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Médicosocial - Handicap : une circulaire pour limiter les placements en Belgique

En octobre dernier, Marisol Touraine et Ségolène Neuville annonçaient le déblocage d'une enveloppe de 15 millions d'euros "pour créer des places en France et éviter les départs en Belgique" (voir notre article ci-contre du 15 octobre 2015). Quelques semaines plus tard, cette enveloppe était intégrée au budget 2016 de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (voir notre article ci-contre du 20 novembre 2015). Troisième volet de la mesure : une instruction ministérielle du 22 janvier 2016 précise les modalités de mise en œuvre du plan de prévention et d'arrêt des départs non souhaités de personnes handicapées vers la Belgique.

Un enjeu humain et économique

Au-delà de l'aspect humain, l'enjeu économique n'est pas négligeable. Ce phénomène transfrontalier concerne en effet environ 1.500 enfants et 4.500 adultes handicapés. Ces placements ont représenté, en 2014, un coût pour l'assurance maladie française de 152,2 millions d'euros, dont 70 millions au titre des établissements conventionnés et 82,2 millions à celui des établissements non conventionnés, avec une prise en charge des frais par le Centre national des soins à l'étranger (CNSE). En outre le nombre de dossiers traités par le CNSE a fortement augmenté, passant de 1.205 en 2013 à 1.908 en 2014, dont 1.898 en Belgique. Certes, les dépenses ne seraient pas moindres si ces enfants et adultes handicapés étaient accueillis en France, mais l'impact économique serait différent.
La circulaire du 22 janvier 2016 - émanant à la fois du ministère des Affaires sociales et de la CNSA - prévoit notamment de faire appel à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour assurer un suivi quantitatif et qualitatif du nouveau dispositif, dès sa mise en place. Elle commence par rappeler les principales dispositions de l'accord franco-wallon sur l'accueil des personnes handicapées en Belgique, signé en 2011 mais ratifié en 2013 (voir nos articles ci-contre).

Respecter le choix de la personne handicapée et de sa famille

La circulaire explique surtout que le processus mis en place pour l'avenir s'appuie prioritairement sur une mise en œuvre anticipée du dispositif permanent d'orientation, ou à défaut, sur un recours aux commissions "situations critiques", dans le cadre du dispositif "Une réponse accompagnée pour tous" (voir notre article ci-contre du 13 novembre 2015). Il repose sur la recherche organisée de solutions alternatives au départ en Belgique, tout en précisant que "lorsque les personnes souhaitent un accueil en Belgique correspondant à leur besoin, cette orientation ne peut pas être refusée par la commission départementale des personnes handicapées (CDAPH)". Une liberté de choix sur laquelle la circulaire insiste à plusieurs reprises.
L'essentiel de la tâche revient à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), qui doit rechercher une solution de proximité dans le cadre des autorisations et agréments communs de l'offre de service ou en établissement. La circulaire instaure également une distinction - pas très évidente - entre les départements pionniers pour le projet "Une réponse accompagnée pour tous" (au nombre de 23) et les autres départements.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : instruction DGCS/3B/DSS/1A/CNSA/2016/22 du 22 janvier 2016 relative à la mise en œuvre du plan de prévention et d'arrêt des départs non souhaités de personnes handicapées vers la Belgique.
 

 

Après la Belgique, la Suisse ? 

A l'occasion de la séance de questions orales sans débat du 12 janvier 2016, Claudine Schmid, députée (Les Républicains) représentant les Français établis hors de France, a soulevé une question difficile, concernant un nombre restreint de personnes, mais représentative des conséquences parfois dramatiques des placements de personnes handicapées françaises à l'étranger.
L'affaire remonte aux années 1950. Il s'agit en l'occurrence d'enfants lourdement handicapés qui avaient été placés très jeunes en Suisse dans une maison d'accueil spécialisée, "car il était impossible de leur trouver une place en France". Fait inhabituel : les parents avaient participé au financement de la construction de l'établissement, "conçu pour garder leur enfant durant toute leur vie". L'admission s'était faite alors "sur ordre du médecin national" de la Sécurité sociale, avec une prise en charge à 100%.
Mais ces enfants ont atteint aujourd'hui l'âge de la retraite. Entre-temps, le taux de prise en charge - qui correspond à un tarif médian défini par la Sécurité sociale - n'a pas été réévalué depuis plusieurs années, alors que la charge facturée par la maison spécialisée a augmenté. Sans même parler des conséquences des écarts de change qui se sont creusés entre l'euro et le franc suisse... Conséquence : "Les familles n'ont pas la possibilité de régler le différentiel, car la soulte est devenue quasi prohibitive".
Par ailleurs, Claudine Schmid estime qu'un rapatriement semble "médicalement et moralement exclu", car ces personnes vivent dans cet établissement depuis une soixantaine d'années. Elle demande donc si l'Etat envisage de "prendre en compte cette nouvelle situation financière et respecter l'engagement pris jadis par la France".
Dans sa réponse, Laurence Rossignol - secrétaire d'Etat chargée de la Famille, de l'Enfance, des Personnes âgées et de l'Autonomie - ne laisse aucun espoir sur un financement du reste à charge. Elle indique en effet qu'une "adaptation continue du tarif de remboursement du prix de journée au taux de change de l'euro par rapport au franc suisse ne paraît pas possible à mettre en œuvre, dans la mesure où elle générerait une inégalité de prise en charge des assurés en fonction de la monnaie courante du pays où se situe la structure d'accueil".
Pour la ministre, la réponse générale ne peut passer que par le déploiement de la démarche "Une réponse accompagnée pour tous" (voir notre article ci-contre du 13 novembre 2015). Elle a notamment rappelé les actions mises en œuvre pour éviter les départs des personnes handicapées vers des établissements sociaux et médicosociaux (ESMS) situés en dehors du territoire français, "ces départs étant source de douleur et d'éloignement pour les familles".
Le plan d'accompagnement global élaboré, dans ce cadre, par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) compétente, doit permettre de mobiliser, en France, des solutions adaptées à la situation et aux besoins de la personne. Mais si elle constitue une avancée indéniable, la démarche "Une réponse accompagnée pour tous" ne semble pas apporter une réponse au cas des pensionnaires suisses.
Aussi, pour Claudine Schmid, "s'il n'est pas possible de les prendre totalement en charge, et de respecter l'accord pris par la France, il n'y a pas d'autre moyen que d'activer la convention signée en 1931 par la Suisse et la France - texte qui prévoit l'assistance des deux Etats à leurs indigents respectifs -, ce qui alourdira encore le contentieux entre les deux pays".

Jean-Noël Escudié / PCA

 

 

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