Justice environnementale : ce que contient le projet de loi Climat et Résilience
Après la rénovation thermique des bâtiments, les mobilités, la lutte contre l'artificialisation des sols, les mesures envisagées pour faire face au recul du trait de côte, le volet consommation, le verdissement de l'économie et la restauration collective, dernier épisode de notre série de décryptages thématiques du projet de loi Climat et Résilience, dont l'examen par la commission spéciale de l'Assemblée nationale a commencé ce 8 mars : le titre VI consacré au renforcement de la protection judiciaire de l'environnement. L'exposé des motifs souligne que le texte crée "un délit de mise en danger de l’environnement lorsque la violation d’une réglementation peut entraîner une pollution grave et durable" et renforce "le délit général de pollution des eaux, des sols et de l’air. Dans sa forme la plus grave, ce délit est qualifié d’écocide". Reste que, décevantes pour les uns, ces dispositions risquent fort d'être en partie inapplicables.
L'encre de la loi "Parquet européen et justice pénale spécialisée" – qui a notamment pour fin de "renforcer l'efficacité de la réponse pénale en matière de lutte contre les atteintes à l'environnement" – à peine sèche, voilà que le projet de loi Climat et Résilience entend lui aussi "renforcer la répression pénale des atteintes à l'environnement", selon son exposé des motifs .
En tête de gondole, l'écocide, qui fait son retour, dans une version toutefois très remaniée. Après avoir déjà fait l'objet de deux propositions de loi*, la Convention citoyenne pour le climat avait repris le flambeau en proposant "d'adopter une loi qui pénalise le crime d'écocide dans le cadre des neuf limites planétaires, et qui intègre le devoir de vigilance et le délit d'imprudence", dont la mise en œuvre aurait été garantie par une nouvelle "Haute Autorité des limites planétaires".
La Convention proposait comme définition de l'écocide "toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées". Mais rapidement le garde des Sceaux, dans un entretien croisé avec sa collègue Barbara Pompili accordé au Journal du Dimanche, avait tenu à tempérer "l'enthousiasme citoyen", rappelant que "le comité légistique leur avait déjà clairement indiqué que l'écocide ne pouvait recevoir de traduction juridique en ces termes" (voir notre article). Et Éric Dupont-Moretti de rappeler qu'il "s'agit de délits et non de crimes. C'est la raison pour laquelle nous allons créer plusieurs nouveaux délits".
Création d'un délit de mise en danger de l'environnement (article 67)
Le projet crée un délit de mise en danger de l'environnement, punissant de trois ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende (montant pouvant être porté jusqu'au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction) les faits prévus aux articles L. 173-1 et L.173-2 du code de l'environnement (exploiter une installation sans autorisation, etc.) et à l'article L. 1252-5 du code des transports (transport non autorisé de matières dangereuses…) "lorsqu'ils exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l'eau à un risque immédiat d'atteinte grave et durable", étant considéré comme "durables" les atteintes "susceptibles de durer au moins dix ans".
Dans son avis, le Conseil d'État a donné son blanc-seing à ces dispositions, relevant qu'elles ont " un champ d’application limité", qu'elles "imposent d’établir que les atteintes réprimées sont susceptibles de durer au moins dix ans" et qu'elles "excluent les risques d’atteinte grave et durable lorsqu’ils concernent la santé ou la sécurité des personnes, ainsi que la qualité de l’air ou du sol".
Création d'un délit général de pollution des eaux, de l'air et du sol, pouvant constituer un écocide (article 68)
D'abord, le projet de loi complète l'actuel article L. 173-3 du code de l'environnement afin de réprimer les atteintes durables ("susceptibles de durer plus de dix ans) à l'environnement, et aggrave les peines applicables.
Concrètement, sont ajoutées les dispositions suivantes (L. 173-3, II) : "Lorsqu’ils entraînent des atteintes graves et durables sur la santé, la flore, la faune, ou la qualité de l’air, du sol ou de l’eau, les faits prévus aux articles L. 173-1 et L.173-2 [du code de l'environnement] sont punis de cinq ans d'emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction".
Ensuite, le texte ajoute un titre III au livre II du code de l'environnement dédié "aux atteintes générales aux milieux physiques", composé de trois nouveaux articles :
- Un article L. 230-1 qui, d’une part, aggrave les peines applicables au délit non intentionnel de pollution des eaux, et d’autre part, crée un délit non intentionnel de pollution de l’air. Il punit ainsi de cinq ans d'emprisonnement et d’un million d’euros d'amende (montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction) "le fait, en violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, déverser ou laisser s'écouler dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou des substances dont l'action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune, à l'exception des dommages visés aux articles L. 218-73 et L. 432-2, ou des modifications graves du régime normal d'alimentation en eau".
Ces dispositions ne s'appliqueraient toutefois, s’agissant des émissions dans l’air, qu’en cas de dépassement des valeurs limites d’émissions fixées par décision de l’autorité administrative compétente, et s’agissant des opérations de rejet autorisées et de l’utilisation de substances autorisées, qu’en cas de non-respect des prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente.
