"Industrie verte" : deux ONG environnementales saisissent le Conseil d'État pour annuler les décrets d'application

Notre affaire à tous et Zero Waste France demandent au Conseil d’État l’annulation de trois décrets d’application de la loi Industrie verte parus en juillet dernier. Les deux associations contestent la légalité de ces textes qui opèrent selon elles "un détricotage massif du droit de l’environnement industriel, et plus généralement des principes de la démocratie environnementale".

Notre affaire à tous et Zero Waste France repartent à l'offensive contre trois décrets d'application de la loi Industrie verte, en se tournant cette fois vers le Conseil d'État, comme elles avaient menacé de le faire en septembre dernier (lire notre article), après l'échec d'un premier recours gracieux obligatoire contre ces textes destinés à faciliter l'implantation d'usines et la réindustrialisation du territoire.

"Détricotage massif" du droit de l'environnement industriel

"Pris dans l’entre-deux-tours des élections législatives de juin 2024, ils opèrent un détricotage massif du droit de l’environnement industriel, et plus généralement des principes de la démocratie environnementale, estiment les associations dans un communiqué. S’attaquant notamment au principe fondamental du pollueur-payeur, ces textes augmentent les risques industriels en France. Ils assouplissent aussi les possibilités pour les entreprises responsables d’accidents industriels et de pollutions de s’exonérer de leur responsabilité, et donc les risques de voir les coûts de dépollution à la charge exclusive de l’État et des collectivités. Ou pire encore, que les entreprises abandonnent leurs sites pollués sans prendre en charge la dépollution."

Risques pour les populations et les écosystèmes

"Le gouvernement souhaite attirer les investisseurs et les nouveaux exploitants par l’allègement de nombreuses mesures et procédures, analyse Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire à tous. Mais cela se fait aujourd’hui au détriment de la protection des populations et des écosystèmes." Le décret 2024-742 du 6 juillet 2024 notamment "allège les procédures" et permet "de nombreuses dérogations en matière de gestion des pollutions industrielles". 

Après l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, les règles applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) avait été étendues afin de contraindre les entreprises à prendre en charge les frais de dépollution résultant de catastrophes industrielles. Or, via ces décrets, "le gouvernement a décidé de supprimer les garanties financières pour ces ICPE dangereuses, à l’exception des installations Seveso seuil haut", soulignent les ONG.

Qui assumera la dépollution ?

"En supprimant ces garanties, le gouvernement accroît le risque qu’en cas de pollution ou de catastrophe industrielle, les frais pour couvrir la dépollution incombent exclusivement à l’État, ou pire, que celle-ci ne soit pas réalisée faute de moyens", alerte Adeline Paradeise, juriste de Notre affaire à tous." "Concrètement l’entreprise responsable n’aurait qu’à se déclarer en faillite pour ne pas avoir à payer les frais de dépollution, qui se chiffrent rapidement en millions d’euros. Frais qui retomberaient alors à la charge de l’État et des collectivités, donc des citoyens", préviennent les ONG. Elles rappellent le précédent MetalEurope Nord, dans le Pas-de-Calais, qui lors de sa fermeture en 2003 a refusé de payer les frais de dépollution au plomb autour du site, laissant l'ardoise à l'État et aux collectivités. 

"Qui devra alors payer pour un nouvel incendie 'Bolloré Logistics', qui en 2023 dans la banlieue de Rouen, a vu brûler 900 tonnes de batteries au lithium, stockées à l’insu de toutes prérogatives, faute de réglementations actuelles, entraînant la contamination des eaux souterraines ? Qui devra payer pour un nouvel incendie de l’usine Snam à Viviez dans l’Aveyron ? Enfin, qui devra payer pour un nouveau Lubrizol ?" interrogent les associations, rappelant que l'incendie de cette usine de Rouen en 2019 a brûlé 10.000 tonnes de produits chimiques et provoqué la présence d’une trentaine de "molécules marqueurs de l’incendie" dans l’air, l’eau et les sols, ainsi que la concentration de PFAS (polluants éternels) la plus importante de France.

Pollutions chroniques : les grandes oubliées

"La reconnaissance des pollutions chroniques est le parent pauvre du code de l'environnement, alors que ces pollutions impactent insidieusement notre santé, au quotidien", pointe Stephanie Escoffier, habitante de Oullins-Pierre-Bénite, dans la Vallée de la Chimie (Rhône) et militante du collectif "PFAS contre terre". "L'allègement du code de l'environnement rendra ces questions encore moins prioritaires alors que nous connaîtrons les conséquences de ces pollutions à long terme", craint-elle.