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Activité économique : une explosion des défaillances des entreprises pourra-t-elle être évitée ?

Après une année 2020 tout à fait paradoxale sur le front des créations et des défaillances d'entreprise, les greffiers des tribunaux de commerce anticipent pour 2021 un double afflux de sociétés en difficulté : les 16.000 défaillances correspondant à une année normale et qui n'ont pas eu lieu en 2020, auxquelles s'ajouteront les entreprises directement impactées par la crise qui perdure. Tout l'enjeu va consister à bien "synchroniser" le désengagement de l'État et la reprise.

"Les trois moteurs de la croissance du PIB ont été affectés par la crise sanitaire et le seront durablement", a prévenu le 28 janvier Laurent Frelat, vice-président de Xerfi Spécific, lors de la conférence de presse du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) présentant le bilan annuel 2020 de la santé des entreprises. Ainsi, malgré les mesures mises en place par l'État, la dynamique du pouvoir d'achat des Français a été "cassée et devrait reculer de 2,4% en 2020 après une hausse de 1,9% en 2019. "Toutefois, a souligné Laurent Frelat, le taux d'épargne s'est envolé de plus de 25%." 
Si les exportations chutent plus vite que les importations, faisant du commerce extérieur un "boulet supplémentaire à la reprise", ce sont les investissements des entreprises qui restent la composante la plus affectée et qui ne présentent pas de perspectives de redémarrage. 

Amplification de l'ubérisation 

Dans ce contexte inédit, les impacts sur l'évolution tant des créations que des défaillances d'entreprise le sont tout autant. Ainsi, 2020 se solde par une hausse de plus de 2% des immatriculations au registre du commerce, soit 469.000 créations, ce qui correspond à une progression de 10.000 créations par rapport à 2019 qui était déjà élevé et + 50.000 par rapport à 2018. Deux secteurs sont particulièrement concernés : commerces (+ 8% et 18,4% des immatriculations), transport-entreposage (+ 34% et 11%). "Cette évolution est directement liée à l'ubérisation de l'économie qui était déjà à l'œuvre les années précédentes, mais dont la dynamique a été amplifiée par la crise", analyse Laurent Frelat, citant notamment l'essor de la vente à distance et des activités de livraison en tout genre (+ 37% pour la seule livraison à domicile). Dès lors, le tiers des créations le sont sous le statut d'entreprises individuelles, le seul type de structure en progression avec celui de société par actions simplifiée. Aussi, "la croissance des immatriculations est à relativiser", souligne Laurent Frelat, "car hors entreprises individuelles, nous constatons une contraction de 3%". 

Baisse des défaillances dans tous les secteurs 

Comme souvent l'Île-de-France se détache des autres régions françaises en concentrant la plus forte de proportion des immatriculations (27,4%) et la plus forte croissance (+ 7,5%). Suivent les Hauts-de-France (respectivement 6,3% et + 4,1%), région où la distribution est traditionnellement très implantée, et les Pays de la Loire (4% et + 2,3%), du fait probablement de la dynamique de l'accroissement démographique. En revanche, les créations sont en baisse modérée en Provence-Alpes Côte d'Azur, Auvergne Rhône-Alpes, Bretagne et Occitanie, et plus marquée dans le Grand Est (- 2,9%) et surtout en Corse (- 13%).
Du côté des procédures collectives, la conjoncture est "tout aussi surprenante, voire plus", constate le vice-président de Xerfi Spécific, annonçant un taux de défaillances en chute libre de -37,7% en un an, soit 27.656 procédures. Un montant "inattendu" compte tenu de l'ampleur de l'inactivité et même "très inférieur" à ce qu'il devrait en temps normal hors crise. Le "très net décalage de 2020 par rapport aux années précédentes" est directement lié au résultat des dispositifs de protection mis en place par l'État et qui "ont maintenu à flot des entreprises en difficulté, biaisant la réalité économique", confirme Laurent Frelat. Cette baisse concerne tous les secteurs d'activité. "Nous ne constations aucune augmentation des procédures collectives même dans secteurs totalement à l'arrêt : restaurants, commerces, aéronautiques…", précise ce dernier. En revanche, la construction (18,8%) et le commerce (23,5%) ont encore représenté près de la moitié des procédures. Le nombre de liquidations judiciaires (44,6% des procédures) est également en baisse (- 37,5%) par rapport à 2019. 

"Rien n'est perdu"

Que réserve 2021 alors que la crise sanitaire perdure et qu'un nouveau confinement est de plus en plus probable ? Sachant que sur la base des statistiques de 2019, 16.000 entreprises auraient dû engager une procédure collective en 2020, il conviendra de "scruter avec attention les entreprises en difficulté avant la crise et maintenues à flot pas les aides, qui s'ajouteront à ces 16.000", anticipe Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce qui a annoncé par ailleurs qu'une évolution des textes était prévue pour limiter les créations d'entreprise uniquement pour pouvoir ensuite bénéficier des aides. 
D'autant que l'éventuelle reprise de 2021 sera, selon Laurent Frelat, "insuffisante pour combler les pertes importantes des entreprises en 2020" et que les différentes aides notamment le prêt garantie par l'État, feront l'objet de remboursement. Pour autant "rien n‘est perdu", prévient Laurent Frelat, "car la situation est maitrisée". Tout l'enjeu cependant va consister à "synchroniser le désengagement de l'État au fur et à mesure de la reprise économique". Une synchronisation qui sera "déterminante pour éviter une explosion des défaillances".