La Cour des comptes appelle à freiner davantage les dépenses publiques
Dans le rapport annuel qu'elle a présenté ce 16 février, la Cour des comptes prévient l'exécutif et la majorité qui seront élus au printemps sur le déficit public. Pour ramener celui-ci en dessous de 3 % du PIB en 2027, sans augmenter les impôts, il faudra un tour de vis "sans précédent" sur les dépenses publiques. Chaque année, près de 9 milliards d'euros d’économies seront nécessaires, estiment les magistrats.
Après le recours massif aux budgets des pouvoirs publics pour faire face à la crise sanitaire, la réduction du déficit et de la dette publics "va nécessiter des efforts sans précédent de maîtrise des dépenses", a alerté la Cour des comptes, ce 16 février, en présentant son rapport public annuel 2022.
Si elle a permis d'éviter un "effondrement économique" du pays, la politique du "quoi qu'il en coûte" engagée par l'exécutif aura considérablement accru la dépense publique, alors que simultanément les recettes publiques ont été affectées.
Conséquence : de 75 milliards d'euros en 2019 (soit 3,1 points de PIB), le déficit public a presque triplé en 2020 (209 milliards d'euros, ou 9,1 points de PIB). Malgré la reprise économique, le déficit devrait être encore élevé en 2021 (7%) et en 2022 (5%). Simultanément, la dette publique a gonflé de manière spectaculaire. Elle atteindrait 2.940 milliards d'euros à la fin de 2022, soit 113,5 points de PIB. En deux ans, la dette publique aurait ainsi grimpé de 560 milliards d'euros.
"Forte progression" de l’investissement local en 2021
La Cour des comptes tire la sonnette d'alarme. Avec un tel bilan, la France se situe – avec l'Italie, la Belgique et l'Espagne – "dans le groupe des pays de la zone euro dont la situation des finances publiques est la plus dégradée". Cette situation "est un facteur de risque pour la cohésion de la zone euro", ajoutent les magistrats financiers. Pour qui la dette publique du pays ne peut plus continuer sa progression. Sinon, "la confiance des acteurs économiques dans la capacité de la France à honorer ses engagements passés et à venir" sera fragilisée.
Malgré la baisse des dépenses de soutien et de relance, les dépenses publiques restent en 2021 et 2022 "plus dynamiques qu'avant-crise", s'inquiète par ailleurs la Cour. Les dépenses "hors crise" de l’État devraient avoir augmenté de près de 11 milliards d'euros en 2021. Les dépenses de l'Etat s'élèveraient ainsi au total à 534,6 milliards d'euros en 2021. Et une nouvelle hausse (de 8 milliards d'euros) est attendue pour 2022. De leur côté, les dépenses des administrations de sécurité sociale (environ 660 milliards d'euros) progresseraient de 3,6 % en 2021, avant de se stabiliser en 2022, malgré la très forte baisse des dépenses liées à la crise.
Enfin, les dépenses des administrations publiques locales (de l’ordre de 280 milliards d'euros) croîtraient de 4,7% en 2021 et 2,7% en 2022. Une nette augmentation qui s’explique principalement par la reprise de l’investissement l'an dernier (+ 12,3%). "Cette expansion fait plus que compenser le repli de l’investissement local en 2020 (- 5,5%), année marquée par l’arrêt des chantiers en raison de la crise sanitaire et des élections municipales", précise la Cour des comptes. Mais l'institution note par ailleurs que les autres dépenses des administrations publiques locales "progresseraient vivement" en 2021 et 2022 (+ 2,3 % en moyenne sur les deux années). Soit trois fois plus qu’en 2020 (+ 0,7 %).
Freiner les dépenses
En octobre dernier, le gouvernement a fixé un objectif de retour à un déficit public inférieur à 3 points de PIB en 2027. Un tel résultat permettrait à la dette publique de commencer à décroître. Pour y arriver, l'exécutif a exclu toute hausse fiscale. Mais il a misé sur la croissance et ses effets sur les recettes publiques, ainsi que sur la maîtrise de la dépense. Toutefois à partir de 2023, la croissance économique attendue à + 1,6% devrait retrouver ainsi un niveau proche de l'avant-crise, nécessitant surtout de freiner les dépenses. Ainsi, le respect de l'objectif fixé suppose que celles-ci ne progressent pas en volume de plus de 0,4% par an, en moyenne, sur la période 2023-2027. Cela dessine une trajectoire de maîtrise de la dépense plus exigeante que par le passé, souligne la Cour. En effet, sur la période 2010-2019, la dépense publique avait connu une augmentation en moyenne et en volume d'1%. "Par rapport au rythme de croissance d’avant-crise, qui incorporait déjà des mesures d’économie, ce sont donc près de 9 milliards d'euros d’économies supplémentaires chaque année qui seraient nécessaires", estime la Rue Cambon.
Dans un rapport sur "la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise", qu'elle a remis en juin dernier au Premier ministre, la Cour des comptes recommandait le vote à l'automne 2022 d'une loi de programmation des finances publiques pour la période du prochain quinquennat (2022-2027). Cette loi fixerait des objectifs de réduction du déficit et de la dette publics. En outre, la Cour identifiait cinq secteurs clés pour mener des réformes : le système des retraites, l’assurance maladie, la politique de l’emploi, les minima sociaux et la politique du logement. Dans leur rapport annuel, on notera que les magistrats appellent aussi le gouvernement à affecter, le cas échéant, les recettes supplémentaires (les "bonnes surprises") "au désendettement et non au financement de baisses de prélèvements obligatoires ou de dépenses pérennes nouvelles."
"Ne pas surévaluer les efforts"
Dans leur réponse à la Cour, les ministres de l'Economie et des Comptes publics, Bruno Le Maire et Olivier Dussopt expliquent l'accélération des "dépenses hors crise" à la fin du quinquennat par le Ségur de la santé et le "net rebond de la dépense locale" lié à la reprise de l'investissement local. Il s'agit de "deux facteurs temporaires", écrivent-ils.
Par ailleurs, les deux ministres s'accordent sur la nécessité pour les pays européens – dont la France – connaissant les situations financières "les plus dégradées" de "faire des efforts plus importants". Mais ils soulignent aussi qu'il est "essentiel" de ne pas brider la reprise et de soutenir la croissance "à long terme". Enfin, il ne faut pas "surévaluer les efforts à réaliser en sortie de crise", indiquent-ils. En précisant que l'effort de réduction de la dépense de 9 milliards d'euros par an évalué par la Cour "inclut le retrait des mesures d’urgence et de relance".