Environnement - Gestion de l'eau : l'urgence est déclarée, alerte un rapport sénatorial
"Eau : urgence déclarée" : c'est ce titre choc qu'ont choisi de donner à leur rapport Henri Tandonnet, sénateur UDI du Lot-et-Garonne, et Jean-Jacques Lozach, sénateur PS de la Creuse. Tous deux n'hésitent d'ailleurs pas à se présenter comme des "lanceurs d'alerte". Réalisé au nom de la délégation sénatoriale à la prospective du Sénat, ce rapport, qui a été présenté à la presse le 8 juin, entend prendre la mesure des tensions qui vont affecter à l'avenir la ressource en eau dans l'Hexagone et préconise différents moyens d'action pour y faire face.
Pour les rapporteurs, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, "le risque de pénurie d'eau est désormais avéré" dans l'Hexagone. "En dépit d'une situation géographique et hydrologique favorable, la France est susceptible de manquer d'eau à l'avenir, notamment durant la période estivale", affirment-ils. Un paradoxe qui s'explique par un faisceau de causes. Tout d'abord avec le dérèglement climatique, "qui n'est plus contestable", il faut s'attendre à une hausse des températures (jusqu'à +5°C en été), accompagnée d'une modification du régime des précipitations "qui affectera l'ensemble du territoire et devrait se traduire par davantage d'épisodes de sécheresse et la survenance d'événements climatiques extrêmes plus nombreux". Ainsi, "si le volume global des pluies restera à peu près équivalent, il va se répartir différemment dans le temps et dans l'espace" : "Il pleuvra davantage au nord et moins dans le sud, davantage en hiver et moins en été." "C'est un phénomène de long terme qui ne s'arrêtera pas du jour au lendemain, même si on respecte les engagements de la COP21", a relevé Henri Tandonnet.
Les bassins Seine-Normandie et Adour-Garonne jugés "très vulnérables"
Les régions les plus potentiellement affectées par ces évolutions ne sont pas toujours celles que l'on croit, note le sénateur. Ainsi, "le pourtour méditerranéen resterait plutôt préservé, grâce au stock naturel important que constituent les glaciers alpins et aux grands ouvrages de réserves d'eau qui y ont été construits" dans les années 1960. En revanche, "deux zones sont identifiées comme très vulnérables : le bassin Seine-Normandie, où l'on prévoit une diminution notable des débits moyens annuels, et le bassin Adour-Garonne. Avec la disparition des glaciers des Pyrénées et la hausse constatée des températures de deux degrés, l'Aquitaine ne peut déjà plus être considérée comme le 'pays des eaux'", affirme-t-il.
Autres sources de tension sur la ressource en eau : l'augmentation de la population qu'elle soit permanente par le fait des migrations internes tout particulièrement sur les zones littorales, ou ponctuelle, par exemple au moment des vacances, l'accroissement des besoins alimentaires, la modification des modes de vie, de loisirs ou de tourisme, la hausse des prélèvements aquatiques nécessaires à la production énergétique, notamment nucléaire. "Il en résultera inévitablement un effet de ciseaux du fait de la hausse de la demande et de la réduction de la ressource", a pointé Henri Tandonnet.
Eviter les conflits d'usages
Le risque souligné par les rapporteurs est de cristalliser les conflits d'usages. D'où l'importance de "privilégier une approche collective" entre l'ensemble des utilisateurs (consommateurs, agriculteurs, producteurs d'énergie, industriels, pratiquants d'activités sportives, de loisirs et touristiques, etc., faune et flore aquatiques) et de "ne pas mettre en opposition frontale" les intérêts des consommateurs et ceux du monde agricole, souligne Jean-Jacques Lozach.
