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Intercommunalité : la Cour des comptes prône "plus de lisibilité et d'efficacité"

Dans un bilan de l'intercommunalité à fiscalité propre, la Cour des comptes juge que les outils récemment mis en place pour développer des groupements "à la carte" présentent des "risques", notamment une moindre cohésion communautaire. Estimant qu'il ne lui appartient pas de trancher la question de la transformation des intercommunalités en collectivités territoriales - que Intercommunalités de France a récemment mise sur la table -, elle avance plusieurs pistes pour "améliorer leur lisibilité et leur efficacité". Dont l'obligation d'élaborer un projet de territoire et l'attribution en leur faveur de la charge de répartir les dotations de l'État aux communes.

Dotée de "compétences structurantes", l'intercommunalité à fiscalité propre "est progressivement devenue un acteur majeur de l’aménagement et du développement du territoire", reconnaît la Cour des comptes dans le second fascicule de son rapport sur les finances publiques locales en 2022, qu'elle publie ce 26 octobre (téléchargement ci-dessous). Paru en juillet, le premier fascicule du rapport établissait un état des lieux des finances locales, à la fin de 2021, et recommandait la participation du secteur public local à la maîtrise des dépenses publiques jusqu'en 2027.

Dans ce second fascicule, la Cour constate que le rôle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre a été accru par la signature des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), dispositif dont le déploiement s'est appuyé pour l'essentiel sur la carte des intercommunalités. La rue Cambon note aussi que sur les 32 compétences exercées en moyenne par les groupements à fiscalité propre, plusieurs correspondent à des services de proximité indispensables à la population. En outre, les "services et équipements des villes-centres", transférés à l’intercommunalité, ont "bénéficié à l’ensemble des habitants du territoire, élargissant leur bassin de fréquentation". La Cour des comptes conclut qu'avec la montée en puissance et l'élargissement de l'intercommunalité, "les services au public ont progressé au plan quantitatif, et souvent qualitatif". Au passage, elle fait remarquer que si l'extension des périmètres a constitué un défi de taille pour les EPCI à fiscalité propre, notamment en matière de gouvernance, ils ont su y répondre en initiant divers outils (commissions thématiques, charte de gouvernance…) qui sont la preuve de leur "inventivité". Cependant, la Cour des comptes arrête là la distribution des bons points. Elle repère en effet l'existence de nombreuses défaillances de tous ordres quant au fonctionnement des 1.254 intercommunalités à fiscalité propre.

Un projet de territoire dans chaque intercommunalité

Ainsi, leur rôle en matière d'aménagement du territoire est "insuffisamment développé". Les magistrats déplorent en particulier que les projets de territoire, démarches stratégiques qui donnent de la cohérence à l'action intercommunale, soient inégaux. Ces programmes ne sont pas toujours "accompagnés d'un plan d'action" et "adossés à une programmation pluriannuelle des investissements". Par ailleurs, ils souffrent d'un manque de suivi et d'évaluation et sont peu articulés avec les documents locaux de planification.

La Cour recommande par conséquent de rendre obligatoire l'élaboration d'un projet de territoire par les groupements à fiscalité propre et souligne que la démarche nécessite des délais incompressibles pour être aboutie. La préparation de la prochaine génération des CRTE "devra prendre en compte" une telle exigence, souligne-t-elle.

"La répartition des compétences entre les communes membres et leur intercommunalité reste encore bien souvent peu lisible", dénoncent par ailleurs les magistrats. La faute revient selon eux à l'absence assez fréquente de critères objectifs pour la définition de l'intérêt communautaire, c'est-à-dire la ligne de partage, qui pour une compétence transférée, permet de distinguer "les domaines qui demeurent au niveau communal et ceux qui exigent une gestion intercommunale". "Fruit de compromis communaux", la définition de l'intérêt communautaire conduit à "des transferts inéquitables sur le territoire ou le maintien au niveau communal d’équipements à rayonnement supra-communal". La notion est parfois aussi souvent utilisée "à mauvais escient afin de limiter les compétences transférées à la communauté". La Cour recommande donc que sa définition "repose sur l’établissement de critères objectifs et formalisés, propres à chacun des territoires intercommunaux". Elle déplore par ailleurs "le maintien de logiques concurrentielles" entre les communes et leurs intercommunalités sur des compétences partagées, par exemple le tourisme. Par ailleurs, les communautés n'exercent pas toujours réellement la compétence qui leur a été transférée, comme cela peut être le cas dans le domaine de la voirie. Pour la Cour, la loi "3DS" de février 2022, ne va pas arranger les choses, car elle permet notamment de développer les compétences supplémentaires à la carte.