- Un article L. 230-2 qui, "par mesure de cohérence, sanctionne avec la même sévérité la pollution des sols lorsqu'elle est issue d’une mauvaise gestion des déchets ou d’une exploitation d’une activité sans respecter une mise en demeure, sans autorisation préalable ou malgré une demande de fermeture par l’autorité administrative". Plus précisément, "le fait d’abandonner, déposer ou faire déposer des déchets, dans des conditions contraires aux dispositions du chapitre Ier du titre IV du Livre V et le fait de gérer des déchets, au sens de l'article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application des articles L. 541-2, L. 541-2-1, L. 541-7-2, L. 541-21-1 et L. 541-22, lorsqu’ils entraînent le dépôt, le déversement ou l’écoulement dans ou sur les sols de substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets qui portent une atteinte grave et durable sur la santé, la flore, la faune ou la qualité des sols".
- Un article L. 230-3 qui dispose que constitue un "écocide" l'infraction prévue à l'article L. 203-1 "lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle". La peine d'emprisonnement est alors portée de cinq à dix ans et celle d'amende d'un million à 4,5 millions d'euros (montant pouvant être porté jusqu'au décuple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction).
De même, constitue également un écocide les nouvelles infractions de l'article L. 173-3, II et de l'article L. 230-2 – qui sont des infractions intentionnelles – "lorsqu'elles sont commises en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages […] susceptibles d'être induits par les faits".
Ces différentes dispositions ont fait peu ou prou l'unanimité… contre elles. Les 150 citoyens de la convention leur ont ainsi attribué la note de "2,7/10" – 41 des 107 votants ayant attribué la note de 0 et 4 celle de 10 (voir notre article sur la dernière session).
Les juristes – dont le Conseil d'État, qui "ne peut pas donner un avis favorable à ces différentes dispositions" – n'y trouvent pas non plus satisfaction. Ils relèvent notamment que le risque d'atteinte est aussi sévèrement sanctionné que le dommage réalisé. Ou, selon les termes du Conseil d'État, en punissant de la même peine infraction non intentionnelle et infractions intentionnelles, "le projet de loi n’assure donc pas une répression cohérente, graduée et proportionnée des atteintes graves et durables à l’environnement selon l’existence ou non d’une intention".
Ils regrettent également la place de l'écocide dans un des livres de droit spécial du code de l'environnement, et non dans le livre I des dispositions communes.
Ils dénoncent surtout "un écocide mal pensé et impraticable", selon les termes de Thierry Fossier, ancien conseiller à la Cour de cassation. Le Conseil d'État rappelle ainsi que les nouvelles infractions de l'article L. 173-3, II et de l'article L. 230-2 sont des infractions intentionnelles "qui répriment le non-respect volontaire de prescriptions légales ou réglementaires destinées à garantir la protection de l’environnement. Par suite, la connaissance du risque d’atteinte à l’environnement à raison du non-respect de cette réglementation est déjà incluse dans les éléments constitutifs de ces infractions […]. Il n’est ainsi pas possible de prévoir l’aggravation de ces infractions à raison d’une circonstance aggravante qui est déjà l’un de leurs éléments constitutifs, le Conseil constitutionnel censurant, au nom du principe d’égalité devant la loi pénale, des dispositions législatives qualifiant des faits de manière identique, tout en faisant encourir à leur auteur, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuites, des peines de natures différentes ". En conséquence, "l’infraction non intentionnelle prévue à l’article L. 230-1, qualifiée d’écocide lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle, devient la seule infraction intentionnelle entraînant une atteinte grave et durable sur l’environnement punie de la peine de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende". Et d'en conclure que "le projet de loi réprime ainsi de manière sensiblement différente et incohérente des comportements intentionnels causant des atteintes graves et durables à l’environnement". Il attire in fine "l’attention du gouvernement sur la nécessité de rechercher, pour atteindre les objectifs poursuivis, d’autres choix de politique pénale s’inscrivant dans le respect des principes constitutionnels. Les options devront veiller, d’une part, à ce que le champ d’application des infractions ou des causes aggravantes de peine soit cohérent avec l’objectif de renforcement de la protection judiciaire de l’environnement, d’autre part, à ce que le quantum des peines soit gradué et proportionné aux infractions ou aux causes d’aggravation qu’elles sanctionnent".
Condamnation à restaurer le milieu naturel (article 69)
Le principe du "tu casses, tu répares – tu salis, tu nettoies" n'est à la mode qu'en matière de justice de proximité (voir notre article). Le projet de loi prévoit ainsi que pour les nouvelles infractions prévues, le tribunal "peut également imposer au condamné de procéder à la restauration du milieu naturel".
*La première proposition de loi visait à réprimer "le fait, en exécution d'une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d'un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l'environnement et aux conditions d'existence d'une population" et avait été "taillée en pièces par le Sénat […] avec le soutien sans ambiguïté du gouvernement" – dixit Thierry Fossier, alors conseiller à la Cour de cassation, dans la revue Droit de l'Environnement le 2 mai 2019 -, notamment en raison d'une rédaction souffrant de trop d'imprécisions pour répondre à l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi pénale. Une nouvelle proposition de loi avait, elle, été repoussée par l'Assemblée nationale.