Hausse des défaillances d’entreprises : seules la Corse et La Réunion restent dans le vert
Bataille de chiffres sur les défaillances d’entreprises. Le cabinet Altares relève un retournement de tendance avec une hausse de près de 35% au premier trimestre, liée à la fin du "quoi qu’il en coûte" et à la guerre en Ukraine. S’appuyant sur les chiffres plus restrictifs de la Banque de France (+6,3% au moins de mars), Bercy évoque un "retour à la normale" et assure même que "les perspectives sont extrêmement positives"...
Est-ce la fin des amortisseurs de crise ? Les défaillances d’entreprises sont reparties à la hausse au premier trimestre 2022, avec un bond de 34,6% par rapport au premier trimestre 2021. Ce qui représente, selon un bilan du cabinet Altares publié le 12 avril, 9.972 procédures collectives ouvertes (liquidations, redressements ou sauvegardes). "Après être tombées à des seuils historiquement bas ces deux dernières années, les défaillances renouent progressivement avec les niveaux d’avant crise", commente le cabinet qui rappelle que le rythme de 2018 et 2019 avoisinait les 14.000 défaillances par trimestre. L’augmentation des procédures collectives a été amorcée en novembre 2021 mais elle s’accélère depuis chaque mois.
Le retournement affecte plus fortement les petites entreprises de 10 à 49 salariés dont les défauts sur le premier trimestre (+ 56%) sont même supérieurs au niveau d’avant-crise. Autre signe inquiétant, après un boom de créations d’entreprises ces deux dernières années, ce sont les jeunes entreprises qui sont les plus fragilisées. En effet, près de la moitié des entreprises défaillantes ont été créées il y a moins de cinq ans. Le nombre de défaillances des entreprises immatriculées pendant ou juste avant la crise a flambé de 52% ! Mais pour Bercy, "cette tendance n’est pas nouvelle" et "n’appelle pas une inquiétude particulière". "Une économie croît dès lors qu’il y a une respiration", argue-t-on.
Aucune zone géographique épargnée
Les difficultés se font essentiellement ressentir dans les "magasins multi-rayons" (commerces d'alimentation générale) et la restauration où les défaillances bondissent de 180% au premier trimestre alors qu’elles étaient très basses l’an passé. Sur un an, le nombre de défauts dans la restauration est passé de 285 à 660 (+111%).
Les services aux particuliers comme les salons de coiffure ou les instituts de beauté sont eux aussi très affectés (+86% sur un an). C’est aussi le cas de l’agroalimentaire (+95%) ; les boulangeries-pâtisseries ont notamment vu les défaillances doubler en un an. Les transports sont à peine mieux lotis (+37%) avec un pic pour les transports interurbains (+57%). En revanche, la construction, l’industrie manufacturière, les services aux entreprises et l’agriculture résistent mieux.
En 2020 et 2021, grâce aux nombreuses aides (fonds de solidarité, activité partielle, prêt garanti de l’Etat, etc.), le nombre de défaillances avait été particulièrement bas : moins de 61.000 procédures collectives ont été ouvertes contre 107.000 lors des deux années précédentes, rappelle Altares. Pour son directeur des études Thierry Million "sans le fameux ‘quoi qu’il en coûte’ gouvernemental, la crise sanitaire aurait pu provoquer bien plus de procédures. Au 1er trimestre 2022, l’étau de la crise sanitaire se desserre et les aides s’arrêtent". On assiste donc au retour à une "forme de normalité" qui touche les secteurs liés à la reprise des habitudes de consommation : les restaurants, les salons de coiffure…
Presque aucune zone géographique n’est épargnée. Seules la Corse (-2,4%) et La Réunion (-12,7%) sont encore dans le vert. Il faut dire qu’elles avaient connu un bien mauvais premier trimestre 2021, avec une augmentation des défaillances de 58%. Ce sont les Hauts-de-France qui sont les plus touchés par cette dégradation au premier trimestre 2022 (+72%), tout particulièrement le département du Nord (+92%). Suivent la Bourgogne-Franche-Comté (+66,5%) - où le nombre de défauts a plus que doublé en Saône-et-Loire et en Côte-d’Or -, la Normandie (+52%), l’Occitanie (+47%) et la Nouvelle-Aquitaine (+42%). Bretagne, Pays de la Loire, Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Paca sont dans une moyenne, oscillant entre 27 et 39% d’augmentation. Seules l’Ile-de-France et le Centre-Val de Loire sont à moins de 20%. En Centre-Val de Loire, le bâtiment résiste, mais la restauration se dégrade rapidement. En région parisienne, l’Essonne et la Seine-Saint-Denis sont encore dans le vert, la capitale est plutôt stable, en revanche la situation se dégrade dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine.
Guerre en Ukraine
Alors que "la confiance gagnait du terrain" en début d’année, laissant présager une reprise de l’économie, l’horizon s’est assombri avec la guerre en Ukraine, explique Thierry Million. Flambée des prix de l’énergie, difficultés d’approvisionnement, pénuries des matériaux, inflation… Tous ces éléments incitent les entreprises à la prudence. "A l’instar du ‘quoi qu’il en coûte’ gouvernemental déployé pendant la crise sanitaire, le nouveau Plan Résilience de 7 milliards d’euros devrait contribuer à empêcher la faillite des entreprises directement impactées par la guerre et celles plus durement touchées par l’envolée des prix de l’énergie", juge Thierry Million. Seulement le cadre du plan de résilience est beaucoup plus réduit que les aides liées au Covid. Seules les entreprises directement impactées seront aidées. "Aucune entreprise avec des perspectives économiques ne sera laissée de côté (…) Même si on n’est pas dans le quoi qu’il en coûte, nous continuerons à soutenir les entreprises impactées par la guerre en Ukraine", souligne Bercy, rappelant qu’un nouveau "PGE résilience" a été mis en place (voir notre article du 18 mars 2022).
En pleine campagne de l’entre-deux-tours, le sujet devient sensible pour l’exécutif. S’appuyant sur les chiffres de la Banque de France publiés le 13 avril, Bercy a tenu à relativiser la situation. Ne prenant en compte que les cessations de paiement, la Banque de France comptabilise une augmentation de 6,3% des défaillances en mars 2022. En cumulé sur un an, le nombre se maintient à un niveau inférieur de l'avant-crise (-36,6% par rapport à mars 2020). Pour le cabinet de Bruno Le Maire, il s’agit donc d’un "retour à la normale de l’économie", avec des flux "d’entrées et de sorties des entreprises sur le marché". Avec un encours de 147 milliards d’euros, le PGE a joué son rôle d’amortisseur bénéficiant à 700.000 entreprises, dont 48% de TPE et 98% de TPE-PME. "On anticipe très peu de non-remboursement, la moitié des entreprises a déjà commencé à rembourser de son plein gré, sans attendre les deux ans". 20% auraient même déjà entièrement remboursé leur prêt. Bercy s’attend à un taux de non-remboursement de 3,1% soit le même que pour les prêts non garantis. "Ce n’est pas l’apocalypse qu’on nous avait annoncée", les perspectives sont mêmes "extrêmement positives", avance-t-on. Au choc de la demande de 2020 a succédé un choc de l’offre accentué par les sanctions contre la Russie. Mais "les fondamentaux de notre économie restent extrêmement solides, plus qu’au cours des dernières années", assure Bercy.