État et collectivités face au défi de la "sortie de crise"
Entre un budget rectificatif dit de "transition" et un projet de loi de finances pour 2022 déjà présenté comme un budget de "sortie de crise", il y a une période particulièrement dangereuse pour bon nombre d'entreprises. Si le rebond a bien été amorcé avec la levée des restrictions au printemps, le pass sanitaire et le variant Delta laissent planer encore bien des incertitudes.
La sortie de crise est comme l’horizon, une ligne qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche. Il y a un an, le nouveau Premier ministre Jean Castex s’entendait avec les régions pour assurer une transition entre l’urgence et la relance. Lancé en septembre 2020, le plan de relance est aujourd’hui bien parti : 40 milliards sur les 100 sont engagés. Mais l’urgence, elle, est toujours de mise. Les dispositifs anti-crise (fonds de solidarité, activité partielle, exonérations de cotisations) ont été rechargés une énième et peut-être dernière fois, à hauteur de 15,5 milliards d’euros, à travers le budget rectifié 2021 présenté comme un "budget de transition" avant un retour à la normale. Toutes ces mesures mises en place depuis le début de la crise ont permis de contenir les défaillances d’entreprises. Avec la levée des restrictions à la mi-mai, le gouvernement a décidé une sortie progressive d'ici à la fin août. Il s’agissait alors pour Bruno Le Maire de mettre un terme au "quoi qu’il en coûte" en misant sur une reprise qui ne s’est pas démentie depuis le printemps. Le rebond a été alimenté par les secteurs les plus affectés par les mesures sanitaires (hébergement-restauration, tourisme, loisirs…). Seulement l’instauration du passe sanitaire a ravivé les craintes des entreprises qui ont demandé que la fin août envisagée pour la fin des aides ne tombe pas comme un couperet. Dans un avis publié le 27 juillet, le "comité de suivi et d'évaluation des mesures de soutien aux entreprises face à la crise sanitaire" a exhorté le gouvernement à ne pas refermer les vannes trop vite. Il "attire l'attention sur le fait de bien doser la sortie des dispositifs", comme l’avait déjà fait la Cour des comptes pourtant très soucieuse des comptes publics.
Stratégie d'accompagnement
Le gouvernement a choisi une autre stratégie : faire de l’accompagnement au cas par cas, au niveau départemental. Conscient que cette période est particulièrement dangereuse pour les entreprises, il a présenté début juin un plan de sortie de crise autour de trois axes : détecter, orienter, accompagner. Seul problème : l’entente qui avait prévalu l’an dernier entre l’État et les régions a été écornée, ces dernières n’ayant même pas été consultées. Le gouvernement assume son choix et propose un traitement à trois niveaux, en fonction de la taille des entreprises : celles de moins de 50 salariés seront suivies par des comités départementaux, celles de 50 à 400 salariés par les régions et au-delà de 400 salariés par le niveau national, comme indiqué lors du premier comité national de sortie de crise réuni le 22 juillet 2021.
De nombreuses études ont permis d’affiner le diagnostic sur la géographie de la crise. Une géographie qui n’épouse pas les fragilités préexistantes et frappe les zones touristiques et quelques métropoles, comme l’ont montré l’Observatoire des impacts territoriaux de la crise, l’Insee, France stratégie ou encore Régions de France. C’est aussi le constat du député des Yvelines Jean-Noël Barrot qui a suggéré au gouvernement la mise en place d’un "pack rebond" dans les territoires fragilisés, qui pourrait prendre la forme d’avenants aux CRTE (contrats de relance et de transition écologique) en cours de finalisation.
Territorialisation de la relance
Les collectivités qui représentent 70% de l’investissement public en France sont une carte maîtresse pour la réussite du plan de relance, ce que Jean Castex clame depuis son arrivée à Matignon. Las, la "territorialisation" du plan de relance ne va pas de soi. Les associations d’élus n’ont eu de cesse d’alerter le gouvernement sur la complexité des procédures et le recours massif aux appels à projets, privilégiant de fait les grandes collectivités. Le Premier ministre a annoncé lors du dernier comité national de suivi de la relance qu’il ferait prochainement des annonces pour huiler les rouages. Des accords de méthodes ont déjà été signés avec les associations d’élus : après les régions et les départements, c’est au tour des métropoles, des intercommunalités et de leurs groupements. L’enjeu ? Réussir le lancement de près de 850 CRTE. 410 protocoles d’engagement et 249 CRTE ont été signés ou sont en cours de signature courant juillet, selon un décompte de l’ADCF. "Nombre d’intercommunalités lancent leurs propres appels à projets en direction des communes et acteurs de leur territoire", y apprend-on.
Plan d'investissement
70 milliards d’euros sur les 100 du plan devraient avoir été engagés à la fin de l’année, espère-t-on à Matignon. Mais suite aux annonces du président de la République le 12 juillet, le gouvernement travaille déjà à un nouveau plan d’investissement pour "bâtir la France de 2030" et faire émerger des champions dans le domaine du numérique, de l’industrie verte, des biotechnologies, ou de l’agriculture. Ce plan qui sera annoncé à la rentrée, "sera tout entier tourné vers la souveraineté industrielle et économique de notre pays", a précisé Jean Castex, le 29 juillet, lors d'un déplacement à Agen. On ne sait pas pour l’heure comment il sera financé, ni quel sera son poids dans le projet de budget pour 2022 qui, lui aussi, sera présenté à la rentrée. Avec ce budget, Bercy table sur "une stratégie de sortie de crise et l’accompagnement de la reprise, avec comme hypothèse la possible reprise de l’activité en 2022 à un niveau 'pré-crise'", comme l’indique le rapport d’orientation budgétaire. Sans compter le plan d'investissement ni le futur "revenu d'engagement pour les jeunes", 11 milliards d'euros supplémentaires sont prévus pour l'ensemble des ministères. Le "retour à la normale" budgétaire promis par Bercy n'est pas pour tout de suite...