Économies d'échelle : "pas à court terme"

Les "élargissements de compétences et de services aux habitants" qui ont eu lieu ces dernières années se sont-ils accompagnés de "gains de performance" ? Il est "difficile" de le savoir, du fait de l'absence d'évaluation et de suivi des transferts de compétences, répond la Rue Cambon. Mais celle-ci dispose d'arguments qui ne sont pas très favorables au bilan intercommunal. La diversité des modalités de gestion des compétences à l'intérieur des intercommunalités, ne leur permet pas de "bénéficier à court terme d’économies d’échelle", fait-elle remarquer. En outre, d'un point de vue global, la forte croissance des dépenses de personnel des intercommunalités à fiscalité propre (+ 35 %) entre 2015 et 2021, ne s'est pas accompagnée d'une réduction des dépenses de personnel des communes sur la même période. Celles-ci ont, au contraire, progressé de plus de 5 %. Concernant les économies qui peuvent découler des mutualisations mises en place entre les intercommunalités et les communes, la Cour constate qu'elles sont difficiles à évaluer. Mais ce problème pourrait être levé, selon elle, si les schémas de mutualisation des services instaurés par la loi en 2010 devenaient obligatoires (comme cela avait été le cas avant 2019).

L'efficacité des intercommunalités est aussi mise en doute quand les élargissements ont conduit à la constitution d'assemblées communautaires pléthoriques. En leur sein, des élus peuvent éprouver un "sentiment de démobilisation". Pour atténuer ces effets, la loi Engagement et proximité de décembre 2019 impose la création d’une conférence des maires. Mais son application est "inégale". La loi prévoit aussi l’organisation d’un débat sur un pacte de gouvernance. Cependant, "de nombreuses collectivités" ne disposent pas encore de cet outil. Et quand il existe, sa "dimension intégratrice" est parfois "limitée". Par ailleurs, la gouvernance intercommunale réserve globalement une place encore limitée aux citoyens. On compterait, ainsi, seulement 200 conseils de développement, des instances qui permettent de les associer aux choix de l'intercommunalité.

"Pilotage financier particulièrement déficient"

La Cour critique par ailleurs les relations financières entre les intercommunalités et leurs communes-membres, les jugeant "complexes et peu lisibles". Alors que les transferts de compétences vers l'intercommunalité doivent donner lieu à une compensation au profit de celle-ci, cette compensation est parfois inexistante ou minorée. Les outils de solidarité financière (dotation de solidarité communautaire, fonds de concours, adoption de règles dérogatoires à la répartition du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales) entre les communes et leur intercommunalité sont aussi montrés du doigt, car ils seraient souvent "dévoyés" au profit d'une logique de "saupoudrage". Ces défaillances seraient aggravées par les carences du "pilotage financier" : les pactes financiers et fiscaux sont loin d'être généralisés et les plans pluriannuels d'investissement (PPI) communautaires sont "rares".

Pour améliorer ce pilotage financier, la Cour des comptes recommande de rendre obligatoire la dotation globale de fonctionnement (DGF) territoriale. Le dispositif, qui existe depuis 2010, doit permettre à une intercommunalité de proposer aux communes de répartir leur DGF différemment de la répartition légale. Mais son instauration nécessite son adoption à l'unanimité. Une condition très difficile à remplir, expliquant qu'aucune intercommunalité n'ait encore institué ce dispositif. En plus, les magistrats préconisent de rendre obligatoire l’adoption de conventions de partage du produit de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, que les communes perçoivent depuis 2021 en compensation de la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales. "Ce produit supplémentaire, concernant l’installation de nouvelles entreprises, devrait être partagé avec les EPCI, le développement économique relevant de leur compétence", explique la Cour.

Incitations pour les communes nouvelles

Les récentes lois Engagement et proximité et 3DS ont opéré un petit virage en matière d'intercommunalité, en consacrant le retour des communes et une "approche à la carte" considérée comme "pragmatique". Mais cette "tendance à la 'syndicalisation' d’EPCI vus comme prestataires des communes" s'est développée au détriment de la cohésion des intercommunalités. Une "réorientation de l’intercommunalité vers plus d’efficacité et de lisibilité" est nécessaire, selon la Cour. L'objectif est, selon elle, de "renforcer l’intégration communautaire, la lisibilité de l’organisation territoriale pour le citoyen et l’efficience des services rendus à l’usager". Ses propositions concernant le projet de territoire, l'intérêt communautaire, les instruments de solidarité financière et la mutualisation doivent contribuer à l'atteindre.

