Budget de l'État : la Cour des comptes craint un "effet cliquet"
La Cour des comptes a publié ce 13 avril son rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2020. Un déficit et une dette qui explosent au fil des quatre lois de finances de l'année… Au-delà des dépenses exceptionnelles induites par la crise, la Cour s'inquiète d'un risque d'augmentation des dépenses sur la durée. Elle a passé au crible toutes les missions budgétaires, qui font l'objet de notes spécifiques. Quatre d'entre elles concernent directement les finances locales : dotations, remboursements et dégrèvements d’impôts locaux, avances remboursables des DMTO, "filet de sécurité" pour les recettes du bloc communal...
La crise sanitaire a coûté près de 93 milliards d'euros au budget de l'État en 2020 - hors périmètre de la sécurité sociale et des collectivités -, selon l'évaluation réalisée par la Cour des comptes et publiée dans son rapport annuel sur l'exécution du budget de l'État. "Même si ce chiffre est entouré d'une marge d'incertitude, il rend compte de l'ampleur du coût de la crise et des mesures prises par l'État pour y répondre", souligne la juridiction financière.
Les dépenses supplémentaires liées à la crise ont représenté 49,7 milliards d'euros, tandis que les pertes de recettes ont atteint 37,3 milliards d'euros, dont 32,3 milliards de recettes fiscales en moins. Il faut encore y ajouter 5,7 milliards d'euros liés au déficit des comptes spéciaux (comptes d'affectation spéciale, comme celui de gestion des participations de l'Etat, etc.).
Mais outre l'effet de l'épidémie de Covid-19, la Cour note que les dépenses non imputables à la crise ont elles aussi progressé de 6,7 milliards d'euros en 2020, "soit une dynamique de croissance proche de celle de 2019 (+7,3 milliards) et bien supérieure à celle de 2018 (+1,5 milliards)". Cela traduit "une hausse structurelle des dépenses", souligne l'institution, qui s'inquiète "d'un risque d''effet cliquet'" – autrement dit du risque que les dépenses de l'Etat se maintiennent "à un niveau durablement plus élevé qu'avant-crise, pesant ainsi sur la trajectoire de solde et de dette publics".
Alors que le produit intérieur brut (PIB) a plongé de 8,2% l'an dernier, la dette (115,7% du PIB) et le déficit public (9,2%) ont atteint des records en 2020. La Cour avance des incertitudes encore fortes pour 2021, sur la durée des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises, et d'éventuelles nouvelles dépenses, par exemple si l'Etat devait mobiliser sa garantie accordée sur certains prêts.
Face à ces inquiétudes, Bercy assure qu'il sera d'une "grande vigilance" pour que "ces dépenses de crise ne soient pas pérennisées, d'une part, en ciblant les dispositifs de soutien et, d'autre part, en s'assurant du caractère temporaire de ces mesures", écrit-il dans sa réponse à la Cour jointe au rapport. Il a d'ailleurs annoncé la semaine dernière des "efforts importants" à venir sur les dépenses publiques, afin de ramener le déficit public sous les 3% en 2027. Son objectif est de ramener la hausse des dépenses à +0,7% par an en moyenne à cet horizon, contre en moyenne 1% par an entre 2017 et 2019, et +1,4% par an durant la décennie 2010. Cette trajectoire pourrait faire l'objet d'une évaluation prochaine par la Cour des comptes qui, à la demande du Premier ministre, doit rendre début mai un rapport sur les perspectives des finances publiques. En sachant que le rapport annuel de la Cour a été présenté il y a moins d'un mois, le 19 mars… mais que celui-ci, une fois n'est pas coutume, parlait peu de finances publiques. Ce rapport consistait surtout à "partager certains enseignements" sur la façon dont la crise sanitaire a été gérée l'an dernier par les pouvoirs publics (voir notre édition du 19 mars).
La publication ce 13 avril du rapport sur le budget de l’État en 2020 s’accompagne de la mise en ligne de 60 "notes d’analyse de l’exécution budgétaire" de chacune des missions budgétaires, d'analyses de l’exécution des recettes et dépenses fiscales… "Ces documents constituent une analyse approfondie de l’exécution budgétaire par grande politique publique. Ils sont assortis de recommandations et complètent le diagnostic global formulé par le rapport sur le budget de l’État", explique la Cour.
