Ingénierie et développement économique : "le fossé se creuse entre les territoires"

Les collectivités sont de plus en plus contraintes sur le plan budgétaire et foncier pour développer leurs projets, qu'il s'agisse d'accueillir des commerces, des entreprises, ou encore du logement. Lors d'une conférence organisée le 10 décembre 2024 par le collectif Axtom dans le cadre du Simi (Salon de l'industrie immobilière), les élus ont envisagé un autre modèle économique pour soutenir ces projets et même percevoir un retour sur investissement.

Comment continuer à développer les territoires alors que les budgets des collectivités sont de plus en plus contraints et que le foncier se fait de plus en plus rare ? C'était le sujet de discussion de la conférence "Crise économique et foncière : quel avenir pour les territoires ?", organisée par le collectif Axtom* le 10 décembre 2024 dans le cadre du Salon de l'industrie immobilière (Simi). "Il ne faut plus se demander quelle subvention publique on peut avoir de la part de l'Etat, de la région, du département, a affirmé Nicolas Evrard, il faut changer le modèle." Le maire de Servoz, 1er vice-président de la communauté de communes de la Vallée de Chamonix Mont-Blanc a engagé un travail dans ce sens sur son territoire, dans le cadre d'un projet de réaménagement de 6.500 m2 appartenant initialement à la Fondation des apprentis d'Auteuil, avec l'aide de la Scet, filiale de la Caisse des Dépôts, et de la Banque des Territoires. L'intercommunalité a acquis la friche pour 2,1 millions d'euros pour en faire un tiers-lieu. Le projet prévoit du logement, des salles d'activités et une pépinière d'entreprises. "Nous avons travaillé sur un projet mixte qui aura vocation à aller chercher de l'argent privé, a détaillé Nicolas Evrard, il s'agit d'une mixité fonctionnelle de nos investissements publics, nous avons pensé la diversification, avec des logements, des services aux entreprises, et un TRI** positif, peut-être pas à deux chiffres mais positif."

Aller vers de l'investissement

Une approche que partage Benoist Apparu. "Avec les restrictions budgétaires demandées, notre tradition d'intervention publique en subventions ou prêts doit être profondément transformée pour aller vers de l'investissement", a soutenu le maire de Châlons-en-Champagne. Un investissement qui doit rapporter. "Quand on investit dans nos centres-villes, pour aider les commerces à être plus compétitifs, on n'a jamais de retour, a-t-il expliqué, si nous avions une participation en capital, avec un droit de rachat du commerce, on aurait un meilleur retour sur investissement. Il faut faire cette bascule." Guillaume Gady, co-fondateur et directeur général d'Ancoris et représentant d'Axtom, invite même à aller plus loin, en ajoutant une clause d'agrément lorsque le foncier est transmis par une collectivité à un acteur économique, afin de garder le pouvoir de décision sur l'utilisation finale de ce foncier. "La collectivité peut ainsi valider ce qui va se développer", a-t-il insisté.

Bon nombre de collectivités manquent d'ingénierie

Une "bascule" indispensable pour permettre aux collectivités de continuer à développer leur territoire, en attirant des entreprises et de l'activité économique, car "pour amorcer la reconquête démographique, il faut d'abord de l'attractivité industrielle ou logistique, a souligné Benoist Apparu, les collectivités qui pensent qu'en faisant du logement, cela va attirer l'emploi, se trompent, c'est un fantasme, cela marche dans l'autre sens !".

Mais il y a plusieurs bémols à ces changements. En premier lieu, les approches restent encore très sectorielles. Ensuite, bon nombre de collectivités manquent d'ingénierie et d'expertise, et tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. "Il y a des territoires qui ont un taux de chômage de 3% et d'autres, comme le mien, de 15%, on ne peut pas les traiter de la même façon, a affirmé Michel Leprêtre, président du Grand-Orly Seine Bièvre, vice-président de la Métropole du Grand Paris, sans compter les aides données à des entreprises qui finalement partent s'installer ailleurs". C'est le cas de Gentilly qui avait réuni les conditions pour attirer Sanofi sur son territoire. Le groupe pharmaceutique, après s'être installé en 2015 en profitant de ces aides, a annoncé le mois dernier partir pour s'implanter à Vitry et à La Défense… 3.400 collaborateurs devraient quitter Gentilly dans trois ans. "Il faut pouvoir contrôler car cette entreprise a reçu des aides publiques", a insisté Michel Leprêtre. Le sujet des aides est revenu en force au moment des annonces de fermetures de Michelin et Auchan, début novembre. Le gouvernement avait alors demandé un audit de l'argent public qu'ils avaient reçu...

Enfin, dernier point difficile pour engager cette nouvelle façon d'investir dans les territoires : le manque de développeurs économiques. "Le métier a beaucoup évolué, avant il s'agissait juste de vendre du foncier, maintenant on demande au développeur économique d'être un ingénieur en hydrogène, un analyste, de réaliser des plans de financement, des études prospectives, a expliqué Guillaume Gady, certains territoires arrivent à intégrer ces compétences, mais le fossé se creuse avec ceux qui ne peuvent pas."

* Axtom est un collectif d'entrepreneurs centré sur le développement économique et immobilier des collectivités et des entreprises.

** Un TRI positif signifie que l'investissement devrait générer plus de valeur qu'il n'en coûte.