Numérique - Les Project Bonds : une hirondelle dans l'hiver de l'investissement
Entre un gouvernement qui clame haut et fort vouloir relancer l’investissement et des collectivités qui, elles, voient leurs dotations diminuer comme peau de chagrin, l’arrivée de la première obligation de projet en France redonne de l’espoir… "C’est une hirondelle qui annonce de grands plans d’investissements", s’est félicité le ministre des Finances, Michel Sapin, venu signer cette première, mercredi 23 juillet, dans les locaux de la Caisse des Dépôts, accompagné du ministre de l’Economie Arnaud Montebourg et d’Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au Numérique. Le président de la République s’était lui-même engagé au niveau européen pour la mise en route des project bonds il y a deux ans, au risque de s’emmêler un peu les pinceaux avec les "eurobonds" (il s’agissait alors d’emprunts mutualisés destinés à permettre aux pays du Sud d’emprunter à des taux moins élevés).
Alors de quoi s’agit-il ? Le projet lancé en France est aussi le premier en Europe dans le domaine du numérique. Il va permettre à la société Axione Infrastructures, détenue à 55% par le Fidepp (Fonds d’investissement des Caisses d‘Epargne), 30% par la Caisse des Dépôts* et 15% par Axione (filiale de Bouygues), d’emprunter 189,1 millions d’euros sur le marché obligataire, afin de financer le déploiement du très haut débit dans de nombreuses zones rurales. Ces réseaux d’initiative publique où les opérateurs rechignent à investir obligeant les collectivités à prendre le relais. Dix territoires sont concernés : la région Limousin, les départements de la Loire, la Sarthe, le Maine-et-Loire, la Nièvre et la Charente, les communes de Pau, Quimper, Gonfreville-l'Orcher et la métropole de Tour (sur le détail de l'opération, voir aussi ci-dessous l'interview de Pierre-Eric Saint André, président d'Axione Infrastructures).
L’obligation de projet pourra ainsi servir de référence comme nouvel outil financier pour le plan France Très Haut débit lancé au printemps 2013 par François Hollande, avec comme objectif de couvrir l’ensemble du territoire d’ici à 2022, pour un besoin d'investissement évalué à 20 milliards d’euros en dix ans.
"Relancer l’investissement avec un minimum de moyens budgétaires"
Pour rappel, les Project Bonds ont été créés par la Commission européenne en juin 2012, dans le cadre du Pacte de croissance, à titre expérimental, avec une enveloppe de 230 millions d’euros pour financer des grands projets d’infrastructures dans trois domaines : 200 millions d’euros pour les transports, 10 millions dans l’énergie et 20 millions d’euros dans le numérique.
La BEI, qui sert de "rehausseur de crédit", c’est-à-dire de garantie publique pour attirer des investisseurs privés, a déjà sélectionné un projet d’éolienne en Grande-Bretagne et un projet d’autoroute en Belgique. Le projet français est donc à ce jour le troisième du genre. La garantie de la BEI s’élève ici à 20% de l'emprunt, soit 38 millions d'euros. Ce rehaussement de crédit a permis à l’opération de recevoir la note Baa2 auprès de l’agence Moody’s et de rassurer les investisseurs. En retour, la société bénéficiera d’un coupon de 2,622% correspondant à la note obtenue. "Il est possible aujourd’hui de relancer l’investissement avec un minimum de moyens budgétaires", a déclaré Philippe de Fontaine Vive, le vice-président de la BEI, saluant ainsi "l'effet multiplicateur" de l'opération.
