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Investissements - La Commission européenne opte pour un plan de relance consensuel

Bruxelles mise sur l'apport de garanties publiques, à hauteur de 21 milliards d'euros, pour démultiplier les capacités de la BEI et servir d'appât aux investisseurs. Le plan doit se matérialiser dès mi-2015.

A son époque, Jésus-Christ démultipliait les pains et les poissons à Bethsaïda. En 2014, le nouveau président de la Commission européenne a pour ambition de faire la même chose avec les milliards du budget de l'UE.
Contrairement aux Etats-Unis, l'Europe n'a pas retrouvé son niveau d'investissement antérieur à la crise. Depuis 2008, il a même baissé de 15 %.

Générer 315 milliards à partir de 21 milliards de garanties

Pour renverser cette tendance, Jean-Claude Juncker n'a eu de cesse d'agiter le chiffre de 300 milliards d'euros d'investissements depuis sa prise de fonction à la tête de la Commission. Un montant colossal qui tranche avec la modestie du montage que l'ex-Premier ministre luxembourgeois a présenté au Parlement européen le 26 novembre.
Au cœur du dispositif, un "fonds européen pour les investissements stratégiques" (Feis), constitué de garanties à hauteur de 21 milliards d'euros sur trois ans. Cinq viendront de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui accepte de les mobiliser sur des projets plus risqués, les 16 milliards restants provenant de ressources publiques européennes. 8 des 16 milliards annoncés proviennent du budget européen : 3,3 milliards sont issus du mécanisme d'interconnexion (énergie, transport, télécommunications), 2,7 milliards d'Horizon 2020 (recherche) et 2 milliards des marges de flexibilité dont bénéficie la Commission pour ajuster le budget en fonction des besoins. L'origine des 8 milliards restants n'est pas connue. Ils pourraient potentiellement provenir du budget des Etats.
Au plan financier, la "force de frappe est limitée", concède l'eurodéputé centriste Dominique Riquet, car elle repose sur la "sollicitation d'un budget européen en grande difficulté". Depuis que la crise exerce une très forte pression sur les finances publiques, les paiements européens arrivent en retard, ou subissent des coupes. Afin d'éviter une levée de bouclier des régions et des agriculteurs, qui connaissent déjà l'enveloppe de fonds européens qui leur sera affectée d'ici 2020, la Commission a exclu de puiser dans l'argent de la PAC et de la politique de cohésion pour alimenter le fonds de garantie.
La perspective d'utiliser d'autres mannes, fonctionnant davantage sur le principe des appels à projets, n'est pourtant pas neutre. Les 2,7 milliards d'euros issus d'Horizon 2020 et provisionnés pour le fonds de garantie pourront venir en appui de projets qui n'ont rien à voir avec la recherche. Un redéploiement que certains députés européens observent avec méfiance. "Il s'agit de priver Paul pour gâter Pierre", résume l'eurodéputé écologiste Philippe Lamberts. "Quand on voit l'importance d'Airbus", il ne faudrait pas qu'une "région comme la mienne" en ressorte perdante, complète Eric Andrieu, élu dans le Sud-Ouest.
Forte de son triple A et des nouvelles garanties de 21 milliards d'euros, la BEI pourra démultiplier sa capacité à lever de l'argent sur les marchés, et ainsi accorder des prêts ou des fonds propres à hauteur de 63 milliards d'euros. Le fonds pourrait couvrir jusqu'à 20% des coûts des projets d'investissement, lesquels atteindraient donc 315 milliards d'euros. L'UE accepte aussi de prendre en charge la majeure partie du risque, assumant d'essuyer en premier les pertes si un projet venait à échouer.
Le Finlandais Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne, a d'ores et déjà prévu de se lancer dans un "roadshow" mondial, afin de porter la parole de l'évangile auprès des investisseurs de tous les continents. Le fonds sera "pleinement opérationnel d'ici mi-2015", promet-on à la Commission européenne.

Pas de "juste retour" pour les Etats

D'ici là, Bruxelles devra prouver que les 300 milliards d'euros sont autre chose qu'un slogan. Un projet de législation sera présenté d'ici la fin de l'année afin de donner corps au fonds tout en entérinant la réallocation du budget européen. Jean-Claude Juncker devra aussi convaincre les capitales de la viabilité de son plan, dans la perspective du sommet européen des 18 et 19 décembre. Surtout qu'il souhaite lutter contre le réflexe du "juste retour", qui mine habituellement les négociations budgétaires européennes.
Les gouvernements seraient donc écartés de la prise de décision, au profit d'un "comité indépendant" chargé de sélectionner les meilleurs projets, en prenant soin de réfléchir à l'instrument financier le plus adapté. Sa composition reste floue. Experts nationaux, agents de la BEI ou de la Commission ? Le débat n'est pas tranché. "Ce ne sera pas des bureaucrates, ni des responsables politiques", balaie une source européenne. Difficile, cependant, de ne pas veiller à la bonne répartition des investissements. Une concentration des moyens dans les pays bien portants au détriment des Etats les plus exposés à la crise paraît inimaginable…
A ce jour, les Pays-Bas et l'Allemagne sont les seuls pays à ne pas avoir fait remonter à Bruxelles la liste des projets susceptibles d'être financés par le fonds. "Ils n'en ont pas besoin", glisse un responsable européen. La France a au contraire retenu 32 actions transmises à la Commission et la BEI à titre "illustratif" (extension du port de Calais, Charles de Gaulle Express, gazoduc Val-de-Saône, etc.). Une démarche réalisée dans l'urgence et à laquelle les collectivités n'ont pas été associées. Dans un entretien à La Gazette, le directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas, a toutefois indiqué vouloir "aider les collectivités à aller chercher plus en amont les nouveaux financements européens, et tout particulièrement ceux du plan de 300 milliards d'euros annoncés par la commission Juncker".
La force de frappe du plan européen dépendra aussi des Etats, invités à muscler le montant de garanties mis sur la table. Dans une interview récente aux Echos, le ministre de l'Economie espagnol, Cristobal Montoro, a fait savoir qu'il était prêt à y contribuer, si "notre apport" est "pris en compte dans la procédure pour déficit excessif".
C'est tout l'enjeu des semaines à venir. Bien qu'elle ait repoussé sine die ses travaux sur la "flexibilité" en matière de surveillance budgétaire, la Commission compte néanmoins se montrer clémente avec les Etats qui alimenteront le fonds. Leur contribution pourra être déduite du calcul du déficit, même si ce dernier excède 3% du PIB.
Une variante de ce que prône l'Italie de longue date… A une nuance près : si Rome veut défalquer les contributions nationales à des projets financés sur le territoire italien, Jean-Claude Juncker propose de son côté d'exclure une somme dont l'Etat perd le contrôle et qui pourra être investie dans d'autres pays…

Financer les "politiques nationales"

Le plan Juncker est un "bon départ", a commenté le ministre italien des Affaires européennes, Sandro Gozi, tout en insistant sur la nécessité de financer des "politiques nationales", bien au-delà de la stratégie éculée d'Europe 2020. Conçu pour être "le plus flexible et le plus consensuel possible", selon une source européenne, le plan a suscité à plusieurs reprises la méfiance du gouvernement français. Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, revendique l'apport "d'argent frais" à hauteur de 60 ou 80 milliards. Soit la somme que la BEI est susceptible de pouvoir déployer grâce au nouveau coussin de garanties. Pour la Commission, le compte y est… Lors des questions au gouvernement le 26 novembre, le ministre des Finances, Michel Sapin, s'est voulu encourageant : "Le plan que vient de présenter M. Juncker est une bonne nouvelle pour l'Europe et pour la France."