Déficit public : selon Bercy, "le risque principal" est lié aux dépenses des collectivités

Demeurant dynamique, l'évolution des dépenses des collectivités territoriales pourrait "à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d'euros" par rapport aux objectifs fixés, alertent le ministre des Finances et le ministre délégué aux Comptes publics, dans un courrier à des parlementaires. Sans mesures d'ajustement, le déficit pourrait grimper à 5,6 % du PIB à la fin de l'année, selon eux. Les associations d'élus locaux dénoncent un mauvais procès fait aux collectivités.

 

En matière budgétaire, on sait que la tâche sera ardue pour le futur gouvernement. Mais la situation pourrait être plus dégradée qu'on ne le pensait. "A budget inchangé", le déficit public pourrait atteindre 5,6% du PIB à la fin de l'année, soit bien plus que les 5,1% espérés, a fait savoir le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Éric Coquerel. Selon une note confidentielle de la direction générale du Trésor, dont il a été destinataire ce 2 septembre, le déficit public pourrait même, si rien n'est fait, s'établir à 6,2 % du PIB en 2025 – alors que la cible fixée par le gouvernement s'établit à 4,1 points. 

Bercy avance plusieurs explications. Les recettes de TVA, d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés "pourraient être moins élevées que prévu dans le programme de stabilité 2024-2027", alors même que ce dernier avait acté des prévisions de recettes revues à la baisse par rapport à celles de la loi de finances pour 2024. C'est ce qu'indiquent le ministre de l'Économie démissionnaire, Bruno Le Maire et son ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, dans une lettre aux rapporteurs généraux et aux présidents des commissions des finances des deux assemblées.

"Risque principal" du côté des dépenses locales

Certes, la croissance a été revue à la hausse, à +1,1% en 2024 et 2025 - contre 1% anticipé jusqu'ici. Mais compte tenu d'une "évolution de sa composition", cette croissance générera moins de recettes fiscales supplémentaires.

Par ailleurs, les comptes publics sont soumis à des "aléas très forts", soulignent les ministres. "Le risque principal, est lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales, qui n'a pu être confirmée que fin juillet", écrivent-il dans le courrier que Localtis a pu consulter. Ces dernières pourraient à la fin de l'année dépasser de 16 milliards d'euros la prévision inscrite dans le programme de stabilité 2024-2027. 

Pour rappel, le déficit public est le solde des comptes de l'État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales. L'apparition d'un besoin de financement du côté des collectivités contribue à creuser le déficit, d'où l'inquiétude de Bercy. L'exécutif s'était déjà alarmé au printemps d'un dépassement en 2023 des dépenses des collectivités par rapport à leurs recettes (+ 5,5 milliards d'euros, selon la Cour des comptes). Le président de la République lui-même les avait montrées du doigt dans un entretien à l'hebdomadaire L'Express, évoquant "une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités territoriales". "Il n'y a pas de dérapage de la dépense de l’État", assurait-il encore (voir notre article).

Crédits gelés

Selon la direction générale du Trésor, 30 milliards d'euros d'"économies" seraient nécessaires en 2024 pour respecter l'objectif d'un déficit à 5,1% du PIB. La barre serait beaucoup plus haute en 2025, avec 60 milliards d'euros à trouver dans les budgets de "l'État" et de "la Sécurité sociale".

On se souvient que face aux mauvaises nouvelles sur le front du budget, le gouvernement a annulé 10 milliards d'euros de crédits en février dernier. En avril, un effort supplémentaire de 10 milliards d'euros avait été annoncé, prévoyant 5 milliards d'euros de coupes dans le budget de l'État, 2,5 milliards d'euros d'économies sur les dépenses des collectivités locales, l'activation de nouveaux impôts sur les rentes devant apporter les 2,5 milliards d'euros restants (voir notre article). Mais selon de récentes informations du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le gouvernement démissionnaire aurait renoncé à demander aux collectivités locales de participer à l'effort de redressement des comptes publics (voir notre article).

Des cibles d'exécution des économies "ont été notifiées à chaque ministère", précisent dans leur courrier les ministres de Bercy. "Cette notification s'est accompagnée, en juillet 2024, d'un gel de 10,5 milliards d'euros par le ministère des comptes publics, conduisant à une réserve totale de 16,5 milliards d'euros début août", poursuivent-ils. Éric Coquerel dit "craindre que le futur gouvernement ne cherche à annuler l'entièreté des crédits gelés pour limiter le déficit", ce qui, "en période de reflux de l'activité économique, aura une conséquence récessive sur l'économie".

Budgets 2025 en diminution

Compte tenu de l'inflation, le projet de budget pour 2025 ébauché par le Premier ministre démissionnaire - lequel reconduit le montant du budget 2024, soit 492 milliards d'euros - doit permettre à l'État de réaliser une économie de 15 milliards (sur la copie remise par Gabriel Attal, voir notre article du 30 août).

"Seuls les budgets dédiés à la défense et la sécurité augmenteront plus vite que l’inflation", détaille le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui s'est vu remettre une synthèse des montants plafonds retenus par le Premier ministre. "Tous les autres budgets des ministères diminueront par rapport aux plafonds prévus en 2024", complète le député LFI. Certaines politiques sont plus touchées que d'autres : l'aide publique au développement dont les crédits se replient de 18% sans tenir compte de l'inflation, le sport (-11%), l'agriculture (-6 %), l’outre-mer (-4 %), ou encore l’écologie (-1 %). Compte tenu de l'inflation, le travail (+1 %) et l'Éducation nationale (+0,5 %) seront également concernés par une baisse de moyens.