L'autoroute Lyon-Saint-Etienne pressentie
D’autres projets sont annoncés, notamment dans le domaine des transports. Retoquée par la BEI lors d’une précédente sélection, le projet d’autoroute A45 Lyon-Saint-Etienne pourrait être repêché, a fait savoir le vice-président de la Banque de Luxembourg. Philippe de Fontaine Vive plaide pour que soit mis en place "au-delà de la phase pilote, un grand plan de développement de project bonds en Europe". Mais c’est à la Commission européenne de se décider. Il y a quelques jours, le commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, s’était montré favorable à une généralisation du dispositif, évoquant un besoin de 1.000 milliards d’euros d’ici à 2020 pour les infrastructures européennes. Dans l’intervalle, lors de son discours au Parlement européen, le 15 juillet, le futur nouveau président de la Commission Jean-Claude Juncker a évoqué un vaste plan d’investissements de 300 milliards d’euros en trois ans pour lutter contre le chômage et relancer la croissance. Alors que Paris est à la recherche de nouveaux instruments financiers en période de disette budgétaire (des assises de l’investissement auront lieu au mois de septembre sur ce thème), le plan de relance européen pourrait servir de tremplin. A condition d’en connaître le contenu. "Nous sommes candidats pour continuer l’effort pour relancer l’investissement sur l’ensemble du territoire", a déclaré Arnaud Montebourg, évoquant les barrages, de nouvelles chaînes hôtelières, la valorisation du patrimoine national, les infrastructures portuaires… Mais il souhaite aussi des garanties sur le plan européen : "Il ne faudrait pas que ce soit de l’argent recyclé." "Au niveau européen, on sait manier les chiffres. Mais passer de gros chiffres aux plus petits chiffres, c’est plus difficile", a renchéri Michel Sapin, devant la commissaire à la stratégie pour le numérique, Neelie Kroes. Sans se prononcer, cette dernière a reconnu qu’il fallait "aller plus vite".
* participation suivie par la Direction du développement territorial et du réseau
Michel Tendil
Pierre-Eric Saint André (président d'Axione Infrastructures) : "C'est un cercle vertueux"
Pourquoi Axione infrastructures s'est-il porté candidat à cette première émission en France ?
Le mécanisme nous ouvrait l'accès aux grands acteurs institutionnels, les fonds de pension, les compagnies d'assurances et donc à une plus grande diversité d’investisseurs. En outre, la garantie apportée par la BEI, à hauteur de 20% de l'émission obligataire a permis de rendre le placement plus attractif pour les investisseurs.
Quels avantages en tirez-vous ?
Des conditions d'accès aux financements performantes avec une maturité de 11 ans et un coupon de 2,622%. Le rehaussement de l’instrument Project Bond Initiative de la BEI nous a permis d’obtenir un financement à un coût attractif ainsi que pour les investisseurs en favorisant la liquidité offerte sur les marchés obligataires. L’objectif était de créer des références de project bond consultables par tous, ce qui permet de familiariser les investisseurs potentiels avec ce type de financements et de faciliter la création d’un marché visible et relativement liquide sur ce type de transactions. C'est un cercle vertueux en quelque sorte.
Que comptez-vous faire des liquidités récupérées ?
Une partie va refinancer certains de nos crédits bancaires moins attractifs, une autre sera consacrée à la poursuite des travaux de raccordement des entreprises sur les RIP de première génération sur lesquels nous avons encore à réaliser 150 millions d'euros d'investissement ; enfin nous comptons développer le parc FTTH et le faire passer de 70.000 prises exploitées à 280.000. Par ailleurs, nous avons mis en place des mécanismes qui, dans le cadre des schémas départementaux d'aménagement numérique, nous permettent de tirer de nouveaux financements sur les projets FTTH de nos collectivités publiques partenaires. Ce qui donne une flexibilité très utile pour ne par retarder les investissements que nous considérons comme prioritaires.
Estimez-vous qu'il y aura d'autres initiatives de cette nature pour financer des investissements sur le très haut débit en France ?
Ce projet constitue le premier project bond coté en France et le troisième en Europe dans le cadre de l’Initiative "Obligations de Projet". Par sa visibilité, et sa cotation publique, il devrait continuer à susciter l’intérêt de nouveaux investisseurs potentiels sur la classe d’actifs infrastructures. Ce résultat va donc nous permettre de continuer à innover et à répondre au mieux aux ambitions du plan France Très Haut débit.
Propos recueillis par Philippe Parmentier / EVS