Handicap à l'école : la Cour des comptes dresse un "bilan contrasté" de l'inclusion scolaire
"Recours massif aux AESH au détriment des supports pédagogiques adaptés", "manque de planification concertée" dans la mise en accessibilité des bâtiments scolaires et sportifs par les collectivités... Le bilan publié par la Cour des comptes sur la politique de scolarisation des élèves en situation de handicap est "mitigé". Le succès sur le plan quantitatif (effectifs triplés de 2006 à 2022) ne compense pas les "faiblesses de mise en œuvre".
Trois fois plus d'élèves en situation de handicap sont scolarisés depuis la loi de 2005 sur les personnes handicapées, 3,7 milliards d'euros ont été investis par l'Éducation nationale pour l'école inclusive en 2022, 86.502 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont en poste à la rentrée 2024 (1). "Le succès au plan quantitatif est indéniable : l'Éducation nationale s'est organisée et transformée" pour accueillir des élèves handicapés, dont les effectifs ont triplé de 155.361 en 2006 à 436.085 en 2022, a déclaré le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse ce lundi 16 septembre 2024. Pour autant, le système d'inclusion scolaire français est-il "efficient et performant" ? Qu'en est-il de "l'acte II de l’école inclusive" et la "refonte de la politique d'accueil des élèves en situation de handicap à l'école" annoncés par le président de la République en avril 2023 ? Un "bilan contrasté", estime le rapport de la Cour des comptes. Son président pointe la "pertinence et la cohérence" de cette politique, mais des "faiblesses de mise en œuvre". Depuis la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire constitue en France un principe de droit. Mais "des marges considérables de progrès existent", estime Pierre Moscovici.
Les financements des collectivités pas intégrés
La politique de scolarisation des élèves en situation de handicap est tributaire de la coexistence des secteurs éducatifs et médicosocial dont la coordination et les interactions "sont à renforcer", souligne la Cour. Par ailleurs, "la politique de scolarisation des élèves en situation de handicap souffre d'un manque global de données pour qu'elle puisse être évaluée sur une base documentée", relève la juridiction financière. En effet, seul est connu le montant qui relève du périmètre budgétaire du ministère de l'Éducation nationale : 3,7 milliards d'euros en 2022 et "il n'intègre pas les financements qui sont apportés par les collectivités territoriales". "Il en résulte qu’il n'est guère possible de se prononcer sur les performances du modèle français d'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap", en conclut la Cour.
Accessibilités des bâtiments scolaires : la planification à revoir
Par ailleurs, pour répondre aux besoins des élèves en situation de handicap, deux approches sont utilisées : l'accessibilité et la compensation. L'accessibilité vise à assurer l'accès de tous les jeunes aux savoirs, dans l'école la plus proche de son domicile. Les collectivités territoriales sont ainsi responsables de rendre accessibles les bâtiments scolaires et les équipements sportifs et culturels et l'évaluation de la Cour montre justement qu'il y a souvent "un manque de planification concertée".
La compensation, elle, garantit le droit pour une personne en situation de handicap de bénéficier de mesures individuelles assurant l'égalité des droits et l’équité des chances. L'évaluation souligne un recours prépondérant aux accompagnants humains (AESH), devenu le deuxième métier de l’Éducation nationale, avec 78.816 agents (en équivalents temps plein) en 2023, en hausse de 90% depuis 2013 "au détriment des dispositifs d'accessibilité qui restent insuffisamment aboutis". Au regard de la croissance tant des moyens humains que budgétaires, la rue Cambon s'interroge sur la soutenabilité du modèle, a fortiori dans un contexte de "contraintes budgétaires actuelles et futures". Elle appelle donc à un "rééquilibrage" entre l'accompagnement humain et l'accessibilité pédagogique.
"Des points de repères manquent aux AESH"
Autre point : "les enseignants et les AESH estiment ne pas être suffisamment outillés et préparés, que ce soit en termes de formation initiale ou continue […]". "Des points de repères manquent, par ailleurs, aux AESH pour clarifier leur rôle vis-à-vis des enseignants et, plus largement, pour renforcer leur reconnaissance au sein de la communauté éducative et leurs conditions de travail". "Il serait également souhaitable d'établir un référentiel professionnel permettant de garantir la pertinence de leur accompagnement individuel ou mutualisé auprès des élèves". De même, la dispersion des services en charge de la gestion des AESH montre "les limites des pôles inclusifs d’accompagnement localisés", les fameux Pial qui font l’objet de critiques récurrentes et qui vont être progressivement en transformés en PAS depuis cette rentrée 2024 (voir notre article du 5 juillet 2024). Rappelons qu'une note de service du ministère de l'Éducation nationale publiée fin juillet 2024 revenait sur les conséquences de la loi du 27 mai 2024 qui met à la charge de l'État l'intervention des AESH durant la pause méridienne (voir notre article du 26 juillet 2024) . Elle évoque les compétences des communes, la nécessité de signer une convention et les modifications aux contrats de travail. Mais en aucun, ne saurait résoudre toutes les difficultés pointées par la Cour.
"Parcours du combattant des familles"
Enfin, que faire des témoignes récurrents des familles témoignant du "parcours du combattant", devant par exemple reformuler, à plusieurs reprises, des demandes de prise en charge auprès des maisons départementales des personnes handicapées ? Face à ce constat, la Cour estime "indispensable de travailler aux décloisonnements des prises en charges entre le milieu scolaire ordinaire et le secteur médicosocial, afin de construire un accueil éducatif inclusif pris dans sa globalité", dans l'attente de la généralisation du Livret de parcours inclusif. Indicateur qui ne trompe pas : le taux de chômage des personnes en situation de handicap sur le marché du travail reste encore près de deux fois supérieur à celui des autres actifs (12 % contre 7 % en 2022), "ce qui montre les limites de l'appareil de formation français à donner à tous les jeunes les mêmes chances en termes de trajectoire professionnelle".
(1) Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale.