Intelligence artificielle et acteurs locaux : "Ni pour ni contre, mais en conscience"
Le 11 février 2025, en plein Sommet mondial de l'IA, le Hub des Territoires, espace de débats au sein de la Banque des Territoires à Paris, a accueilli une conférence dédiée aux attentes des acteurs locaux face à l'intelligence artificielle (IA). Organisé en partenariat avec les Interconnectés, cet événement a rassemblé experts, représentants de collectivités et entreprises pour débattre des opportunités et des défis que pose l'IA pour les territoires, "entre compétition et régulation". La ministre Françoise Gatel a mis en avant plusieurs bénéfices concrets de l'IA pour les territoires ruraux.
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© V. Fauvel/ Céline Colucci, déléguée générale des Interconnectés et Pierre Jannin, conseiller municipal délégué au numérique et à l'innovation à la ville de Rennes
"Il faut aller vite pour rester compétitif tout en gardant des garde-fous." Lors du débat organisé au Hub des Territoires mardi 11 février 2025, Bertrand Serp, vice-président de Toulouse Métropole en charge de la transition digitale, a relayé les inquiétudes du PDG d'Airbus sur l'impact potentiel des normes IA sur l'industrie 4.0. Cette industrie du futur - à base d'internet des objets (IoT), d'IA et de big data - crée des tensions majeures entre nécessité d'avancer rapidement pour rester compétitif tout en garantissant un cadre réglementaire et éthique.
Dans cette perspective, Toulouse travaille déjà sur des cas d'usages concrets, notamment dans la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les cantines scolaires. À noter aussi qu'un Campus IA doit voir le jour à Toulouse en 2028 et se positionnera comme un pôle d'innovation rassemblant entreprises, chercheurs et start-up pour renforcer la compétitivité du secteur spatial et aéronautique.
"Ni pour ni contre, mais en conscience"
Francky Trichet, président des Interconnectés et vice-président de Nantes Métropole, a souligné la "maturité des territoires sur ce sujet". Il a rappelé la création par son association d'une "bibliothèque d'IA territoriale" (voir ici), visant à créer un référentiel de cas d'usages concrets de l'intelligence artificielle appliquée aux collectivités locales. Elle a pour ambition de documenter et de partager des exemples pratiques où l'IA est mise au service des territoires, facilitant ainsi l'adoption de ces technologies par les acteurs locaux (voir notre article du 7 juillet 2023). Cette initiative sera officialisée à Rennes en mars 2025.
Dans le prolongement de ces réflexions, Francky Trichet a cité Yann Ferguson, chercheur en sciences sociales et professeur en sciences de gestion, à propos d'IA et du travail, qu'il traduit par un "ni pour ni contre, mais en conscience". "Il y a un risque de mettre en place des solutions fonctionnelles - au détriment du travail bien fait", disait-il encore dans une interview accordée à l'Anact.
Bientôt un manifeste
"L'IA devait être un sujet de débat public", a rappelé Pierre Jannin, conseiller municipal délégué au numérique et à l'innovation à la ville de Rennes. Il a réévoqué les concertations territoriales sur l'IA, menées en partenariat avec France urbaine et Intercommunalités de France (voir notre article du 20 septembre 2024) qui doivent aboutir à un manifeste sur l'usage de l'IA au service des collectivités territoriales courant 2025. Un manifeste qui devrait puiser dans le rapport d'étape publié en février 2024 par le conseil citoyen du numérique responsable (CCNR) rennais – créée en 2021 et réunissant 30 citoyens tirés au sort et renouvelés. Ce consil avait été saisi en février 2023 pour réfléchir à la place de l'IA dans la vie des habitants. Après une année de travail, le CCNR a produit ce rapport. Ce même CCNR travaille également sur la dématérialisation des démarches administrations et l'impact du numérique sur la santé mentale des jeunes. Vaste programme.
"Il faut se poser la question de l'utilité de l'IA", a renchérit Manu Reynaud, adjoint au maire en charge du numérique à Montpellier Métropole. Qui note une défiance vis-à-vis de l'IA et refuse d'être "techno-béat".
L'IA au service des territoires ruraux
Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, a rappelé dans son intervention vidéo l'importance d'intégrer l'IA dans tous les territoires, y compris ruraux : "L'IA ne peut être utile que si elle répond à des besoins réels et que si nous prenons soin de les comprendre." Elle a notamment mis en avant plusieurs bénéfices concrets de l'IA pour les territoires ruraux :
- optimisation de la mobilité à la demande, facilitant les transports partagés et réduisant les trajets à vide ;
- renforcement de la télémédecine, en améliorant l’accès aux soins dans les zones sous-dotées ;
- gestion plus efficace des ressources naturelles et énergétiques, notamment la consommation d’énergie, la gestion de l’eau et l’anticipation des risques environnementaux ;
- soutien au développement économique et à l'emploi, en facilitant le télétravail qualifié et en attirant des talents dans les territoires ruraux ;
- allègement des tâches administratives, avec des solutions expérimentées dans les 2.800 maisons France Services.
Elle a néanmoins identifié plusieurs défis à relever : la formation des acteurs locaux, l'accompagnement technique des collectivités, la mutualisation des données locales et le renforcement des infrastructures numériques.
Former et sensibiliser à l'IA
"36% des collectivités interrogées ont déjà intégré l'IA ou sont en phase de déploiement (voir notre article du 13 novembre 2024)", a rappelé pour sa part Antoine Saintoyant, directeur par intérim de la Banque des Territoires. Si ce chiffre témoigne d'une dynamique encourageante, il reste encore de nombreux territoires à convaincre. Il mentionne que la Banque des Territoires a fait de l'IA une mesure phare de son plan stratégique 2024-2028 et que l'établissement public propose un accompagnement des collectivités incluant de l'ingénierie, dans un espace digital à 360° et des mises en relation avec des entreprises innovantes (voir notre article du 20 novembre 2024).
Il cite certaines collectivités, comme l'agglomération de Saclay, qui utilisent déjà des outils de modélisation IA pour évaluer l'impact environnemental de leurs projets urbains ou bien encore la région Occitanie, pour analyser l'évolution de la biodiversité. "Maîtriser l'IA et l'utiliser pour le bénéfice des décideurs publics et des citoyens, c'est non seulement une priorité, mais un devoir", a-t-il conclu.