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Incendie de Lubrizol : Élisabeth Borne tire les leçons du retour d'expérience  

Élisabeth Borne a exposé ce 11 février les mesures d'ordre essentiellement réglementaire que son ministère entend mettre en œuvre dans les sites Seveso, suite au retour d'expérience de l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen. 

Quatre mois et demi après la catastrophe industrielle survenue fin septembre chez Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen, la ministre de la Transition écologique a dévoilé ce 11 février un premier train de mesures. Un second train portant sur la gestion de crise et la culture du risque sera présenté avant l'été. Ces premières mesures portent sur quatre axes. L'un vise à renforcer les contrôles du millier de sites Seveso présentant en France des risques majeurs. Une priorité que l'on retrouve dans le rapport réalisé, du côté des députés, par la mission d’information Lubrizol. Son rapporteur, le député Damien Adam (LREM, Seine-Maritime) présentera d'ailleurs ses conclusions ce 12 février. Du côté des sénateurs, les travaux de la commission d’enquête se poursuivent : elle rendra ses conclusions début avril.

Faciliter les enquêtes, renforcer les inspections

La mission de l’Assemblée nationale préconise la création d'un "bureau d'enquête accident" pour investiguer après les incidents et en tirer des enseignements. "La légitimité de ce bureau ne devra pas générer un doute. Sa création nécessitera du législatif, sans que l'on puisse dire à ce stade par quel véhicule cela passera. Indépendant, il ne pourra ni solliciter ni recevoir d'instructions dans la conduite des enquêtes qui lui sont confiées, y compris dans la phase de communication des résultats. Il appuiera si besoin les enquêtes administratives menées par les Dreal", détaille pour sa part Élisabeth Borne. 
La ministre ajoute que le nombre annuel des contrôles effectués par les inspecteurs des directions régionales de l'environnement (Dreal) augmentera de 50% d'ici la fin du quinquennat. Comment ? Grâce à l'allègement des tâches administratives qu'ils effectuent, souvent au détriment du travail de terrain. Un argument déjà entendu à la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee) d'Île-de-France, où la centaine d'agents réalisent des missions multiples (dont l'inspection des installations classées), et qui dit parvenir à pallier la baisse d'effectifs en tirant notamment profit de cette simplification administrative (voir notre article du 19 septembre dernier). 

Risque incendie : prévenir les effets de nappe

Du retour d'expérience organisé par ses services au sein du ministère, Élisabeth Borne retient aussi la priorité mise au renforcement de la prévention du risque incendie sur les sites Seveso. Cette piste avait été exposée le mois dernier lors d'une réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), une instance composée d'experts, de syndicats et représentants des intérêts des exploitants, d'inspecteurs ou d'anciens inspecteurs, mais aussi d'associations et d'élus (deux maires et deux adjoints). Ce renforcement relevant du réglementaire porte sur la rétention des liquides dangereux qui, s'ils s'écoulent, peuvent créer des nappes propageant le feu à d'autres stockages de liquides. Sont aussi concernées les conditions de stockage de liquides inflammables et les mesures de sécurité s'appliquant aux zones stockant des liquides combustibles (moins dangereux que les premiers), la disponibilité sur site de quantités suffisantes d'émulseurs (insuffisant sur celui de Lubrizol). Quant à la question des stockages extérieurs de liquides inflammables, elle sera "revisitée", ajoute sans précision le ministère. 

La chasse aux mauvaises pratiques

Le plan d'action prévoit de responsabiliser sur des points précis les stockistes auxquels les exploitants Seveso confient "tout ou partie de leurs produits". Un durcissement réglementaire est aussi en vue sur la pratique dite du "saucissonnage" qui, permet à un exploitant de cumuler plusieurs installations contiguës de stockage et d'échapper aux contraintes liées à la procédure ICPE notamment celle d'enregistrement, un régime plutôt récent (dix ans) positionné entre ceux existants de la déclaration et de l'autorisation, et intéressant pour les collectivités concernées qui, dans ce cadre, sont consultées. Au ministère, on explique ainsi que "cette pratique permettant par exemple d'obtenir, y compris au sein d'un même bâtiment, plusieurs déclarations au lieu d'un enregistrement, sera supprimée". 