Parmi les notes d'analyse, les collectivités pourront notamment s'intéresser à celles sur les missions Cohésion des territoires (accès au logement, hébergement, urbanisme, politique de la ville, aménagement du territoire…), Enseignement scolaire (où on lira par exemple que la Cour juge critiquable, s'agissant des "internats de la réussite", "l’intervention de l’État dans un domaine qui relève des collectivités territoriales"), Sport, Jeunesse, vie associative (un champ dont la gestion a été très "marquée par les effets de la crise sanitaire" avec le "déploiement de nombreux dispositifs ad'hoc" tels que les "vacances apprenantes"), Écologie, développement et mobilité durables, ou encore Solidarité, insertion et égalité des chances.
Une note est en outre consacrée au "plan d'urgence face à la crise sanitaire" : chômage partiel, fonds de solidarité pour les entreprises, renforcement des participations financières de l'État, allègements de charges… Tout cela ayant évidemment mis en jeu "des ressources très importantes, accrues par chacune des lois de finances rectificatives" (69,6 milliards d'euros au total sur les quatre lois de finances).
Enfin, quatre notes concernent plus directement les finances locales : Relations avec les collectivités territoriales, Remboursements et dégrèvements, Avances aux collectivités et Prélèvements sur recettes au profit des collectivités.
- L’exécution des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales (RCT) - qui comprend en particulier les dotations pour l'investissement des collectivités - s’est élevée à 4,41 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,62 milliards d'euros en crédits de paiement, soit respectivement 14,7% (+ 565 millions) et 5,2% (+ 178 millions) de plus qu’en 2019, résume la Cour des comptes dans sa note d'analyse spécifique à cette mission. La hausse des autorisations d'engagement est principalement due à la création de la dotation exceptionnelle de soutien à l'investissement local (DSIL). 571 millions d'euros ouverts dans le cadre du dispositif ont été consommés en 2020, le restant (429 millions d'euros) étant reporté sur 2021. Mais, selon la Cour, l'impact budgétaire réel de cette dotation ne se fera sentir qu'à partir de 2021. La consommation des crédits de paiement de cette dotation devrait être "répartie entre 2021 et 2025, avec un maximum de 400 millions atteint en 2023", indiquent en effet les magistrats.
Le remboursement par l'Etat de la moitié du coût des masques achetés par les collectivités entre le 13 avril et le 1er juin 2020 pour leur population a également entraîné une hausse des autorisations d'engagement ouvertes au titre de la mission. Mais cet engagement du Premier ministre, Edouard Philippe, "a fait l'objet d'un financement tardif". L'Etat a dépensé 129 millions d'euros de crédits de paiement en 2020 pour l'honorer. Mais, selon la direction générale des collectivités locales (DGCL) "le montant total des demandes de remboursement éligibles pourrait atteindre 228 millions d'euros". Or, le besoin de financement estimé à 93 millions d'euros en crédits de paiement n'est pas couvert pour le moment.
Comme par le passé, la Cour s'inquiète des écarts de consommation entre autorisations d'engagement et crédits de paiement qui affectent les dotations destinées à l'investissement local. "Le rythme de consommation des CP [crédits de paiement] doit être considéré comme un point majeur de vigilance pour les administrations gestionnaires", souligne-t-elle.
Dans leur analyse de la mission "RCT", les magistrats réitèrent une proposition qu'ils avaient faite en novembre dernier, consistant à "regrouper l’ensemble des transferts financiers de l’Etat au bénéfice des collectivités territoriales au sein d’une nouvelle mission budgétaire conservant le nom de l’actuelle mission "Relations avec les collectivités territoriales". Le but serait de "clarifier" les modalités de financement des collectivités.
