La Cour des comptes demande une réforme "urgente" de la carte des forces de l'ordre

La Cour des comptes invite le ministère de l'Intérieur à revoir en urgence la carte des forces de police et de gendarmerie quasiment inchangée depuis quatre-vingts ans, en tenant compte de la montée en puissance des polices municipales.

Depuis l'instauration de la police d'État sous Vichy dans les communes de plus de 10.000 habitants (l'objectif était alors de s'assurer de la loyauté de ces polices qui étaient jusqu'ici municipales), la carte répartissant les zones de compétences entre la police et de la gendarmerie est restée en grande partie figée. Et ce, malgré les évolutions de la démographie et de la délinquance. Si bien que cette carte ne correspond plus vraiment aux besoins réels des territoires et connaît de nombreux enchevêtrements. En quatre-vingts ans, seulement 1.000 communes (sur 36.000) ont été transférées d'une zone à l'autre, au cours de quatre vagues de transferts "d'ampleur inégale" ; aucun transfert n'étant intervenu depuis 2014, constate la Cour des comptes, dans un rapport publié ce 13 janvier. Un constat déjà dressé dans une revue de dépenses en 2023 (voir notre article du 19 novembre 2023).

Dysfonctionnements et inefficience

Pour clarifier les choses, le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 proposait de confier les communes de moins de 30.000 habitants à la gendarmerie, celles de plus de 40.000 habitants à la police et d’analyser au cas par cas la situation des communes comprises entre ces deux seuils (voir notre article du 17 novembre 2020). Seulement, deux ans plus tard, le ministre de l'Intérieur décidait de ne rien faire. "Les freins à une réécriture d’ampleur de la carte sont multiples. Ils tiennent notamment aux réticences des élus locaux, aux enjeux d’équilibre entre les forces, à la sensibilité de ce sujet au sein des forces de sécurité intérieure et pour les organisations syndicales", pointe la Cour. Mais il est "urgent que le ministère de l’Intérieur s’empare de ce sujet et procède aux ajustements nécessaires", estime-t-elle. Car la répartition actuelle est source de "dysfonctionnements et d'inefficience, au détriment de la population".

Aujourd'hui, plus d'une circonscription de police sur dix couvre une population de moins de 20.000 habitants, alors que les deux tiers des communes intégrées à des métropoles (hors Grand Paris) sont en zone de gendarmerie, relève le rapport. Autre illustration des incongruités actuelles : le département de la Lozère, considéré comme le moins criminogène de France, peut se prévaloir d'un ratio de policiers et gendarmes pour 1.000 habitants supérieur à celui du Rhône, département pourtant cinq fois plus touché par les actes de délinquance. Sans parler des enchevêtrements du type des stations de métro toulousaines, "dont le sous-sol est en zone police et la surface en zone gendarmerie"…

4.558 polices municipales

Les évolutions récentes n'ont rien fait pour améliorer la situation. La place Beauvau a privilégié "les projets de réforme interne de chaque force plutôt qu’une refonte de la carte". Ainsi, en 2024, la police a conduit sa propre réforme des directions départementales ou interdépartementales de la police nationale (voir notre article du 9 novembre 2023), quand, au même moment, répondant à la volonté du président de la République, le plan 200 brigades de gendarmeries a été lancé. Un plan d'ailleurs entravé par les manques de budgets et de personnels (voir notre article du 18 novembre 2024). "N’étant pas accompagnées d’une réflexion portant sur la répartition territoriale des forces", ces deux réformes "pourraient conduire, notamment par les projets immobiliers afférents, à figer durablement la carte en découlant", considèrent les magistrats. Ils invitent d'ailleurs le ministère à prendre davantage en compte le poids grandissant des polices municipales dans ce maillage. Cette "troisième force" comptait quelque 27.000 agents répartis dans 4.558 communes au 31 décembre 2022. Or elle occupe une "place croissante dans la construction des politiques locales de sécurité", notamment au sein des "contrats de sécurité intégrée".

Le cas des communes nouvelles

Pour mener à bien cette réforme en profondeur, la Cour des comptes formule sept propositions. La première consiste à modifier l’article R . 431-2 du code de la sécurité intérieure afin de permettre à la gendarmerie, aussi bien qu'à la police, d'exercer dans les communes placées sous le régime de la police d'Etat. La Cour préconise de transférer en zone de gendarmerie les petites circonscriptions de police "jugées structurellement vulnérables", de même que l’ensemble des communes des départements ruraux et faiblement peuplés (soit 14 départements de moins de 200.000 habitants). Et, a contrario, de transférer en zone de police les communes intégrées à des métropoles. Le rapport propose aussi de relancer les dispositifs de détachements entre les deux forces, aujourd'hui très peu utilisés. Il s'intéresse aussi au cas particulier des communes nouvelles qui, aujourd'hui, peuvent opter pour une compétence mixte (c'est le cas de trois communes : Annecy, Héricourt et Thouars), ce qui entraîne une "complexité administrative". La Cour recommande, dans les cas de fusion, de ne retenir qu'une seule force (police ou gendarmerie), après avis des élus locaux.