En complément, la Cour recommande qu'un effort soit fait, notamment au moyen d'incitations financières, pour relancer l'essor des communes nouvelles, qui tend à s'essouffler. Tout comme l'inspection générale de l'administration dans un récent rapport, elle se montre également favorable au développement de la commune-communauté, nouvelle catégorie de collectivité née en 2019 (celle-ci exerce à la fois les compétences communales et intercommunales et n'est pas obligée d'adhérer à une intercommunalité à fiscalité propre). La cour estime là encore que des incitations de l'Etat devront encourager les territoires voulant mettre en pratique cette solution. De telles pistes pourraient, selon la Cour, renforcer "l'efficacité de l'ensemble du bloc communal".

  • Finances locales : des perspectives dominées par l'incertitude

La Cour des comptes dresse un état des lieux des finances des collectivités à la date du 31 août 2022. Elle conclut à l'absence d’une "forte dégradation" des comptes locaux. Mais, les perspectives sont plombées par l'inflation.

La situation financière des collectivités territoriales a connu un retournement rapide, en lien avec la détérioration de la conjoncture et le choc en matière d'inflation. Alors que fin 2021, les collectivités bénéficiaient d'une situation "très favorable", leurs marges de manœuvre se sont amenuisées huit mois plus tard, soit fin août 2022, selon la Cour des comptes. Dans ce second fascicule, dans un chapitre consacré aux perspectives d'évolution des finances publiques locales, elle relève que si, à cette date, les comptes provisoires "ne témoignent pas d’une forte dégradation", les perspectives financières sont "incertaines".

Les budgets des communes sont de loin les plus touchés par la flambée des prix de l'énergie et la revalorisation des rémunérations des agents publics. Fin août 2022, les communes présentaient une hausse de leurs charges réelles de fonctionnement de 5,4% (représentant 2,5 milliards d'euros) sur un an. Les achats de biens et services étaient en progression de 13,7% (soit + 1,4 milliards d'euros) et les dépenses de personnel en croissance de 4% (+ 1,1 milliard d'euros). Les dépenses de fonctionnement des EPCI connaissaient proportionnellement une hausse comparable (+ 5,5%), représentant 1,1 milliard d'euros.

A la même date, l'évolution des dépenses de fonctionnement était plus contenue pour les départements (+ 1%), grâce notamment à une contraction des aides à la personne (- 0,8%). Il en était de même pour les régions (+ 1,4%).

Sensibles à la conjoncture économique parfois dans des proportions très importantes (à hauteur de 77% pour les régions), les recettes fiscales locales demeurent dynamiques cette année, à l'exception de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, en baisse de 3,3%).

La Rue Cambon redoute que ce contexte ne conduise "beaucoup de collectivités à reporter voire annuler certains de leurs projets" en matière d'investissement. De tels choix n'étaient cependant pas encore perceptibles dans les comptes provisoires à fin août 2022. A cette échéance, on constatait plutôt une augmentation des dépenses d’équipement des collectivités : de 9,9 % pour les communes, de 6,6% pour les régions, de 5,5% pour les départements et de 4,3% pour les intercommunalités. Mais la Cour fait remarquer que ces tendances reflètent la hausse des prix pour une part non négligeable et qu'il convient donc de relativiser la croissance des dépenses d'équipement. Elle observe par ailleurs que "certaines collectivités ont compensé cette progression en diminuant leurs subventions d’investissement". C’est en particulier le cas des deux catégories de collectivités dont les dépenses d’équipement progressent le plus. Les communes ont réduit leurs subventions d’équipement de 4,4%, les régions de 10% et les départements de 2,6%. À l’inverse, les EPCI ont accru leur soutien (+ 2,2%).

L'analyse des comptes au 31 août 2022 "est sujette à de multiples réserves liées en particulier au caractère provisoire de ces données", avertit la Cour.

L'institution s'inquiète par ailleurs de l'existence de situations financières locales "de plus en plus divergentes". Ce constat doit, selon elle, conduire à prévoir "une meilleure répartition des ressources entre collectivités, notamment à travers la révision des indicateurs financiers utilisés dans le calcul des dotations, ainsi qu’un renforcement de la solidarité financière entre les collectivités". Pour "améliorer la prévisibilité des recettes locales", elle préconise soit un encadrement des recettes locales (par un double jeu de garanties et de plafonnements), soit le développement de dispositifs de mise en réserve (sur le modèle du fonds national de péréquation des DMTO perçus par les départements).

T.B