Plan de résilience : une batterie de mesures, pour l'heure sans les collectivités
Alors que le plan de relance n'est consommé qu'aux deux tiers, le gouvernement lance une nouvelle batterie de mesures destinée à soutenir les ménages et les entreprises face à l'envolée des prix de l'énergie aggravée par la guerre en Ukraine. Ce "plan de résilience" devrait se monter à 6,8 milliards d'euros supplémentaires. A ce stade, les collectivités ne sont pas dans la boucle.
Attention à l’effet boomerang. Il faut "accepter que les mesures que nous avons déjà prises et celles que nous pourrions prendre demain, aient des conséquences potentiellement lourdes sur la Russie mais aussi, indirectement et évidemment à un moindre degré, sur nos propres économies", a déclaré le Premier ministre, Jean Castex, mercredi 16 mars, en présentant son "plan de résilience économique et sociale". Une batterie d’aides aux secteurs les plus touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie et les ruptures d’approvisionnement.
"Nous devons prendre sans délai les mesures qui s’imposent pour limiter les impacts sur nos entreprises, sur nos emplois, sur notre pouvoir d’achat", a appuyé Jean Castex, entouré de trois de ses ministres (Bruno Le Maire, Julien Denormandie et Barbara Pompili - voir aussi, sur les annonces de la ministre de la Transition écologique, notre article de de ce jour), appelant dans le même temps à "renforcer notre souveraineté en réduisant le plus rapidement possible notre dépendance à un certain nombre de matières premières et de sources d’énergie importées de Russie".
Ces mesures s’ajoutent aux 20 milliards d’euros du "bouclier tarifaire" décidé à l‘automne pour limiter l'impact de l’inflation et de la hausse des prix du gaz et de l'électricité sur les ménages et les entreprises (chèque énergie de 100 euros, gel des tarifs réglementés du gaz, limitation de la hausse de l’électricité à 4%...). Même si l’exécutif ne présente pas de chiffrage précis, elles pourraient se monter à 6,8 milliards d’euros de dépenses nouvelles, financés en grande partie par des reports de crédits budgétaires de 2021, et sans avoir à passer par le débat parlementaire. À noter que les collectivités sont pour l'essentiel laissées de côté, aussi bien en tant que bénéficiaires qu’acteurs. On se souvient que les régions - qui, dès le début de la crise sanitaire, avaient actionné des "fonds de résilience" -, avaient fort peu apprécié d’être mises à l’écart du plan de sortie de crise présenté le 1er juin 2021 (voir notre article du 2 juin 2021).
Remise de carburants de 15 centimes
Comme le Premier ministre a déjà eu l’occasion de l’annoncer le week-end dernier, le gouvernement met en place, à compter du 1er avril et pour une durée de 4 mois, une "remise carburants" de 15 centimes par litre d’essence ou de gazole pour réduire le prix à la pompe (qui dépasse les 2 euros le litre aujourd’hui). Cette mesure est étendue au gaz naturel véhicule (GNV) et au gaz de pétrole liquéfié (GPL), actuellement affiché à moins d’un euro le litre, ce qui en fait le carburant le plus économique. Le gouvernement a invité les distributeurs à aller plus loin. C'est le cas de Total, qui a annoncé une remise de 10 centimes supplémentaires.
Renforcement de trois dispositifs déjà connus
S’il ne s’agit pas d’un nouveau "quoi qu’il en coûte", le chef du gouvernement veut mobiliser les "outils qui ont fait leur preuve" pendant la crise sanitaire.
- Le prêt garanti par l’État (PGE) proposé pour soutenir la trésorerie des entreprises. Son plafond, passe de 25% à 35% du chiffre d’affaires (la mesure fait l’objet de discussions avec Bruxelles).
- Les reports de charges fiscales et sociales pour les entreprises mises en difficulté par l’augmentation des prix de l’énergie ou la perte de débouchés à l’exportation. Elles devront s’adresser à l’Urssaf et à la DGFIP qui recevront des instructions en ce sens.
- La prolongation du dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) de 12 mois supplémentaires, pour les accords déjà signés ; les branches et les entreprises non couvertes auront jusqu’à la fin de l’année pour signer de nouveaux accords.
