Fonction publique territoriale : la Cour des comptes plaide pour une réduction de 100.000 emplois

Alors que le Premier ministre veut réduire le déficit public à 5% en 2025, la Rue Cambon émet des propositions d'économies ciblées sur le secteur public local. Dans un rapport qu'elle a publié ce 2 octobre, elle préconise notamment de ramener les effectifs de la fonction publique territoriale à leur niveau du début des années 2010. Pour la Cour, la contribution des collectivités au redressement des finances publiques doit passer par une modération de leurs recettes. 

La Cour des comptes a régulièrement été à l’origine de propositions pour maîtriser la masse salariale des collectivités territoriales. Ce 2 octobre, elle a mis sur la table une nouvelle piste pour contenir leur premier poste de dépenses. Une proposition choc : la réduction progressive, d’ici 2030, des effectifs de la fonction publique territoriale d’"un peu plus" de 100.000 agents. Soit une baisse de 5,5% du nombre d’agents territoriaux. De 1,94 million à la fin de l’année 2021, ce dernier reviendrait ainsi à son niveau du début des années 2010, détaille-t-elle dans le second fascicule du rapport sur les finances publiques locales 2024, qu'elle a rendu public. 

Cette proposition fait écho à celle d'Emmanuel Macron, qui envisageait en 2017 de supprimer 120.000 postes dans la fonction publique (dont 70.000 dans les collectivités). Mais avec la crise des Gilets jaunes, puis celle du Covid-19, le président de la République est revenu sur son engagement, préférant stabiliser les effectifs.

Pour parvenir à se séparer d'autant d'agents, les collectivités sont incitées à ne remplacer qu’une partie des départs à la retraite qui seront croissants ces prochaines années. Les économies à la clé sont estimées à 4,1 milliards d’euros à partir de 2030, cette somme étant calculée en euros constants. 

Intercommunalité pointée du doigt

Les départs à la retraite d'agents territoriaux "offrent l’occasion de mener une réflexion sur l’organisation du travail, la structure des effectifs et les besoins en compétences", écrivait en octobre 2023 l'inspection générale des finances (IGF) dans un rapport sur la masse salariale des collectivités, qui n'a été rendu public qu'en avril dernier (voir notre article).

En une décennie, les effectifs d’agents locaux ont augmenté "en l’absence pourtant de nouveaux transferts de compétences de l’État aux collectivités", déplorent les magistrats. Selon eux, cette progression s’explique "principalement" par le développement de l’intercommunalité. Entre 2012 et 2022, "le nombre d’agents des intercommunalités a crû de 112.100 (+48%)", mais cette hausse n’a pas été "compensée" par une baisse comparable des effectifs dans les communes, puisque cette dernière n’a été que de 38.200 agents (-3%).

Les économies attendues de la montée en puissance de l’intercommunalité n’ont pas été au rendez-vous, critique la Cour. La faute en revient selon elle à "l’absence de lisibilité du partage des compétences entre intercommunalités et communes", qui "favorise l’empilement des dépenses de personnel".

"Les collectivités mutualisent encore insuffisamment leurs moyens d’action", déplorent aussi les Sages de la Rue Cambon. Pour développer les synergies entre les communes et les intercommunalités, ils préconisent l'obligation d'élaborer pour ces dernières des schémas de mutualisation – aujourd'hui de tels schémas sont facultatifs. En outre, ils jugent que l'attribution de subventions de fonctionnement et d'investissement par l'État devrait "tenir compte" localement du degré de développement des compétences intercommunales. 

"Pas une question comptable"

"Le personnel territorial ne peut être réduit à une question comptable", dénonce le président de l'Association des maires de France (AMF), dans sa réponse à la Cour des comptes. David Lisnard évoque également plusieurs raisons objectives qui conduisent les collectivités à recruter des agents supplémentaires, comme les transferts de compétences de l'État, "l'adaptation aux nouveaux enjeux de politiques publiques", ou encore la transition énergétique et son financement. Les intercommunalités "se voient confier des compétences qui ne sont pas toujours préalablement exercées par les communes et se dotent, en conséquence, d'agents territoriaux sans transfert possible des communes membres", fait-il encore remarquer.

