Guerre en Ukraine : les collectivités sensibles aux appels au boycott
Maires ukrainiens et européens ont échangé pendant plus de deux heures lors d’une visioconférence ce 22 mars. Si devaient notamment être évoqués les moyens d’organiser au mieux l’aide aux Ukrainiens, ces derniers ont surtout insisté sur la nécessité de faire pression sur la Russie pour mettre un terme à la guerre.
À l’invitation du Conseil de l’Europe et du ministre des Collectivités et du Développement des territoires ukrainien, plus de 200 élus locaux européens et ukrainiens ont échangé leurs témoignages en ligne ce 22 mars 2022. Sous les bombes, les élus ukrainiens ont naturellement davantage évoqué les pistes pour mettre un terme à la guerre que les moyens concrets d’apporter l’aide humanitaire nécessaire. Sergiy Morgunov, maire de Vinnytsia (au sud-ouest de Kiev), a toutefois souligné que l’envoi d’aide humanitaire de ville à ville était "plus facile sur le plan logistique" et également plaidé pour que les pays européens accueillent des colonies de vacances pour enfants déplacés (un projet serait en cours avec une ville française). Pour le reste, ils insistent surtout sur la situation dramatique de leur pays. "La ville de Mariupol, sur laquelle s’abat une bombe tous les quarts d’heure, est à 90% détruite", indique son maire, Serhiy Orlov, qui la compare à Hiroshima. Le maire de Kiev, Vitaly Klychko, dénonce "la volonté de la Russie de détruire l’Ukraine et notamment les autorités locales", évoquant le phénomène grandissant de "kidnapping des maires ukrainiens", afin de déstabiliser les villes et leurs services. Et d’avertir les Européens que la déstabilisation de l’Ukraine ne restera pas sans répercussion sur l’Europe, qui pourrait selon lui être la prochaine cible du Kremlin : "On ne sait pas jusqu’où la Russie ira. La Pologne, la Tchéquie, peut-être l’Allemagne ?"
Appels aux boycotts
Tous insistent sur la nécessité pour les Européens de faire pression sur leurs gouvernements pour fermer le ciel ukrainien (ce qui, selon de nombreux stratèges, risquerait d'entraîner une troisième guerre mondiale), mais aussi sur les sociétés européennes qui continuent d’exercer en Russie – Renault est nommément visée par le maire de Kiev. Ils appellent au boycott de leurs produits, et plus généralement de l’ensemble des produits russes. "Il faut mettre un terme aux relations d’affaires avec la Russie, qui utilise chaque centime gagné non pour sa population, mais pour l’armée", déclare Vitaly Klychko. Vladimir Poutine et ses oligarques ne sont désormais plus les seul visés. Le maire de Lviv, Andriy Sadovyi, appelle ainsi les Européens à "cesser tout contact avec les Russes, que ce soit dans le domaine des affaires, du sport, de la culture…". Et de déclarer : "Il n’y a pas que Poutine. Ce sont plus de 100.000 soldats russes qui aujourd’hui tuent les Ukrainiens". Cette escalade sera-t-elle bénéfique, alors que le maire de Bern, Alec von Graffenried, estime que le salut ne pourra venir que des Russes eux-mêmes ? "Poutine et ses alliés ont tout perdu. Ils n’ont plus rien à perdre, et vont donc poursuivre leur entreprise. La meilleure façon d’arrêter la guerre, c’est d’aider la résistance en Russie", déclare-t-il, en soulignant que "chaque général russe doit savoir qu’il sera attrait devant le tribunal de La Haye".
Name and shame ?
Côté Français, on fait volontiers siennes les revendications ukrainiennes. Christophe Ramond, qui représente l'Assemblée des départements de France, assure que l’appel à l’interdiction du survol de l’Ukraine sera relayé auprès du gouvernement français. Dominique Chappuit, maire de Rosoy représentant l’Association des maires ruraux de France, se prononce également favorablement. S’il "en partage l’idée", le maire de Cracovie, Jacek Majchrowski souligne lui les risques d’instituer une telle zone d’exclusion aérienne : "les experts indiquent que ce serait synonyme de troisième guerre mondiale", alerte-t-il. En revanche, l’appel au boycott des sociétés "coopérantes" le convainc sans réserve, demandant même aux collectivités ukrainiennes de fournir une liste de celles qui continuent d’œuvrer avec la (ou tout simplement en) Russie pour les boycotter. Cette solution des pressions économiques séduit également les élus français : outre Dominique Chappuit et Christophe Ramond, Nadia Pellefigue, vice-présidente de la région Occitanie représentant Carole Delga, qui vise nommément Renault, mais aussi TotalÉnergies.
Jumelage et fonds de solidarité
David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France, souligne lui aussi l’importance de la "bataille de la communication", mais vante davantage les mérites du "jumelage de guerre". Sa ville s’est ainsi associée la semaine dernière avec celle de Lviv. Les campagnes de collecte de dons, d’accueil des réfugiés, etc. ne sont évidemment pas non plus oubliées, chacun y allant de son témoignage : le maire d’Autun, Vincent Chauvet, l’adjointe au maire de Strasbourg, Véronique Bertholle, ou encore Patricia Telle, vice-présidente de la collectivité de Martinique, dont l’intervention ultra-marine n'est pas passée inaperçue. Benoit Pilet, adjoint au maire d’Angers et secrétaire général de Cités Unies France, a lui mis en avant le fonds de solidarité que l’association a créé, et auquel la ville de Strasbourg a décidé hier de verser une contribution.
Les débats n’ont que peu porté sur les moyens les plus pertinents d’apporter de l’aide, en Ukraine ou… en France. Ainsi, par exemple, de la nature des cours à enseigner aux enfants réfugiés. Alors que Filippo Leutenegger, élu de Zurich, indique que sa ville a fait le choix de leur dispenser des cours d’allemand, une participante s’interroge : ne faudrait-il pas plutôt leur permettre de suivre leur scolarité ukrainienne ? Peut-être, mais une autre participante, instruite par l’expérience du covid, souligne aussi les bienfaits d’être en classe entouré d’autres élèves, plutôt que seul devant son clavier, d’autant plus compte tenu d’un contexte particulièrement traumatisant. On n’en saura malheureusement pas plus
La Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales invite les collectivités françaises à l’informer de leurs projets de jumelage, d’accueil de réfugiés, de support aux collectivités partenaires accueillantes ou encore de soutien direct aux collectivités ukrainiennes. Au-delà de la recension des actions, elle pourra leur apporter d’utiles conseils (thomas.lanvin@diplomatie.gouv.fr). |
Alors que les appels au boycott contre la Russie se multiplient (les maires n’étant pas en reste), le cabinet Astères estime à 29.000 les emplois qui risqueraient d’être détruits en France. Le cabinet prend soin de préciser qu’il a travaillé "le plus objectivement possible", sans prendre position au sujet des sanctions économiques contre la Russie. La baisse des exportations due à la guerre en Ukraine ferait en outre perdre à l’économie française "2,5 milliards d’euros de valeur ajoutée et près de 890 millions d’euros d’impôts et charges (effets directs, indirects, induits et en chaîne sur une durée de quatre ans)". L’économiste Sylvain Bersinger s’appuie pour ses calculs sur une baisse de 50% des exportations vers l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie en 2022, ce qui représenterait un manque à gagner de 3,9 milliards d’euros par rapport à 2021. Les secteurs les plus touchés seraient l’aéronautique, la chimie-pharmacie-cosmétiques, les machines et équipements et l’agroalimentaire. M.T. |