Le nouveau Premier ministre, dont la nomination se faisait toujours attendre ce 3 septembre, et les ministres qui seront désignés probablement les jours suivants, pourraient vouloir remettre l'ouvrage sur le métier. Et pour cela s'exonérer de la date butoir du 1er octobre inscrite dans la loi organique relative aux lois de finances, qui s'applique à la présentation du projet de budget. Cette option est possible, selon une analyse juridique faite par le secrétariat général du gouvernement (SGG) et citée par Le Monde. En suivant la Constitution - qui donne 70 jours au Parlement pour examiner le budget - et en laissant cinq jours au Conseil constitutionnel pour étudier les recours, "on peut ainsi déposer un budget une semaine, voire quinze jours après le 1er octobre", avancent deux sources concordantes au sein de l’exécutif, interrogées par le quotidien. La préparation du projet de loi de finances pour 2025 est décidément inédite.
 

› Dépenses locales et déficit : les déclarations de Bercy passent mal chez les élus locaux

Les associations d'élus locaux et leurs responsables ont vivement réagi aux propos du ministre démissionnaire des Finances et du ministre délégué aux Comptes publics pointant le rôle de l'augmentation des dépenses des collectivités territoriales dans la dégradation du déficit public.

"Faire endosser la dégradation des comptes publics aux collectivités locales est un mensonge populiste pour masquer l’échec de la politique de Bruno Le Maire et d'Emmanuel Macron", a dénoncé Carole Delga, présidente de Régions de France, sur le réseau social X. Elle rappelle que "92% de la dette publique" sont liés au budget de l’État. Dans un communiqué publié le lendemain, son association a de même reproché aux locataires en sursis de Bercy de "s’exonérer de leurs responsabilités dans la dérive des comptes publics". La situation "n’est nullement le fait des collectivités, qui ne comptent que pour une très faible part de ces sommes : en 2023, la part des collectivités dans ce résultat ne représente que 0,2%", insiste-t-elle.  Régions de France regrette en outre que "les dépenses d’investissement, financées pour partie par le recours à l’emprunt, [soient] présentées comme un déficit des collectivités".

"Mise en cause des collectivités locales : il faut que cela cesse !", s'indignent de leur côté les élus de Villes de France, qui font part de leur "stupéfaction". De même, Intercommunalités de France appelle le gouvernement démissionnaire à "cesser rapidement ces mises en accusation caricaturales d’élus légitimement et démocratiquement en poste pour conduire leur mandat". 

Les deux associations d'élus locaux rappellent que les budgets des collectivités doivent être votés à l’équilibre. En outre, elles s'interrogent toutes deux sur la légitimité du gouvernement démissionnaire pour prendre des décisions qui dépassent de loin la gestion des affaires courantes, par exemple la réduction de 2,5 milliards d'euros à 1 milliard du fonds vert.

Une orientation que critique l'Association des petites villes de France (APVF). L'association présidée par Christophe Bouillon, maire de Barentin, exprime "sa très vive préoccupation" sur le sujet, et plus généralement sur les coupes budgétaires concernant la transition écologique. Elle appelle à une concertation sur le sujet entre les représentants des collectivités territoriales, le futur gouvernement et les parlementaires.

L'Association des maires de France (AMF) n'a pas tardé à fustiger à son tour une mise en cause "grossière" et "infondée" des comptes des collectivités locales pour "masquer la situation désastreuse des comptes de l’État", évoquant des "estimations dont les modalités de calcul ne sont pas communiquées". Les collectivités "ne sont pas le problème des comptes publics", réaffirme l'AMF, soulignant que "comme en 2023, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales augmentent en 2024 sous la double pression des mesures de revalorisation des traitements des fonctionnaires décidées par l’État et de l’augmentation du coût de l’énergie et des achats courants", sans oublier l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires. Et côté investissement, nombre de dépenses "résultent d’obligations nouvelles que le gouvernement et le Parlement ont mis à la charge des collectivités ces dernières années", rappelle encore l'association présidée par David Lisnard, citant les domaines de l'environnement, de la petite enfance, des transports ou encore de la sécurité.

De même, France urbaine regrette "une communication stigmatisant la gestion financière des collectivités territoriales sur le fondement d’une extrapolation de données provisoires qui n’ont fait l’objet d’aucune discussion avec les intéressées", qui "jette l’opprobre sur les élus locaux sans aucun sens des proportions". Pour l'association représentant les grandes villes et leurs métropoles ou agglomérations, le programme de stabilité 2024-2027 "a été bâti sur la base d’estimation de recettes erronées, notamment s’agissant de la TVA et des droits de mutation à titre onéreux -DMTO".

Ce 4 septembre, l'association Départements de France s'est jointe au concert, considérant dans un communiqué qu'"on atteint ici les limites de l’absurde au regard du fonctionnement de la décentralisation" et parlant de "mauvaise fois évidente" à l'heure où "les budgets des départements servent de plus en plus à financer les promesses sociales des gouvernements successifs".

 T.B. / C.M.

 

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