La Cour des comptes prône par ailleurs une meilleure application de la durée annuelle de 1.607 heures dans les collectivités. Malgré une progressive "mise en conformité" ces dernières années avec la réglementation, "de nombreuses dérogations à la durée légale du travail persistent, au motif de sujétions liées à la nature des missions ou aux cycles de travail". Y mettre fin pourrait permettre, selon la Rue Cambon, de dégager 1,3 milliard d'euros d’économies par an. 

Se démarquant du rapport de Boris Ravignon sur le millefeuille administratif – celui-ci avait été remis au gouvernement Attal quelques jours avant la dissolution de l'Assemblée nationale – la Cour des comptes rejette l'idée que le point d'indice de la fonction publique puisse évoluer différemment selon les versants publics. Cette "décorrélation" soutenue par Emmanuel Macron au début de son premier quinquennat, comporte des "risques significatifs" et n'est pas souhaitée par les associations d’élus locaux, mettent en avant les magistrats. Qui conseillent plutôt au gouvernement "d’associer étroitement les représentants des collectivités à la prise de décision concernant l’évolution du point d’indice et, plus généralement, des mesures indiciaires". Les élus locaux apprécieront.

Frein sur les recettes locales

Comme l'IGF dans son rapport de l'automne 2023, la Cour des comptes considère que la généralisation des bonnes pratiques en matière de commande publique - comme la massification des achats et la mutualisation des circuits d’achats entre collectivités - peuvent être sources d'économies substantielles. La Cour les évalue à 5 milliards d'euros par an.

Pour la Cour des comptes, la participation des collectivités à l'effort de maîtrise du déficit et de la dette publics est justifiée, ne serait-ce que parce que leur part dans la dépense publique atteint près de 18%. L'ex-Premier ministre, Gabriel Attal, avait saisi en mars dernier la Cour des comptes de ce sujet, dans le cadre de la revue des dépenses. Dans sa réponse, qui figure dans le rapport, l'institution estime préférable de ralentir le rythme d'évolution des recettes des collectivités locales, plutôt que de tenter de maîtriser leurs dépenses (comme ont cherché à le faire les gouvernements depuis 2017). Elle avance plusieurs pistes, dont certaines avaient déjà été préconisées dans de précédents rapports de l'institution. Comme la réduction du rythme de croissance de la fiscalité nationale transférée aux collectivités (notamment la TVA). Les marges dégagées bénéficieraient à l'État et/ou seraient mises en réserve et versées aux collectivités en cas de conjoncture défavorable. Autre piste : la diminution, plus substantielle que ces dernières années, des compensations d'exonérations de fiscalité locale (les "variables d'ajustement"). La Cour propose aussi "la fin de l’indexation automatique" sur l'inflation des valeurs locatives cadastrales, qui servent d'assiette aux taxes foncières.

"Hausse considérable" du besoin de financement local

La Rue Cambon propose, en outre, qu'une partie du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), une des principales recettes d'investissement des collectivités (7,1 milliards d'euros en 2024) soit fléchée vers le financement des investissements liés à la transition écologique.

 "Nous ne pouvons souscrire à une proposition consistant à induire (...) un effet de ciseau dans le budget des collectivités", a répondu la présidente de France urbaine, Johanna Rolland. L'AMF a, elle, dénoncé la "brutalité de ces propositions", qui conduiraient selon elle "à un affaiblissement inédit de la capacité d'agir du bloc communal".

Après avoir atteint 5,5 milliards d'euros en 2023, le besoin de financement des collectivités (qui résulte du solde négatif de leurs dépenses et de leurs recettes) "va connaître une hausse considérable", indique la Cour. Qui semble ainsi confirmer les tendances mises en avant depuis un mois par Bercy. Pour rappel, les ministres sortants de l'Économie et des Comptes publics ont évoqué un "déficit" des collectivités pouvant dépasser de 16 milliards d'euros la prévision inscrite dans le programme de stabilité 2024-2027 (voir notre article).