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Éducation, insertion, industrie, culture, santé... la Cour des comptes prodigue ses conseils "structurels"

La Cour des comptes poursuit un nouvel exercice en marge de ses rapports en bonne et due forme. La publication de notes thématiques sous la bannière "Les enjeux structurels pour la France". Il s'agit, explique-t-elle, d'un "ensemble de travaux destinés à présenter, sur plusieurs grandes politiques publiques, les principaux défis auxquels seront confrontés les décideurs publics au cours des prochaines années et les leviers qui pourraient permettre de les relever". Avec la volonté d'"apporter sa contribution au débat public". Une série de huit notes avaient déjà été publiées en octobre et novembre. Ce 14 décembre, une salve de cinq nouveau documents, d'une vingtaine de pages chacun, a été rendue publique. Les préconisations contenues dépassent très largement les enjeux de finances publiques...

  • Éducation : un système scolaire "à la gestion trop centralisée et encadrée"

"En dépit d'une dépense nationale d'éducation supérieure à la moyenne de l'OCDE, la performance du système scolaire français tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés", pointe la Cour des comptes dans sa note intitulée "Une école plus efficacement organisée au service des élèves". La France a consacré en 2020 près de 110 milliards d'euros à l'éducation des élèves du premier et du second degré, avec une part de 5,2% de dépenses d'éducation dans le PIB, au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE qui s'élève à 4,9%, peut-on lire. Malgré cet effort, "le rééquilibrage des moyens au profit du premier degré, la "priorité en matière de réussite éducative" et l'adaptation des dépenses à l'évolution de la démographie sont "lents", conclut la Cour.  Et celle-ci de citer "les réformes pédagogiques, l'accroissement des moyens, les résultats des évaluations sur les acquis des élèves" qui n'ont "pas encore suffisamment permis d'améliorer la qualité du système éducatif français".
Les réformes pédagogiques décidées par les gouvernements successifs, qui portent surtout sur le cursus des élèves, "ne suffisent pas à améliorer la performance", analysent les Sages de la rue Cambon. Ces réformes, pour produire leurs effets, "ont besoin d'une refonte des modes d'organisation du système scolaire, touchant notamment l'autonomie des établissements et les prérogatives des chefs d'établissement". "À la différence d’autres pays d’Europe, où le système éducatif est organisé autour des établissements, la France se caractérise par un système éducatif très centralisé", développent-ils. Selon la Cour, "lorsqu’il s’agit d’impulser une réforme, d’adapter les dispositifs éducatifs aux réalités locales, de gérer une situation de crise, les responsables locaux sont dans une position relativement fragile". Résultat : "seulement 10% des décisions prises en matière éducative le sont au niveau des établissements, dont à peine 2% en 'autonomie totale'".
Au vu de ces constats, la Cour propose quatre pistes d'action. Tout d'abord, elle suggère de rapprocher écoles et collèges pour faciliter le parcours de l'élève. Ensuite, elle considère que les établissements devraient bénéficier de davantage de marges d'autonomie. Elle estime également que le cadre d'exercice du métier d'enseignant devrait être rénové. Enfin pour la Cour, "l'amélioration de la performance et de l'équité du système scolaire exige une capacité d'adaptation plus forte aux contextes locaux et aux profils des élèves". Pour cela, elle plaide pour une "politique d'évaluation ambitieuse" des élèves et des établissements. Ces évaluations "n'auront de sens que si les établissements peuvent mettre en œuvre des projets éducatifs comportant un certain degré de différenciation de leur approche", estime-t-elle.

  • Mieux cibler les aides à l’industrie

L’industrialisation s’impose comme un thème fort de cette campagne présidentielle. Dans une note intitulée "Adapter la politique industrielle aux nouveaux enjeux", la Cour des comptes analyse à froid le décrochage industriel de la France. Elle donne le sentiment d’une navigation à vue : tous les deux ou trois ans "des plans et des stratégies industrielles" sont lancés, sur fond "de souveraineté ou d’indépendance nationale", "d’accompagnement des restructurations industrielles et de leur impact territorial". Pour de piètres résultats : sixième puissance industrielle en 2004, la France est aujourd’hui au huitième rang. La situation de l’emploi industriel avait commencé à se stabiliser avant la crise sanitaire de 2020, mais le déficit béant de la balance commerciale invite à "traiter les handicaps structurels". La cour appelle à un renforcement global de la compétitivité industrielle : supprimer les impôts de production "les plus distorsifs" comme la C3S, accroître l’attractivité des métiers et des compétences, améliorer l’environnement des affaires. Pour la cour, il faut en deuxième lieu renforcer la gouvernance industrielle, mieux la coordonner avec les politiques de l’énergie, de la recherche et de l’innovation, de la santé. Elle salue à cet égard l’initiative "Territoires d’industrie" et préconise son évaluation.
Parallèlement, les aides publiques massives - 17 et 20 milliards par an avant même le plan de relance - doivent être bien mieux ciblées. La cour se montre très sceptique sur les aides à la relocalisation qui "peuvent être très coûteuses et inefficaces". Elle recommande d’appuyer la politique industrielle sur les financements européens et les projets de coopération et pointe le risque d’un "décrochage technologique" de l’Europe. Il faut enfin, selon elle, "inscrire les réponses aux défis de la transition numérique et de la décarbonation de l’industrie française dans la durée".

