Formation professionnelle - Jean-Paul Denanot : "On ne va pas mettre des barbelés entre les régions"
"Le rapport Guégot est complètement insupportable. 80% des mouvements se font en région et l'Etat envisage de recentraliser la formation professionnelle." Intervenant en clôture du Congrès de l'Association des régions de France (ARF) à Caen, vendredi, Jean-Paul Denanot, le président du conseil régional du Limousin et de la commission formation de l'ARF, s'en est violemment pris au rapport de la député de la Seine-Maritime publié la veille. Ce rapport propose notamment la création d'un ministère de la formation tout au long de la vie ainsi que d'un service public d'information sur la formation et l'orientation (Spifo) placé sous son autorité (voir encadré ci-dessous). Pour les régions, il s'agit de profiter de la réforme, qui doit déboucher sur un projet de loi en janvier prochain, pour revenir sur le mouvement de décentralisation engagé depuis vingt-cinq ans. Or les régions, qui revendiquent le pilotage de ce service public, préfèrent souligner les progrès accomplis depuis lors. Alain Rousset l'a martelé à plusieurs reprises lors de ces deux journées de congrès : "Le nombre de demandeurs d'emploi pris en charge par les régions a quintuplé entre 1983 et 2004. C'est deux fois plus que le nombre de chômeurs pris en charge par l'ensemble des financeurs." C'est ce que vient de montrer une étude du cabinet Mensia réalisée pour l'ARF. Autre sujet de satisfaction : la décentralisation des formations sanitaires et sociales "que la plupart des régions ont rendues gratuites". "Les régions ont investi de façon très responsable et mené un travail très approfondi d'analyse des besoins avec la création de vrais observatoires", a appuyé Emmanuel Verdier, directeur associé de Mensia conseil. Un sondage TNS Sofres réalisé pour l'occasion est venu abonder dans son sens : 70% des Français considèrent aujourd'hui que l'apprentissage est très utile, devant la formation (47%), mais ils sont à peine 35% à le penser pour les lycées et 23% pour les universités. C'est un renversement total de tendance depuis les années 1990.
PRDF prescriptifs
Alors que le montée du chômage se confirme (+2,4% fin octobre), avec des craintes particulièrement fortes dans l'industrie automobile, la question de la gestion prévisionnelle des compétences a été abondamment évoquée avec, en filigrane, le problème de la gouvernance de la formation. Qui doit piloter l'ensemble et coordonner les formations ? Tout le monde s'est accordé à reconnaître le niveau régional comme le plus adapté, d'abord parce qu'il permet de coller au plus près des bassins d'emploi et d'anticiper les besoins. "Il faut être autant dans le curatif que dans le préventif, cela ne va pas être facile ; mais il y a un accord pour dire que la région est le bon espace de la concertation des acteurs", a souligné Michel Quéré, le directeur du Céreq. Alain Even, président de l'ACESRF (association des CESR) a soulevé le problème de formation qui risque de se poser assez vite au sein des pôles de compétitivité, à mesure que les projets vont émerger : "C'est une question très importante à T+3, il ne faut surtout pas passer à côté."
Reste que les acteurs locaux n'ont pas toujours de prise sur les décisions des grands comptes. Et la mise en place d'un observatoire n'est pas le remède aux dégraissages imposés par des sièges parfois situés à l'autre bout du monde. "Les centres de décision économique ne sont pas toujours dans la région", a ainsi nuancé Laurence Laigo, la secrétaire nationale de la CFDT.
L'une des revendications fortes est de rendre les plans régionaux de développement des formations (PDRF) prescriptifs, comme l'avait proposé le sénateur Jean-Claude Carle dans son rapport il y a deux ans. "Le PRDF est le document de base, mais aujourd'hui il n'est pas prescriptif ; c'est un beau document consensuel mais qui ne sert à rien", a déclaré Jean-Paul Denanot. Mais le Medef, par la voix de Francis Da Costa, président de la commission éducation-formation, a laissé entendre qu'un document trop rigide n'était pas un gage de réactivité. A noter également que le rapport Guégot reconnaît lui aussi la région comme "l'échelon le mieux adapté d'une politique territoriale de la formation". Et la création d'un ministère viserait à éviter les doublons entre les régions. "On ne va pas mettre de barbelés, s'en est défendu Jean-Paul Denanot, la plupart des régions ont des conventions entre elles sur la libre circulation des stagiaires."
Michel Tendil
Ce que dit le rapport Guégot
Alors que l'Etat et les partenaires sociaux se réunissent ce 8 décembre pour une cinquième réunion de négociation sur la formation professionnelle, qui doit être l'avant-dernière (la dernière date fixée étant le 22 décembre), Françoise Guégot, député de la Seine-Maritime et présidente de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la formation tout au long de la vie, a présenté son rapport le 5 décembre 2008. Elle propose la création d'un ministère de la formation tout au long de la vie. Ce ministère regrouperait les services des ministères actuellement compétents en la matière (services de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur, de la formation professionnelle, de l'agriculture). Il mutualiserait les moyens et coordonnerait les travaux pour éviter les doublons. Autre proposition : décliner la formation tout au long de la vie au plan territorial dans le cadre de comités régionaux rénovés. L'idée, déjà largement envisagée dans les précédents rapports sur la formation, consiste à utiliser les comités de coordination régionale de l'emploi et de la formation pour coordonner au niveau local la politique de la formation. Des comités qui intégreraient parmi leurs membres des représentants des branches professionnelles principales de la région et de conseils généraux. A l'inverse, les représentants des chambres consulaires n'en seraient plus membres, pour leur éviter d'être "juge et partie". Côté financement, le rapport préconise de répartir différemment l'affectation de la contribution des entreprises au financement de leur plan de formation. Elle propose de créer un fonds national de la formation tout au long de la vie et des fonds régionaux qui permettraient de mutualiser les financements. Le fonds national serait abondé par "les crédits des missions ministérielles, les versements des pénalités exigibles des employeurs et des OPCA n'ayant pas respecté leurs obligations, l'agrégation du FNDMA (Fonds national du développement et de modernisation de l'apprentissage), des Opacif, des Octa (organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage) nationaux, du FUP (Fonds unique de péréquation) et du Fonds pour l'insertion des jeunes". Au niveau local, le fonds régional "serait constitué du Fongécif régional, après agrégation des Octa régionaux à ce dernier". Il serait financé par le fonds national, les contributions des régions et des départements, les contributions des entreprises au titre de la formation qualifiante et diplômante. L'idée de mutualiser les financements au sein d'un fonds régional avait déjà vu le jour dans un des rapports du groupe de Pierre Ferracci, mais elle avait été abandonnée en cours de route au profit de la mise en place d'un dispositif non permanent qui fonctionnerait autour de projets par conventionnement ou contractualisation.
Le rapport de la mission d'information propose aussi de clarifier et de sécuriser l'offre de formation à travers la création d'un Observatoire national sur l'offre de formation, le recensement de toute l'offre de formation, sa publication sur internet et la création d'une procédure de labellisation des organismes de formation. Enfin, la député préconise d'assurer une orientation performante à tous les niveaux du parcours en créant notamment un "Service public de l'information sur la formation et l'orientation (Spifo)" et un passeport orientation/formation pour chaque élève, dès la classe de cinquième.
Emilie Zapalski