Nouvelle aide aux entreprises énergivores
Une nouvelle subvention sera accordée aux entreprises les plus consommatrices de gaz et d’électricité, afin d’éviter la mise à l’arrêt des sites de production. Cette subvention plafonnée à 25 millions d’euros bénéficiera aux entreprises dont les dépenses de gaz et d’électricité représentent au moins 3% de leur chiffre d’affaires et dont la facture a augmenté de plus de 40%. Elle permettra "la prise en charge de la moitié du surplus de leurs dépenses énergétiques", afin de réduire les pertes dans la limite de 80%. La mesure devra respecter l’encadrement temporaire des régimes d’aides institués par la Commission européenne "en cours d’élaboration". Elle sera mise en œuvre pour la période du 1er mars au 31 décembre 2022. Son coût est estimé à 3 milliards d’euros par le ministre de l’Economie.
Mesures ciblées
Le gouvernement a décidé de mettre en place quatre mesures ciblées vers des secteurs particulièrement exposés :
- alors que de nombreux bateaux de pêches restent à quai faute de rentabilité, les pêcheurs percevront une aide équivalente à 35 centimes par litre de gazole de pêche à compter du 17 mars et jusqu’au 31 juillet ;
- face à l’envolée du coût de l’alimentation animale (400 millions d’euros sont provisionnés), les éleveurs recevront une aide transitoire de quatre mois. Le gouvernement compte ensuite sur les mécanismes des négociations commerciales (Egalim 2) pour répercuter "à l’aval" les hausse de coûts de production, c’est-à-dire sur le consommateur. "En plus du bénéfice de la remise de 15 centimes, nous agirons pour améliorer la trésorerie des exploitations en versant dans les prochaines semaines un acompte de 25% du remboursement de la TICPE sur le GNR (gasoil non routier)", a aussi indiqué le Premier ministre. Même si, affirme le ministre de l’ Agriculture, Julien Denormandie, il n’y a pour l’heure aucun risque sur l’approvisionnement, le gouvernement encourage aussi la valorisation des jachères, la promotion de systèmes "trois cultures en deux ans" pour accroître la production de fourrage… Un plan "souveraineté" fruits et légumes sera lancé au niveau européen ;
- soutien aux entreprises de transport ; elles bénéficieront de la remise carburant (soit environ 1.500 euros de remise sur les pleins d’un camion pendant quatre mois) ;
- soutien au secteur du BTP impacté par la volatilité des prix des matières premières. Au-delà de la remise carburant, le gouvernement demande aux acteurs publics d’appliquer "la théorie de l’imprévision pour les marchés publics ne comportant pas de clause de révision de prix" et de ne pas appliquer de pénalités de retard (si ce retard est lié à la crise) ;
- soutien spécifique aux exportateurs : le gouvernement réactive le chèque relance export et le chèque VIE (5.000 euros par mission) et l’assurance prospection afin de "soutenir l’effort de réorientation de certaines exportations vers de nouveaux marchés".
À côté de cette batterie de mesures d’urgence, le gouvernement s’engage aussi sur des mesures de plus long terme visant "la nécessaire souveraineté énergétique, industrielle et technologique". Il entend "sécuriser l'approvisionnement d'intrants critiques" (aluminium, titane, palladium et platine, gaz rares, tungstène) dont la Russie est un important fournisseur. 40% de la production mondiale de palladium (utilisé dans l'industrie automobile) provient de Russie. Le plan poursuit parallèlement l’objectif de sortir intégralement du gaz et du pétrole russe d’ici 2027, tout en sécurisant l’approvisionnement en gaz pour l'hiver 2022/2023 (voir aussi notre article de ce jour).
Ce plan "s’inscrit dans le cadre d’une réponse coordonnée au niveau européen, dans la lignée du sommet de Versailles" et il se veut "évolutif" car dépendant des sanctions et contre-sanctions, a insisté le Premier ministre. Il dépend aussi de la volonté de Moscou de laisser les vannes ouvertes et de ne pas recourir à l'embargo sur les intrants critiques.