Pour les deux sénateurs, s'il faut "hiérarchiser" les usages de l'eau, "la priorité absolue est celle qui conditionne la survie de la population", soit l'alimentation et la sécurité sanitaire. "Il faudra veiller à l'approvisionnement alimentaire, à la fourniture d'eau potable répondant à nos critères nationaux de qualité et à la sécurisation des installations nucléaires", poursuit Jean-Jacques Lozach. Il faut aussi être attentif à "l'eau invisible" ou "eau virtuelle", qui correspond à la quantité d'eau mobilisée pour produire les biens de consommation", explique-t-il. "Lorsque nous importons des tomates d'Espagne ou du Maroc, c'est l'eau de pays encore plus fragilisés que le nôtre que nous achetons", illustre-t-il. "En 2007, seule année pour laquelle ce calcul complexe a été effectué, la France a été virtuellement importatrice nette d'eau à hauteur de 8,4 milliards de mètres cubes", à rapporter aux "plus ou moins 33 milliards de mètres cubes prélevés sur le territoire métropolitain à la même époque". "C'est loin d'être négligeable", juge le sénateur.
Des réserves d'eau en prévision des pics de chaleur
Pour préparer l'avenir, les sénateurs préconisent d'abord d'économiser l'eau. A leurs yeux, les réseaux de distribution d'eau sont ainsi "largement perfectibles". En moyenne, "20% à 25% de l'eau prélevée n'arrive pas à l'usager", souligne Henri Tandonnet, voire "40% à 50% dans les zones rurales". Pour le sénateur, on peut aussi "assigner au monde agricole l'objectif de produire plus, durablement, avec moins de terre et d'eau". La sélection variétale, l'irrigation de précision, l'agro-écologie et l'agro-foresterie sont donc à favoriser. Autre levier pour encourager la sobriété : poursuivre et amplifier les campagnes d'information et de sensibilisation à la réduction des consommations en direction du grand public.
Après les efforts d'économies, les sénateurs évoquent une "meilleure gestion de la ressource" grâce à une régulation des flux. Ils préconisent ainsi la constitution de réserves de proximité, lors des périodes d'abondance, en hiver et au printemps, pour les utiliser en été. "Au lieu de prendre des arrêtés de rationnement voire d'interdiction de tel ou tel usage de l'eau lors des pics de chaleur, on pourrait puiser dans ces réserves alimentées par la récupération des eaux pluviales pour arroser les parcs et jardins en milieu urbain et les champs en milieu rural pour favoriser l'évapotranspiration", explique Henri Tandonnet. Mais pour cela, il faudra surmonter le "tabou" que représentent "les grands projets d'ouvrages structurants de type barrage", comme Sivens est devenu l'emblème, a mis en garde Jean-Jacques Lozach. Alors que "la préemption se fait souvent pour l'énergie hydraulique", Henri Tandonnet estime qu'il faut "réfléchir à deux fois" à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Le sénateur souhaite en effet que ces réserves puissent être partagées. En cas de privatisation, cela deviendrait impossible, estime-t-il. Jean-Jacques Lozach souhaite également que l'on mise sur la recherche "pour accroître l'offre". Mais là encore existe un "barrage psychologique" face à l'acceptation de la réutilisation des eaux usées traitées. D'autres solutions peuvent aussi être envisagées : la désalinisation d'eau de mer, la récupération des eaux pluviales, la réalimentation des nappes d'eau souterraines.
Gestion décentralisée à l'échelle des bassins
Les sénateurs estiment aussi que la gestion de l'eau en France est "trop centralisée", les responsabilités "émiettées" et les intervenants potentiels trop nombreux. Pour les sénateurs, c'est la gestion par bassin qui "apparaît comme un modèle d'organisation pertinent", et ils souhaitent donner "plus de flexibilité et plus de place aux acteurs locaux". Les outils, tels que la Gemapi ou les projets de territoires, sont ainsi "à renforcer".
Pour donner suite à ce rapport, un débat en séance publique devrait avoir lieu à l'automne, en présence des ministres concernés, indiquent les sénateurs.