- Dans son analyse sur la mission "Remboursements et dégrèvements", la Rue Cambon s'intéresse bien sûr aux remboursements et dégrèvements d’impôts locaux. Atteignant 22,9 milliards d'euros l'an dernier, ceux-ci ont été en nette hausse (+ 4 milliards par rapport à 2019). Ceci s'explique par la poursuite de la mise en œuvre de la suppression de la taxe d'habitation en faveur de 80% des ménages les moins aisés. Le dégrèvement mis en place pour compenser les communes et les intercommunalités s'est élevé en 2020 à 14,5 milliards d'euros, (après 10,6 milliards en 2019). La facture est donc très salée pour l'Etat. Mais elle a en partie été compensée par la fin du plafonnement de la taxe d'habitation en fonction du revenu qui bénéficiait aux foyers modestes (3,2 milliards d'euros en 2019). Cette année, les remboursements et dégrèvements d’impôts locaux se replieront fortement, puisque le dégrèvement de taxe d'habitation disparaît : à la place, les communes perçoivent la part départementale de la taxe foncière et leurs groupements une part de TVA.
- Dans une note d'analyse sur la mission "Avances aux collectivités territoriales", la Cour se penche en particulier sur l'exécution du dispositif d'avances remboursables de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) destinées aux départements affectés par les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19. Alors que la loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 (LFR3) a ouvert 2 milliards d'euros en autorisation d'engagement pour cette mesure, la dépense réelle de l'Etat s'est finalement limitée pour le moment à 352 millions d'euros. C'est donc moins que les 394 millions d'euros que l'Etat prévoyait de dépenser au début de l'automne dernier pour ce dispositif (voir notre article du 2 octobre). Seulement 40 départements sur les 80 éligibles ont en effet sollicité le versement d'avances de DMTO. On notera que les versements que ceux-ci ont obtenus feront l’objet d'un ajustement en 2021, une fois le montant des recettes de DMTO de 2020 connu. Le coût définitif de la mesure n'est donc pas encore connu. Pour rappel, les 40 départements concernés ne commenceront à rembourser l'Etat qu’à partir de l’année suivant celle au cours de laquelle le montant de leurs recettes fiscales de DMTO sera au moins égal à celui constaté en 2019. Dans sa note, la Cour indique aussi que la reprise financière effectuée sur les recettes fiscales des collectivités qui n'ont pas respecté l'objectif de dépenses fixé dans le cadre de la contractualisation financière avec l’Etat ("pacte de Cahors") s'est élevée à 21 millions d'euros en 2020. Le compte d'avances aux collectivités territoriales (108 milliards d'euros en 2020) fait l'objet d'un "suivi insuffisant", déplore la Cour. Elle juge qu'"un véritable pilotage de ce compte reste encore à mettre en œuvre, tant en prévision que pour l’exécution".
- Combien le "filet de sécurité" pour les recettes fiscales et domaniales du bloc communal en 2020 a-t-il coûté à l'Etat ? C'est sur cette question notamment que la Cour des comptes se penche dans son analyse de l'exécution de la mission "Prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales". Elle répond de manière précise : pour le moment, la mesure créée par la loi du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 (LFR3) a coûté 549 millions d'euros à l'Etat. C'est un montant nettement inférieur à celui qui avait été prévu à l'été 2020 (993 millions d'euros, dont 425 millions à destination d’Ile-de-France Mobilités). L'écart s'explique par la bonne résistance des finances locales aux effets de la crise économique, comme l'a révélé le bilan de l'exécution des budgets locaux réalisé par la DGFIP. Avec le dispositif, l'Etat compense les pertes observées sur certaines recettes en 2020 au regard de la moyenne de ces mêmes recettes sur la période 2017-2019. La LFR 3 a prévu le versement d’acomptes dès 2020 sur le fondement d’une estimation des pertes de recettes subies au cours de cet exercice. Un ajustement doit intervenir en 2021. La loi de finances pour 2021 a reconduit le filet de sécurité pour les seules recettes fiscales du bloc communal, notamment dans le but de venir en aide aux collectivités et intercommunalités dont les budgets seront affectés par une baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le coût de la mesure est estimé à 80 millions d'euros en 2021 et à un montant identique l'an prochain.