Guadeloupe : contrat d’"accompagnement renforcé" de l’État pour rétablir un service de l’eau "régulier et de qualité"
Le ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, a signé ce 22 mars le contrat d’"accompagnement renforcé" du syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG). Objectif : rétablir un service de l’eau potable "régulier et de qualité", après des années de coupures subies par les usagers.
La remise en état du réseau d'eau en Guadeloupe, très endommagé, et qui entraîne depuis des années des coupures chez les usagers est-elle sur la bonne voie ? "Ça démarre enfin", a voulu rassurer le ministre délégué aux outre-mer, Jean-François Carenco, à l’occasion de la signature ce 22 mars du contrat d’"accompagnement renforcé" du syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) avec les conseils régional et départemental de Guadeloupe. "On accélère les travaux, on accélère tout", a indiqué le ministre. Les travaux prévus à court terme doivent porter à la fois sur les réparations de fuites, considérés comme la première urgence, la mise à niveau des installations de production d’eau potable et la remise en fonctionnement de l’assainissement. Avec une dotation exceptionnelle de fonctionnement de 27 millions d’euros en 2023 et la mise à disposition de 6 assistants techniques choisis par l’État, le contrat conclu pour trois ans entend redresser et assurer le fonctionnement du syndicat unique de l'eau.
Un syndicat unique en grave difficulté
Créé en 2021 (voir notre article), le SMGEAG est en effet en proie à de graves difficultés techniques et financières, aggravées par les dégâts causés sur le réseau, déjà très mal en point, par la tempête Fiona qui a balayé l'archipel en septembre 2022. Au point d'avoir conduit en novembre 2022 les acteurs locaux (région, département, SMGEAG) et surtout l'État, à signer une feuille de route commune, imposant un plan de retour à l'équilibre financier. "Une ambition partagée pour aboutir (...) à une trajectoire de financement durable du syndicat", selon le document dont l'AFP a obtenu copie. Une "mise sous tutelle" pour divers observateurs, se référant à la large possibilité pour le ministère d'être, "autant que de besoin (...) sollicité pour (...) identifier les points de blocage qui nécessiteront une intervention interministérielle", selon le même document.
"Gouvernance à quatre"
Cette décision fait suite à un rapport confidentiel sur la crise de l'eau en Guadeloupe, daté de mi-2022, commandé par l'État et dont l'AFP a pu prendre connaissance. Ce document étrillait la situation du syndicat, tributaire de la gestion passée des structures précédentes mais aussi de "l'absence de pilotage", de "défaillance des services administratif et financier" et de l'"ingérence du politique" dans la gestion. Des problèmes structurels qui "ralenti(ssent)t" la prise de "décisions impopulaires" comme le "recouvrement forcé" ou la "réduction de la masse salariale".
Par ailleurs, le rapport dénonçait une mainmise de la présidence du syndicat sur la gestion, retardant les recrutements nécessaires, les relations conflictuelles avec l'État et la commission de surveillance du syndicat, composée notamment d'associations d'usagers.
En outre, l'efficacité "des tours d'eau établis depuis 8 ans" n'a jamais été mesurée, expliquait le rapport, qui s'inquiétait aussi d'une prévision budgétaire "déficitaire globale de 123 millions d'euros jusqu'en 2027".
"Il est urgent d'agir pour rendre le syndicat opérationnel. Pour chaque mois qui passe au rythme d'exploitation actuel (hypothèse de 15 réparations de fuite par jour), ce sont plus de 350 nouvelles fuites qui apparaissent sur le réseau", indiquait ce rapport. "Le mois dernier, on réparait 2 fuites par jour, aujourd'hui on est à 30", a pour sa part martelé Jean-François Carenco durant son séjour en Guadeloupe, "c'est bien que c'est le signe d'un truc qui marche".
En janvier, le SMGEAG dressait un bilan de son activité et présentait un plan d'investissement de 50 millions d'euros pour 2023 pour le réseau d'eau potable et celui d'assainissement, loin des centaines de millions nécessaires. Le syndicat relevait aussi des impayés allant jusqu'à 50% - alors que la moyenne nationale se situe à 2%. Des factures non réglées, du fait, selon plusieurs analyses, de l'absence de confiance envers le service encore soumis à des tours d'eau dans de nombreuses communes. C'est d'autant plus le cas que la sécheresse à l'oeuvre depuis quelques semaines vient renforcer la pression sur la ressource en eau agricole dont une grande partie est détournée vers le réseau d'eau potable.
La feuille de route pour la "gouvernance à 4" de la structure de gestion est valable pour au moins trois ans, avec un "dispositif de capitalisation de l'expérience acquise". Autrement dit, un transfert de compétences de l'assistance technique des six experts de l'État déployée aux agents du SMGEAG, préconisé par le dernier rapport, pour éviter que, comme en 2005, "le retrait brutal de l'ingénierie d'Etat", "n'entraîne des conséquences dramatiques pour l'ensemble des collectivités gestionnaires".
Dans son rapport "Services publics aux Antilles : garantir l’accès aux droits", daté du 20 mars 2023, le Défenseur des droits indique être "régulièrement saisi" de réclamations relatives à des litiges concernant l’alimentation en eau potable en Guadeloupe, le réseau comportant "des infrastructures très dégradées et provoquant régulièrement des fuites massives par rupture de canalisation". "Certaines régions, notamment de Basse-Terre, où se trouve pourtant la ressource, sont ainsi dans une situation gravissime s’agissant de l’accès à un droit élémentaire, créant fatigue et exaspération de populations en grande souffrance", souligne le rapport qui relève que "les aléas de la distribution de l’eau entravent fortement le fonctionnement de tous les services publics, et notamment ceux de l’éducation et de la santé » et que « la persistance de ces difficultés implique de déployer une organisation très complexe au quotidien pour pallier l’absence d’eau". Dans ce contexte, "de nombreux usagers refusent de payer leurs factures" et "l’attention du Défenseur des droits est ainsi régulièrement appelée sur des facturations incohérentes ou sur des contestations de créances, aggravées par les nombreux compteurs d’eaux défectueux ou parfois tout simplement absents", note le rapport. Le défenseur des droits formule quatre recommandations pour remédier à la situation : "mettre en œuvre rapidement les engagements pris sur la remise en état des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe pour garantir un accès à l’eau pour tous les habitants, et améliorer, à court terme, l’équité des tours d’eau ; "compte-tenu des défaillances du service de distribution de l’eau et de sa facturation, prononcer un abandon de créances pour les factures aux particuliers émises avant le 1er janvier 2021, afin de restaurer la confiance de la population dans le service de distribution de l’eau" ; "accélérer le processus de renouvellement des compteurs d’eau et procéder au recouvrement des factures des usagers guadeloupéens sur la base d’une relève des compteurs et de l’effectivité du service de distribution de l’eau potable" ; "transmettre aux usagers guadeloupéens le règlement de service du nouveau syndicat pour leur permettre d’y adhérer et améliorer l’information du public sur l’avancement des opérations conduites par le syndicat". Le rapport du Défenseur des droits soulève aussi la question de la qualité de l’eau du robinet, sujette à de fréquentes contaminations en Guadeloupe. Il recommande de renforcer les moyens permettant d’analyser sur place la qualité de l’eau prélevée dans le réseau – actuellement, pour un certain nombre de paramètres, le prélèvement est envoyé, par avion, en métropole pour être analysé, créant ainsi un "décalage significatif" avec l’obtention des résultats. Autre recommandation : "inviter les collectivités territoriales à prendre en charge l’achat d’eau en bouteilles lorsque celle distribuée par les réseaux est impropre à la consommation". |