  • Insertion des jeunes : les défis du contrat d’engagement

L’insertion des jeunes fait aussi partie de ces réformes récurrentes qui ne parviennent pas à changer la donne. "Près de 10% des 750.000 jeunes sortant chaque année du système éducatif se retrouvent sans qualification, quand le taux de chômage des 15-24 ans avoisine les 20%." À la veille de la mise en place du "contrat d’engagement", la note de la Cour des comptes "L’insertion des jeunes sur le marché du travail" fait office de mise en garde. Elle préconise une action "plus résolue" en direction des jeunes les plus éloignés de l’emploi, et d'aller vers les publics dits "invisibles". L’un des enjeux de ce nouveau contrat sera de "finaliser de manière cohérente l’articulation des dispositifs d’insertion dans l’emploi avec la question du revenu des jeunes". Compte tenu de l’importance des moyens mobilisés, la cour préconise un financement de Pôle emploi, des missions locales et des autres intervenants (associations, prestataires) "davantage en relation avec leur performance d’insertion dans l’emploi". Elle plaide pour un "guichet unique" avec un "parcours intégré" et appelle à plus long terme à une "redistribution" des compétences entre l’État et les régions. Entre recentralisation et régionalisation, la cour se refuse cependant à trancher.

  • Culture : le ministère ne fait pas le poids face aux collectivités

Dans sa note intitulée "Recentrer les missions du ministère de la Culture", la Cour des comptes part du constat que "le rôle central d’initiateur longtemps joué par le ministère de la culture a perdu de son importance"… "au point que certains en sont venus à poser la question de savoir si (…) il avait encore, en tant que tel, une réelle utilité. Ceci, notamment, dans la mesure où "l’intervention croissante des collectivités territoriales qui se sont appuyées sur les lois de décentralisation pour investir dans le champ de la culture et représentent aujourd’hui une source de financement trois fois supérieure à celle du ministère". Les chiffres sont clairs : en 2019, tandis que le budget exécuté de la mission Culture d'élevait à 2,96 milliards, les dépenses culturelles des collectivités étaient de l'ordre de 10 milliards. "Compte tenu du différentiel de croissance entre l’évolution du budget du ministère et celle des crédits consacrés à la culture par les collectivités territoriales, ainsi que des financements d’origine privée (…), le pouvoir d’orientation et d’incitation du ministère s’est incontestablement émoussé", insiste la Cour. Finalement, le ministère consacre aujourd'hui "une part de plus en plus importante de ses activités à la distribution de fonds publics", lesquelles sont de surcroît marquées par "un saupoudrage des aides selon une politique de guichet et de droits acquis". Afin que le ministère puisse se recentrer sur son rôle d'impulsion, la Cour juge par conséquent nécessaire de "pousser jusqu’à son terme le mouvement consistant à transférer à des opérateurs relevant de sa tutelle ou aux collectivités territoriales les activités opérationnelles qu’il exerçait directement et que soit ainsi fixé sans ambiguïté le périmètre restant de son ressort". Dans le champ des musées par exemple, "certains musées encore classés dans la catégorie des musées nationaux, mais qui, au regard des collections dont ils ont la charge, pourraient être décentralisés et bénéficier ainsi d’une gestion plus dynamique grâce aux soutien de proximité des collectivités locales".

  • Santé : la Cour prescrit plus d'économies pour soigner les déficits

Fusions d'hôpitaux, baisses de tarifs, contrôles renforcés : pour sortir l'assurance maladie "avant 2030" des déficits, il faudra économiser jusqu'à 6 milliards d'euros par an, estime la Cour des comptes dans sa note titrée "Garantir l'accès à des soins de qualité et résorber le déficit de l'assurance maladie". Décidées au début de l'épidémie de Covid-19, les hausses de salaires "non financées" du "Ségur de la santé" vont durablement plomber les comptes de la Sécu, dont la perte "stagnerait autour de 14 milliards d'euros" par an "à partir de 2024".  Pour "résorber (ce) déficit" sans augmenter les impôts ni diminuer les prestations, la Cour des comptes propose de renouer avec les économies d'avant-crise et même de "major(er) de moitié l'effort annuel par rapport à son niveau antérieur de 3 à 4 milliards d'euros", soit une cible de 4,5 à 6 milliards par an, afin de "ramener l'assurance maladie à l'équilibre financier avant 2030". Cette cure d'austérité n'épargnerait pas les hôpitaux publics, qu'il faudrait "encourager à fusionner", en particulier les 30 CHU qui seraient réduits à "une dizaine", tandis que les petits blocs chirurgicaux passeraient sous les fourches caudines de "seuils d'activité minimale". Des "rentes de situation" seraient également passées au rabot dans le secteur privé : la Cour invite ainsi à "peser sur les prix des dispositifs médicaux" et pointe le "haut niveau" de rentabilité des centres de dialyse privés comme des laboratoires d'analyse biologiques. L'Assurance maladie est aussi priée de juguler "les remboursements à tort de frais de santé", frauduleux ou non, qui auraient coûté au moins 2 milliards d'euros en 2020. Quitte pour cela à "bloquer a priori un plus grand nombre de factures irrégulières" et à "accroître le nombre de contrôles a posteriori".

Parmi les sujets abordés par les notes précédemment publiées :

- Le réseau ferroviaire (voir notre article du 23 novembre)

- L'approvisionnement électrique (article du 19 novembre)

- L'autonomisation des universités (article du 26 octobre)

 

Pour aller plus loin

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