2024, peut-on lire dans le rapport sur les finances publiques, le premier du genre à être publié "aussi tôt dans l'année", selon le premier président de l'institution, Pierre Moscovici.
"Dérive" des dépenses de fonctionnement locales
La loi de finances pour 2024 prévoyait une réduction de 0,5% en volume (donc en tenant compte de l'inflation) des dépenses publiques locales (à l'exception de certaines dépenses sociales des collectivités) en 2024. Elle reprenait ainsi l'objectif assigné par la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 qui, pour rappel, ne contenait aucun dispositif contraignant de maîtrise des dépenses des collectivités, le Parlement n'en ayant pas voulu.
L’objectif "était ambitieux mais atteignable, une réduction des dépenses d’au moins 0,5 point en volume ayant été réalisée plusieurs fois durant les quinze dernières années", estiment les magistrats.
Ce qu'ils appellent la "dérive" des dépenses de fonctionnement locales est principalement en cause. Elles progresseraient de 2,6% en 2024, "un record depuis au moins dix ans", a souligné Pierre Moscovici. Les achats des collectivités progresseraient d'environ 3 milliards d'euros "par rapport à la cible prévue" (soit +9,4 % par rapport à 2023). "La hausse des coûts de l’énergie et des produits alimentaires du deuxième semestre 2023 s’est répercutée sur toute l’année 2024", remarque la Rue Cambon. Notamment sous l'effet des mesures de revalorisation prises par le gouvernement en juillet 2023, la masse salariale des collectivités augmenterait de 4,5% par rapport à 2023, soit "un dépassement de l’ordre de 1,8 milliard d'euros". Enfin, les dépenses sociales des collectivités progresseraient d'environ 1 milliard d'euros de plus que "l'objectif d'évolution".
Déficit des collectivités locales à 0,6 point de PIB
Pour leur part, les dépenses d'investissement parvenues dans une phase traditionnellement active - celle de la fin du mandat municipal - auraient augmenté de 1,7 milliard d'euros de plus que le montant prévu dans la loi de finances pour 2024. Mais c'est moins que ce qu'anticipait Bercy à la fin de l'été dernier.
Les dépenses de fonctionnement et d'investissement locales ont connu un "véritable emballement", observe la Cour. Laquelle note aussi que certaines recettes des collectivités (droits de mutation à titre onéreux et TVA) ont été en berne. Ce cocktail explique que le solde des "administrations publiques locales" (un champ un peu plus large que les collectivités, puisqu'il comprend aussi notamment des acteurs comme la Société des grands projets) se creuserait à -0,6% du PIB en 2024 (après -0,4% en 2023).
Début septembre, les ministres démissionnaires de l'Économie et des Comptes publics, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, avaient estimé que les dépenses publiques locales pourraient à la fin de l'année 2024 dépasser de 16 milliards d'euros la prévision inscrite dans le programme de stabilité 2024-2027 (voir notre article). Ils considéraient que s'agissant du déficit public, "le risque principal [était] lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales". Des propos qui avaient suscité une vague d'indignation chez les élus locaux.
Effort "important" de l'État
Selon le rapport de la Cour des comptes, les dépenses de l’État, à 485 milliards d'euros à la fin de 2024, seraient à l'inverse "en nette diminution" (-2,3%) en tenant compte de l'inflation, notamment grâce à "une gestion serrée des crédits au cours de l’année". Les coupes budgétaires et le gel mis en œuvre à partir de février 2024 "auraient contribué à réduire la dépense publique de 5 milliards d'euros par rapport aux objectifs initiaux".
La Rue Cambon estime encore que la croissance moins tonique que prévu et les mauvaises rentrées fiscales expliquent la moitié de la dégradation du déficit public en 2024, par rapport aux prévisions de la loi de finances pour la même année (respectivement -0,3% pour l'affaiblissement de la croissance et -0,5% pour les recettes).
Le projet de loi de finances pour 2025 qui sera prochainement publié prévoit des économies sur les dépenses publiques, "essentiellement" celles de l'État. Les dépenses des ministères baisseraient ainsi de 2% en valeur (soit -8,8 milliards d'euros). "L’effort pour l’État est donc important", a observé le premier président de la Cour des comptes. Mais il doit être "mieux partagé et réparti", selon Pierre Moscovici.
"Maîtriser" les dépenses locales
Il devra donc être étendu aux administrations de sécurité sociale. Ainsi qu'aux collectivités territoriales : "Compte tenu de la dérive de [leurs] dépenses dans le dérapage des déficits (…), il est indispensable d’adopter des mesures pour maîtriser leur dynamique", a-t-il préconisé. En considérant que "la solution n’est pas de raboter les dépenses de ces administrations essentielles à notre modèle de société". Il faut plutôt, a souligné Pierre Moscovici, "faire des économies intelligentes, basées sur des revues de dépenses méthodiques et systématiques".
En octobre, la Cour des comptes avait recommandé de fixer un objectif d’évolution sur l'ensemble des transferts de l’État aux collectivités, d'"écrêter l’augmentation en volume des recettes de TVA affectées aux collectivités", ou encore de mettre en réserve une partie de l’augmentation des recettes de TVA destinées aux collectivités (voir notre article).