Anticiper les effets dominos

S'engage, en outre, un effort de réactualisation des études de dangers prévues dans la réglementation des installations classées. Jugée complète en ce qu'elle tient compte des effets dit dominos – la propagation par exemple d'un feu entre un site et son site voisin – "sa mise en œuvre mérite d'être renforcée", précise la ministre. Surtout dans les sites qui ne sont pas tenus de disposer d'études de dangers. La catastrophe de Lubrizol a aussi soulevé la question de l'environnement présent autour des sites Seveso. La mission de recenser les installations classées (sans négliger celles classées sous le régime moins contraignant du déclaratif) implantées à moins de 100 mètres de sites Seveso sera ainsi confiée dans les trois années à venir aux inspecteurs de l'environnement. Sur le terrain, toujours dans cette logique de parer les effets dominos, ils devront avoir un œil sur d'autres sites sensibles. 

Produits stockés : plus de transparence des industriels

De l'incertitude qui a dominé pour Lubrizol sur la nature des produits stockés qui ont brûlé, le gouvernement tire un autre enseignement. La réglementation évoluera d'ici l'été prochain en vue d'imposer aux exploitants des sites Seveso et principaux entrepôts et sites de tri-transit-regroupement de déchets "un suivi a minima quotidien des matières présentes dans chacune des parties des sites qu'ils exploitent". Pour faciliter la mise à disposition de ces informations "très attendues" mais que les exploitants peuvent avoir du mal à fournir lorsqu'ils sont confrontés et mobilisés par un accident, c'est tout l'art d'en dresser l'inventaire qui doit changer. Le ministère veut ainsi que ces informations soient rendues disponibles dès la survenue d'un accident et sous un format adapté, numérique pour prévenir les cas où les locaux qui les stockent sont aussi touchés par l'accident. 

Préparation et post-accidentel : faire mieux et à long terme 

Pour mieux préparer les entreprises à la gestion de situations d'incident, les plans d'urgence ou plan d'opérations internes (POI) constituent un outil dont le ministère salue les vertus mais dont la fréquence d'exercice va être musclée (tous les ans pour les sites Seveso dits "seuil haut"). Du retour d'expérience de l'accident, il ressort également une marge de progrès en matière de connaissance des valeurs de référence sur des polluants caractéristiques des incendies. Élisabeth Borne estime ainsi urgent de "faire progresser la recherche et de financer des travaux dans ce domaine". Mais aussi, toujours sur le plan du suivi des conséquences, d'améliorer les outils de cartographie pour présenter "sur un site unique l'ensemble des résultats d'analyses effectuées après l'accident".
À Rouen et tout autour, des milliers de prélèvements dans l'air, dans les eaux, les sols et la chaîne alimentaire ont été réalisés par divers organismes (Aasqa, pompiers, Ineris). Le réseau d'intervenants en situation post-accidentelle (Ripa) animé par l'Ineris est intervenu pour en effectuer. Le précédent accident début 2013 dans cette même usine Lubrizol avait d'ailleurs été évoqué, lors de sa création il y a six ans, pour confirmer l'intérêt de disposer d'une telle structure d'intervention. Des fragilités sont néanmoins apparues, conduisant le ministère à vouloir professionnaliser un peu plus ce réseau fort d'une cinquantaine d'intervenants. Le ministère souligne par ailleurs le caractère innovant des protocoles de suivi environnemental mis en place après l'accident industriel. Un retour d'expérience et un retour de bonnes pratiques seront présentés à la fin de l'année pour restituer les résultats de cette surveillance environnementale.